« La planète ne rend pas les coups au hasard » et « le refoulement du distributif »

Matière à réflexion :
« Les inégalités socioécologiques sont appelées à se renforcer à l’avenir. Un type de scénario général se dessine en régime capitaliste au sein d’écosystèmes mondiaux de plus en plus hostiles. Globalement, en empêchant l’expansion de la production matérielle mondiale de continuer indéfiniment dans le futur, les limites et les mutations de notre planète vont transformer prochainement la poursuite effrénée de la croissance – un jeu historiquement à somme positive – en un jeu à somme nulle, ou pire, négative. Une telle perspective est en effet inévitable en l’absence d’un découplage absolu entre la production de valeur et l’utilisation de ressources matérielles (en particulier d’énergie fossile) ou d’une modification profonde des motivations économiques et politiques des classes capitalistes dominantes.

Sans cela, la poursuite de l’accumulation en présence d’un surplus matériel en contraction aura des conséquences délétères pour l’ordre géopolitique et macroéconomique mondial, ainsi que pour les équilibres sociopolitiques nationaux, elle ne fera qu’attiser les inégalités et les conflits distributifs entre nations et entre classes sociales.


Nous entrons dans une ère où, face aux limites de la planète et à sa rébellion croissante, le système capitaliste confronté au renforcement simultané de ses autres contradictions structurelles (suraccumulation du capital, crise sociale, surendettement privé et public, accentuation des rivalités intercapitalistes…) va être rattrapé par ses tendances prédatrices et autodestructrices. Une telle perspective signifie la poursuite des pires désastres pour le monde du vivant dans son ensemble.
»

Le refoulement du distributif, Laurent Mermet, 26 nov 2018
Dans cet extrait, Laurent Mermet montre en quoi le refoulement du distributif, où l'on raisonne comme si l'humanité était un acteur constitué et unitaire, et où l'on élude la question des gagnants et des perdants des crises et mutations, débouche sur d'importants points aveugles lorsqu'il s'agit de penser l'action collective face à l'urgence écologique :

Commentaires sous la vidéo

Florian :
« Je trouve pour le moins surprenant de la part d'un militant, de placer le terme "distributif" dans le seul champ géostratégique, alors que de toute évidence c'est dans le plan social que la question de la distribution des ressources se comprend.  La question "comment se défendre ? Qui sommes -nous ?" N'est même pas invitée à se situer dans le social "colonisteur/indigène", "urbains/ruraux", "élite/paysannerie", alors que de toute évidence c'est la seule voie solide de réflexion pour entamer le problème distributif. Pourquoi cette lacune ? »

Laurent Mermet :
« Bonjour, merci pour votre commentaire, mais je ne retrouve pas le second que youtube m'a pourtant permis de lire via ma messagerie mail. Peut-être ne l'avez vous pas publié? Je le résume : c'est le mode de vie des riches qui détruit la planète; la lutte distributive doit donc se terminer par le fait que les pauvres aient le dernier mot; le conflit n'est donc pas géostratégique mais social puisque dans chaque pays il y a des pauvres et des riches qui n'ont pas d'intérêts communs. Je réponds ici aux deux car ils forment un ensemble.

Ma non prise en compte des clivages que vous mentionnez ("élite-paysannerie" par ex) ne résulte pas d'une lacune, mais de deux différences fondamentales de point de vue entre nous. Votre perspective est centrée sur et structurée par la priorité donnée à la réduction des inégalités (et la question écologique est vue uniquement sous ce prisme); et elle s'appuie sur un raisonnement entièrement normatif (sur ce qui doit être moralement). La mienne est centrée sur et structurée par la question écologique (par l'état où nous mettons les écosystèmes); et elle s'appuie sur un raisonnement stratégique (qui donne une place pas exclusive mais importante au réalisme dans la considération des actions pratiques et des rapports de force actuels et futurs).

Il est donc logique que vous ne voyiez absolument pas la contribution très importante des pauvres à la destruction de l'environnement; qu'il vous paraisse impensable que dans certaines communautés ou certains peuples les riches et les pauvres soient en synergie parce que cela leur permet de déployer face aux autres des stratégies plus efficaces et donc mutuellement profitables pour les différentes classes sociales. (Je pense ici entre maints exemples aux travaux de Romain Taravella qui ont montré comment les éleveurs-colons riches et pauvres collaborent efficacement dans la destruction de la forêt amazonienne, et les avantages mutuels qu'ils y trouvent.) De même que l'idée que les ressources iront à ceux qui se seront construit les stratégies et alliances pour y accéder, plutôt qu'à ceux auxquels vous estimez qu'elles devraient revenir de droit doit vous être insupportable.

Pour ma part, j'envisage calmement les multiples façons dont toutes les classes sociales de tous les pays participent, à des degrés divers, à la destruction de l'environnement. Dans la recherche de stratégies pour inverser la destruction, je suis prêt à envisager aussi celles qui ne comportent pas comme préalable prioritaire un programme de réduction des inégalités, parce que ce qui m'importe prioritairement, c'est la résolution des problèmes écologiques. Et enfin, quelle que soit la manière dont se structureront les entités luttant pour les ressources, ce qui m'importent c'est qu'elles n'en restent pas simplement à une lutte d'appropriation, mais aussi à une lutte pour préserver les infrastructures écologiques qui les sous-tendent contre les pressions extrêmes qui risquent de s'exercer. »

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