Comprendre la croissance à l'heure de l'informatisation de la société Michel Volle
Lorsque les usines où se réalise la production physique des biens sont automatisées, l’entreprise devient ultracapitalistique, car l’essentiel du travail nécessaire pour la production est stocké dans la conception, la construction et la programmation des automates. Ce stock constitue un capital, tandis que le flux de travail qui accompagne la production répétitive, réduit à la supervision et à la maintenance de l’automate, devient pratiquement négligeable. On peut donc dire, en poussant à sa limite le schématisme du modèle, que dans cette économie-là, le capital est devenu le seul facteur de production [8] ou, pour parler autrement, que le travail n’y intervient plus que sous forme de stock et non de flux. Il en résulte que cette économie est essentiellement patrimoniale. La richesse d’une entreprise provient non plus du nombre d’ouvriers que ses usines mettent au travail mais de la compétence de ses concepteurs, de la qualité de son organisation, des brevets, plans et programmes informatiques qu’elle a accumulés et de la confiance de ses clients. [...]
comme le coût marginal de production [le coût de la dernière/supplémentaire unité produite] est pratiquement nul [le coût de duplication d'un fichier audio/vidéo, etc, est proche de zéro], la valeur se détache de la quantité produite pour adhérer à la qualité du produit. La fonction d’utilité qui évalue le bien-être du consommateur n’a plus pour argument la quantité qu’il consomme mais la qualité des produits qui lui sont accessibles – et donc leur diversité, où chacun peut trouver la variété qui lui convient le mieux. La satisfaction du consommateur dépend alors de façon cruciale du patrimoine de compétences dont l’ont doté son éducation et sa formation. Il n’est plus le porteur passif d’une fonction d’utilité que pourrait satisfaire une consommation en volume, mais le porteur actif d’une sensation de bien-être qu’il peut manipuler lui-même. Toutes choses égales d’ailleurs en effet, celui qui a par exemple appris à aimer la lecture jouit d’un bien-être supérieur à celui qui ne l’a pas appris, car on peut consacrer tout son temps à la lecture pour un budget modeste. [...]
Pour penser l’informatisation, il faudra retrouver l’énergie créatrice qui, en son temps, a permis à Smith de modéliser l’industrialisation, puis appliquer cette énergie à l’alliage du cerveau d’œuvre et de l’automate que fait émerger l’informatisation. Ce travail n’est pas impossible, mais il sera difficile, car il suppose de rebâtir l’imposant édifice théorique, mathématique, statistique, comptable et institutionnel construit pour faire mûrir les germes que contient l’œuvre de Smith. *L'article sur internet actu -->Comprendre la croissance à l'heure de l'informatisation de la société de Michel Volle
Les politiques, les économistes, les dirigeants des entreprises, la société tout entière portent cependant une responsabilité historique.
Il est sans doute compréhensible, et même normal, qu’un changement de système technique suscite un désarroi, de l’inefficacité, et donc une crise à la fois économique, sociologique et mentale pendant une période de transition. L’histoire montre en effet que les sociétés, lorsqu’elles rencontrent une telle situation, sont tentées par un suicide collectif : les guerres de religion ont fait suite à la Renaissance, des guerres européennes puis mondiales ont fait suite à la première (1775) puis à la deuxième (1875) révolution industrielle. Des totalitarismes, enfin, ont cru conforter l’alliage qui sous-tend l’industrialisation en assimilant l’être humain à la machine – mais cela revenait, en fait, à nier cet alliage en le réduisant à une seule de ses composantes.
Nous avons aujourd’hui le choix : bâtir une civilisation ultra-moderne dont l’architecture reste à définir, ou subir une barbarie ultra-violente. On voit déjà s’amorcer le retour à la prédation féodale et aussi l’assimilation de l’être humain à l’ordinateur.
Si on se souvient des précédents historiques, il est probable que notre société ne pourra accéder à la civilisation qu’après un passage par la barbarie. Il faut faire en sorte, pour limiter les dégâts, que ce passage soit le plus bref possible : c’est en cela que réside la responsabilité des générations actuelles.
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