Crise sécuritaire au Sahel & au Mali, revue de web

Les forces armées françaises ont quitté le Mali le 15 août 2022 après y être entrées en janvier 2013 soit plus de 9 ans de présence. L’occasion pour moi de vous proposer cette revue de web, car au-delà de la menace terroriste islamiste, je n’avais pas compris grand chose aux problèmes du Sahel. Aviez-vous, par exemple, assimilé que la chute du régime de Kadhafi orchestrée par les états français et britanniques fut un des déclencheurs de la violence armée au nord du Mali ? Ou encore, saviez-vous qu’une bonne part des conflits dans le centre du pays (delta central du Niger) ont pour origine le partage et la répartition des ressources agricoles ? Cette revue est ordonnée de manière chronologique. Les passages en gras sont de mon fait.

[L']ignorance du tissu social local est le talon d’Achille des interventions militaires en terre étrangère (comme d’ailleurs plus largement des interventions policières dans les ghettos, les cités ou les favelas). Ce n’est pas un constat nouveau. C’est pour cela que, à une époque lointaine, Napoléon (puisqu’il en est tant question aujourd’hui) a perdu la guerre en Espagne (c’est un aspect oublié de son règne), et que, plus près de nous, les États-Unis ont perdu la guerre du Vietnam, et maintenant la guerre d’Afghanistan (qu’auparavant les Russes avaient d’ailleurs perdue eux aussi pour la même raison). (Jean-Pierre Olivier de Sardan anthropologue franco-nigérien, De Barkhane au développement : la revanche des contextes, AOC media, 14 juin 2021)
 

Mali : les fantômes du Sahel [documentaire + interview, 51'], Olivier Joulie et Laurent Hamida, Arte, 7 juil. 2012

« 10 avril 2012 : les touaregs du Mouvement National de Libération de l'Azawad déclarent unilatéralement l'indépendance d'un territoire grand comme deux fois la France dans le Nord du Mali.

Au lendemain de l'insurrection, une équipe d'Arte Reportage a pu se rendre au milieu des frontières poreuses du Sahel pour tenter de décrypter une situation extrêmement volatile et complexe où s'entremêlent différents mouvements : nationalistes Touaregs, groupes islamistes et djihadistes d'AQMI. Ces derniers, bêtes noires des chancelleries occidentales, ne cachent pas leur ambition : profiter du chaos pour enraciner le djihad aux portes de l'Europe.

Olivier Joulie et Laurent Hamida ont pu passer plusieurs jours à Gao, capitale du nouvel Etat revendiqué par les Touaregs, ville symbole devenue aujourd'hui l'enjeu de tous les combats politiques. Puis, ils ont traversé les régions désertiques du Nord, fiefs des brigades de combattants d'AQMI, véritable plaie pour la région et pour les mouvements nationalistes touaregs si souvent associés à tort à des salafistes. A la frontière avec l'Algérie, puissance incontournable de la région -- l'aviation algérienne viole discrètement et en toute impunité l'ancien territoire du Mali - des réfugiés, piégés au milieu de nulle part, entre les deux pays, sont abandonnés de tous.

Stigmate d'un conflit post-colonial, vieux de presque 50 ans, notre équipe découvre la violence d'une guerre qui oppose Bamako aux Touaregs de la région depuis l'indépendance. Villages détruits, politique de terre brûlée, répression sanguinaire sur les populations : un terreau propice à l'enracinement et à la prolifération d'un islamisme radical qui tisse sa toile en se nourrissant des tensions régionales. Comme en Somalie ou dans les zones tribales pakistanaises... Ali témoigne de son parcours depuis l'armée malienne jusqu'aux combattants d'AQMI, l'endoctrinement par des prêcheurs venus du Pakistan, avant de rejoindre le mouvement indépendantiste Touareg.

Le constat est inquiétant. Face au statu quo militaire entre l’État malien en déliquescence, une organisation africaine, la CEDEAO, incapable de mettre sur pied une force militaire crédible, l'immobilisme de la communauté internationale, le Mouvement National de Libération de l'Azawad, qui représente peut-être aujourd'hui un dernier rempart contre l'intégrisme, risque de se faire dépasser par des éléments étrangers et radicaux. Dans cette hypothèse, la région échapperait alors à tout contrôle...

Sur les terres ancestrales touareg, aujourd'hui devenues aussi des fiefs djihadistes, Olivier Joulie et Laurent Hamidou nous montrent le retour de certains fantômes : rébellions, exactions, réfugiés, dénuement. Une zone grise si proche de l'Europe. Des images rares et des témoignages poignants. »

La France en guerre au Mali, Ignacio Ramonet, Mémoire des luttes, 31 jan. 2013

« L'’année 2013 a commencé, en France et dans la région du Sahel, au son du canon. Dès le 11 janvier, le président François Hollande, sans consulter le Parlement, dépêchait en urgence, au Mali, un corps expéditionnaire pour stopper une offensive jihadiste qui menaçait de fondre sur Bamako. (...)

il y a la vieille revendication nationaliste touarègue. Les Touaregs, ou « hommes bleus  », ne sont ni Arabes, ni Berbères. Ce sont les habitants historiques du Sahara dont ils contrôlent, depuis des millénaires, les routes caravanières. Mais les partages entre puissances coloniales ont fragmenté leur territoire à la fin du XIXe siècle. Et lors des indépendances, dans les années 1960, les nouveaux Etats sahariens ont refusé de leur reconnaître ne serait-ce qu’une autonomie territoriale. (...)

C’est pourquoi, en particulier au nord du Mali (que les Touaregs appellent Azawad) et au Niger, les deux pays où se situent les principales communautés touarègues, des mouvements armés de revendication nationale sont apparus très tôt. De grandes rébellions touarègues ont eu lieu en 1960-1962, puis en 1990-1995, en 2006 et encore en 2007. A chaque fois, conduites par les armées malienne et nigérienne, les répressions ont été féroces. Fuyant les massacres, de nombreux combattants touaregs se sont alors enrôlés, en Libye, dans la Légion touareg du colonel Mouammar Kadhafi... (...)

La deuxième cause de la situation actuelle se trouve dans la guerre civile algérienne du début des années 1990. Après l’annulation des élections de décembre 1991, virtuellement remportées par les islamistes du Front islamique du salut (FIS), cette guerre vit s’affronter les forces armées algériennes contre les insurgés du Groupe islamique armé (GIA). Une organisation très aguerrie dont de nombreux combattants revenaient d’Afghanistan où - qualifiés par Ronald Reagan de « freedom fighters  » - ils avaient fait la guerre aux côtés des moudjahidines contre les Soviétiques avec l’appui des Etats-Unis... Le conflit algérien coûta la vie à quelque 100 000 personnes. Il se termina par la victoire des autorités algériennes et par la reddition des guérillas islamistes. Cependant une fraction dissidente, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), décida de poursuivre la lutte armée. Traqué par les forces algériennes, il chercha alors refuge dans l’immensité du Sahara, fit allégeance à Oussama Ben Laden et à Al-Qaeda en 2007, et prit le nom de Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Ses principales actions consistent, depuis, à enlever des étrangers, échangés contre d’importantes rançons. Son terrain de chasse se situe au Sahel, région aride et semi-désertique qui s’étend du Sénégal jusqu’au Tchad, en passant par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. (...)

Enfin, la troisième cause est l’attaque des forces de l’OTAN contre la Libye, en 2011, et le renversement du colonel Kadhafi. Pour parvenir à cet objectif, la France et ses alliés (en particulier le Qatar) n’avaient pas hésité à armer des mouvements islamistes hostiles à Kadhafi. Mouvements qui remportèrent la victoire sur le terrain. Avec trois conséquences : 1) l’effondrement et la décomposition de l’Etat libyen toujours en proie, aujourd’hui, à des luttes meurtrières entre provinces, milices et clans ; 2) la distribution de l’arsenal militaire de Kadhafi aux mouvements jihadistes de l’ensemble du Sahel ; 3) le retour vers le Mali d’une partie de la Légion touareg surarmée et bien entraînée. (...)

L’autre argument est que les salafistes d’ Ançar Dine appliquent la sharia à Tombouctou, détruisent des monuments du passé et « coupent des mains  ». Et que cela est « intolérable  ». C’est vrai. Mais, en se comportant ainsi les salafistes ne font qu’obéir à la doctrine wahhabite que l’Arabie saoudite répand, avec l’aide du Qatar - pays également wahhabite -, dans l’ensemble du monde musulman, et notamment au Sahel, à coup de millions de petrodollars. Or la France entretient les meilleures relations du monde avec l’Arabie saoudite et le Qatar, deux pays qui sont même ses principaux alliés actuellement en Syrie dans le soutien aux insurgés islamistes et salafistes [8]... (...)

Paris ne dit mot de deux autres arguments qui ont vraisemblablement compté à l’heure de déclencher l’opération Serval. L’un est économique et stratégique : le contrôle de l’Azawad par des organisations salafistes aurait entraîné, à plus ou moins longue échéance, une offensive des rebelles sur le nord du Niger où se situent les principales réserves d’uranium exploitées par l’entreprise française Areva et dont dépend tout le système nucléaire civil de la France. Paris ne peut le permettre [9].

L’autre est géopolitique : à un moment où, pour la première fois dans l’histoire, l’Allemagne domine l’Europe et la dirige d’une main de fer. La France, en exhibant sa force au Mali, veut montrer qu’elle demeure, de son côté, la première puissance militaire européenne. Et qu’il faut compter sur elle. »

Mali : les véritables causes de la guerre, Basta!, 4 fév. 2013

« Tout était en place pour que le Mali s’effondre et que le Sahel explose. Affaibli par les politiques d’austérité du FMI, longtemps paralysé par la Françafrique, victime du réchauffement climatique et de multiples sécheresses, le Mali est devenu l’une des pièces centrales du nouveau grand jeu sahélien. Revendication touarègue, djihadistes enrichis par le narcotrafic, déstabilisation libyenne et ambiguïtés algériennes, financements occultes saoudiens, stratégie à court terme des États-Unis et de l’Union européenne... Voici toutes les raisons de la guerre.

Sécheresses, sous-développement et rébellion dans le nord (...)

Le réchauffement climatique (...)

La dette et le FMI (...)

L’arrivée des djihadistes (...)

Le Sahel : arrière-cour de Kadhafi et des généraux algériens (...)

Quand l’Europe finance indirectement les groupes armés

 (...) La Libye de Kadhafi a signé des accords avec l’Union européenne en vue de contenir les dizaines de milliers de migrants africains qui transitaient par la Libye pour tenter d’accéder aux côtes européennes. Avec l’aide de Frontex, l’agence quasi-militaire européenne de gestion des migrants, Kadhafi a non seulement créé des camps de rétention, mais il a généralisé les expulsions des migrants africains vers le désert. Du pain béni pour les filières de trafic humain, majoritairement contrôlées par les groupes armés et djihadistes sévissant dans le Sahel. Ce trafic demeure une source majeure de leur financement. (...)

Accaparement de terres : un facteur de guerre ? (...)

Les conséquences non maîtrisées de la chute de Kadhafi
 (...) Lorsque Kadhafi et son régime disparaissent, ce sont d’un côté de très nombreuses armes et des centaines d’hommes aguerris qui s’exilent dans le Sahel ; et de l’autre, des flux de plusieurs centaines de milliers d’euros qui se tarissent. Pour un pays dont plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour, c’est une importante manne qui s’envole. Après avoir appuyé militairement le renversement du régime libyen, les puissances de l’Otan auraient dû prévoir ce vide causé par la chute du colonel et le combler. Cela n’a pas été fait. (...)

Le business des prises d’otages (...)

Les narcotrafiquants latino-américains (...)

Les pétrodollars saoudiens et qataris (...)

Une corruption généralisée (...)


L’échec du modèle français et américain de sécurité (...)

Le Mali, au cœur d’un nouveau « grand jeu » ? (...) »

Mali mode d'emploi 1/3 [entretien, 36'], Médiapart, 5 fév. 2013

« Nous vous proposons en une série vidéo exceptionnelle un tableau du Mali, aux lendemains de l'expédition militaire française. Premier volet avec les universitaires Pierre Boilley, Ophélie Rillon, Alexis Roy et Johanna Siméant : l'ancien Soudan français, les divisions du pays, ses bégaiements démocratiques, le rôle des femmes. »

Comprendre la situation au Mali en 5 minutes, Le Monde, 28 avr. 2015

"A travers une carte animée, "Le Monde" vous propose un décryptage de la situation géopolitique du Mali, désormais terrain de guerre de l'armée française."

« Cellule de crise » sur la guerre du Mali : le coup de gueule de Jean-Christophe Notin, l'Opinion, 3 oct. 2016

« Auteur d’un livre de référence, il regrette notamment que le rôle de la DGSE soit ignoré.

France 2 a diffusé dimanche soir l’émission Cellule de crise, présentée par David Pujadas et consacrée à la guerre du Mali. Jean-Christophe Notin, auteur du livre de référence sur le sujet ( « La guerre de la France au Mali » Tallandier 2014) et de deux documentaires télévisés pour France 2 (Pour Envoyé spécial et Infrarouges), a vu l’émission. Il n’a pas vraiment apprécié le contenu, regrettant notamment l’ignorance du rôle de la DGSE. Voici sa réaction :

(...) j’avais eu l’outrecuidance d’écrire que c’est essentiellement sur la base des analyses pures de ce service de renseignement que le président de la république (très bien conseillé de son côté par le ministre de la défense, au rôle premier dans toute cette opération) avait viré sa cuti – laquelle lui dictait de longue date de ne surtout pas mettre un brodequin français au Mali. Je pensais, en effet, pour les avoir très longuement recherchées, qu’il n’existait nulle preuve formelle « des » colonnes de djihadistes déferlant vers le sud – comme elles avaient alors été présentées au grand public. « Cellule de crise » nous apprend enfin que « la » colonne, « 70 pick-up », indifférents aux satellites, drones et avions dont AQMI & Co ignoraient naturellement l’utilisation par leurs ennemis, a bel et bien été aperçue. Et par souci de ne pas trop en faire, elle a eu la délicatesse de ne pas nous en fournir les clichés… (...) »

Djihad, révolte et auto-défense au centre du Mali, Yvan Guichaoua & Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, The Conversation, 12 oct. 2016

« Alors que le conflit au nord du Mali s’enlise, un autre foyer d’instabilité politique lui conteste l’attention des observateurs. Il est situé dans le centre du pays et comprend deux espaces principaux : le cœur du Macina (région historico-politique peule, entre Mopti et Ségou), et le Hayré (cercle de Douentza, plus au nord et à l’est de la région de Mopti).»

 

[Tribune] Terrorisme au Sahel : c’est en brousse que tout se joue, Jean-Pierre Olivier de Sardan anthropologue franco-nigérien, Jeune Afrique, 25 fév. 2020

« Face à la progression des groupes jihadistes et de leur « gouvernement indirect » dans les zones rurales au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les gouvernements et leurs armées doivent regagner la confiance populaire dans les brousses et les campagnes. »

 

Les Oubliés [documentaire, 30'], Ousmane Samassékou, 12 oct. 2020

« Sory Kondo est un jeune journaliste malien qui tente de rejoindre son village d'origine Kouakourou dans la région de Mopti, actuellement occupée par des djihadistes. Au cours de son trajet, Sory rencontre différentes personnes, au sud, au nord et au centre du pays, touchées par l’insécurité au Mali.

Le film a été réalisé entre décembre 2018 et février 2019. Une grande partie du film touche à la problématique du centre du pays. L’angle étant de donner la possibilité aux communautés s’exprimer sur leurs propres situations.

Ce film est crucial pour comprendre l’enjeu actuel de la sécurité au centre du Mali. Il est raconté dans une perspective malienne avec des histoires personnelles, le rendant plus intime et proche du sujet que tout autre documentaire actuellement disponible sur le sujet. »

 

De Barkhane au développement : la revanche des contextes, Jean-Pierre Olivier de Sardan anthropologue franco-nigérien, AOC media, 14 juin 2021

« Emmanuel Macron a annoncé jeudi 10 juin la fin prochaine de l’opération Barkhane, destinée à lutter contre les insurrections jihadistes au Sahel. Le bilan plus qu’incertain de huit ans d’intervention française s’explique en partie par l’ignorance du tissu social local et la méconnaissance du terrain. Mais les militaires ne sont pas seuls à être soumis à cette « épreuve du terrain », que l’on pourrait plus exactement appeler « l’épreuve des contextes ». Elle touche aussi l’aide au développement, soumise aux mêmes problèmes fondamentaux que le domaine de la guerre. »


Sahel : refonder la politique de la France [interview, 5'], RFI, 28 juin 2021

« Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur au Lasdel à Niamey, Jean-Pierre Olivier de Sardan est signataire de l’Appel pour une refondation de la politique sahélienne de la France, initié par Oxfam et le CCFD, signé par une vingtaine d’organisations humanitaires et de développement, mais aussi par de nombreux chercheurs et journalistes. Il est également l’auteur d’un article cinglant, « De Barkhane au développement, la revanche des contextes ». »

Implosions fragmentaires au Sahel, Le Comptoir, 29 juin 2021

« Le 11 juin 2021, Emmanuel Macron a acté la fin prochaine de l’intervention française au Sahel, sans toutefois annoncer de calendrier précis et en contestant l’idée d’un retrait massif des troupes envoyées sur place. Cette décision, qui va dans la continuité de la politique erratique de l’État français dans cette zone, intervient dans un contexte où la menace du terrorisme islamique menace plus que jamais l’équilibre des pays d’Afrique de l’Ouest, laquelle a déjà provoqué le déplacement forcé de deux millions de personnes et une crise humanitaire majeure.

Depuis la fin de la présence coloniale française et leur accès à l’indépendance, les États de la bande sahélienne peinent à s’affirmer et à être légitimes auprès de leurs populations, faute de projets collectifs fédérateurs et de structures politiques fiables. Les dirigeants en place s’appuient le plus souvent sur des réseaux clientélistes, adoptent des politiques contraires aux intérêts de leurs populations, et font systématiquement usage de la répression face aux contestations de la rue. Par exemple au Mali, l’armée nationale est généralement mal vue par la population en raison de son caractère autoritaire et peu protecteur – les soldats procèdent souvent à des arrestations abusives et injustifiées au nom de la sûreté d’État et tuent plus de civils que les milices d’autodéfense et les groupes terroristes mis ensemble. (...)

Sur le plan économique, les pays du Sahel, riches en ressources minières et pétrolières, sont loin de s’être développés depuis plusieurs décennies, leur économie étant essentiellement fondée sur l’extraction de matières brutes en échange d’une rente captée par les partis au pouvoir. Le Niger est à ce titre un paradoxe à lui tout seul, quand l’on sait que le pays a un sous-sol est riche en uranium qui sert à alimenter les centrales nucléaires françaises alors que ses villages sont sous-équipés en équipements électriques. (...)

les États sahéliens ne prennent pas pour autant le chemin de l’émancipation en créant de nouveaux partenariats avec la Chine, dont les parts de marché à l’exportation ont été multipliées par six, passant de 3% à 18% entre 2000 et 2017. Or, la puissance asiatique, en échange de prêts exorbitants importe essentiellement des matières premières et inonde les marchés africains de produits de consommation qui tuent les économies locales dans l’œuf. (...)

Enfin, le facteur environnemental est devenu primordial depuis une dizaine d’années et participe à la déstabilisation des modes de vie traditionnels, engendrant des tensions intercommunautaires entre peuples qui vivaient jusque-là en bonne intelligence – tensions dont tirent profit à merveille les terroristes islamistes. Au Mali, la cohabitation entre Peuls, peuple nomade, et Dogons, peuple sédentaire, a toujours été pacifique. Seulement, le changement climatique occasionne une réduction des surfaces agricoles disponibles, et par conséquent des conflits de ressources entre éleveurs et agriculteurs qui n’existaient pas avant. Les États de la bande sahélienne étant déjà en situation de stress hydrique, cette situation est amener à s’aggraver si l’État malien ne reprend pas en main la situation et ne met pas en œuvre des solutions viables pour nourrir sa population. (...)

La stratégie française au Sahel n’est pas non plus dépourvue d’incohérences, comme l’illustrent les prises de position contradictoires d’Emmanuel Macron ces derniers mois. En effet, le président français a soutenu le coup d’État au Tchad intenté par l’un des fils d’Idriss Deby, qui dirigeait le pays d’une main de fer jusqu’à sa mort en mars 2021. A contrario, quand le vice-président Assimi Goïta annonce avoir destitué l’exécutif et pris le pouvoir, la France annonce le 3 juin la suspension à titre temporaire des opérations menées avec les forces armées maliennes. Le soutien de Macron au fils d’Idriss Deby est loin d’être anodin ; d’une part, l’armée tchadienne est l’une des plus puissantes d’Afrique subsaharienne et a un rôle primordial dans la lutte antiterroriste, contrairement aux armées des autres États sahéliens qui sont plus désorganisées et moins professionnelles. D’autre part, Idriss Deby était un allié de longue date des différents présidents français et aurait contribué au financement de la campagne de candidats français à la présidence en 2017, notamment celles d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. »

Sahel : derrière les succès tactiques, l'impasse politique [podcast, 92'], Le Collimateur, 19 oct. 2021

« Invitée : Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network (ASSN) https://www.niagale-bagayoko.fr

4:30 Les origines de l’instabilité sahélienne
16:00 L’opération Serval et ses suites
25:30 La galaxie jihadiste au Sahel et les ressorts de leur progression
38:00 Ibrahim Boubacar Keïta, son renversement par des militaires, et les maux de l’armée malienne
45:00 Le G5 Sahel, ses difficultés et les échecs de la coopération militaire
1:00:30 Les tensions actuelles avec le pouvoir malien
1:12:00 Difficultés diplomatiques et arrivée de la Russie dans le jeu malien
1:21:00 Les pistes politiques de sortie de l’impasse »


Mali, les sacrifiés du Sahel [documentaire, 52'], Peggy Bruguière et Marlene Rabaud, LCP, 30 nov. 2021

« Alors que le Mali vient de connaître un coup d'Etat qui a porté de jeunes militaires au pouvoir, le film s'interroge sur le devenir politique du pays. Grâce aux témoignages de soldats radiés, de veuves ou de lanceurs d'alerte, les rouages d'un système corrompu au coeur duquel l'armée occupe une place prépondérante, sont mis à jour. Deux questions guident le film : comment en est-on arrivé là et comment peut-on s'en sortir ? »

Guerre au Mali, coulisses d'un engrenage [documentaire, 83'], Jean Crépu, Arte, 2021

« Raconté de l'intérieur par des Maliens et des Français, cet état des lieux de neuf ans d'une guerre perdue contre le djihadisme éclaire les raisons et les enjeux de la rupture survenue entre Bamako et Paris.

Le 17 février dernier, la France a confirmé le retrait programmé de ses troupes stationnées au Mali dans le cadre de l'opération Barkhane, sur fond de crise diplomatique ouverte avec le gouvernement putschiste à Bamako. Accueillie en libératrice en janvier 2013, quand le président François Hollande lançait l'opération Serval pour libérer le nord du pays des groupes armés djihadistes qui en avaient pris le contrôle, l'armée française, engagée depuis maintenant neuf ans aux côtés des soldats maliens puis des 11 000 Casques bleus déployés par l'ONU, n'aura pu empêcher de larges portions du territoire de retomber sous l'emprise des combattants islamistes. Pour dérouler sur plus de deux décennies le drame en trois actes qui a précédé cette défaite, Jean Crépu ("Coup de poker sur l'essence") donne la parole à de très nombreux acteurs, observateurs et citoyens maliens, et, en contrepoint, à des militaires, diplomates et analystes français. De la capitale aux confins septentrionaux du pays, du haut au bas de l'échelle sociale, il donne ainsi à voir et à entendre comment les Maliens ont vécu, et surtout subi, les événements.

Fuite en avant

Au début des années 2000, des guerriers islamistes algériens qui refusent de négocier avec le gouvernement franchissent la frontière poreuse de 1 300 kilomètres qui sépare leur pays du Mali. Trafic de drogue et prises d'otages aidant, les groupes djihadistes prospèrent dans l'indifférence de l'État malien. En 2011, après l’intervention occidentale en Libye et la chute de Kadhafi, quelques milliers de soldats touareg ayant servi le régime de Tripoli regagnent le Mali avec leurs armes. Les djihadistes, au sein desquels vont émerger les chefs maliens Iyad Ag Ghali puis Amadou Koufa, s'allient alors (provisoirement) aux indépendantistes touareg pour conquérir les villes de Ménaka, Tombouctou, Gao, Kidal… L'État malien s'effondre, la France intervient, puis, aveuglée par sa victoire facile, s'enlise avec ses partenaires internationaux dans une fuite en avant onéreuse. Tandis que la corruption s'envole avec les millions de l'aide au développement et que la prétendue démocratie malienne abandonne à leur sort le nord et le centre, les djihadistes, en l'absence de tout remède politique et économique, regagnent le terrain perdu et étendent leur empire… Un "engrenage" qui a précipité la rupture entre les deux pays, et dont ce documentaire retrace de l'intérieur les multiples facettes. Du niveau local à la géopolitique régionale et mondiale, il restitue les principales étapes et les enjeux de cette guerre perdue, qui clôt un épisode entamé à la fin du XIXe siècle avec la colonisation du Mali. »
 

Crise sécuritaire dans l’espace sahélien. Évolutions récentes et futurs possibles [table-ronde, 91'], Futuribles, 30 juin 2022

« Dr Niagalé Bagayoko, docteure en Science politique, et actuellement présidente de l’African Security Sector Network (ASSN) a présenté, lors d'une table ronde à Futuribles International le 30 juin 2022, les évolutions récentes des conflits dans l'espace sahélien et a esquissé des futurs possibles pour le Sahel dans les années à venir. Cette table ronde était animée par Thierry Hommel, directeur de Thierry Hommel Conseil, économiste, enseignant à l’École nationale des ponts et chaussées, directeur du Forum prospectif de l'Afrique de l'Ouest et conseiller scientifique de Futuribles International. »

Mali. Où va la « rectification » ?, Yvan Guichaoua & Lamine Savané, Afrique XXI, 2 août 2022

« Le pouvoir militaro-civil issu du coup d’État d’août 2020 a connu, après neuf mois d’existence, une « rectification » aux conséquences lourdes mais aux ressorts encore flous. Le parcours de deux figures centrales de ce régime, le colonel Sadio Camara et le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, illustre l’opportunisme des nouveaux maîtres du pays et l’assemblage politique fragile qui en résulte. »

42 soldats maliens tués lors d'une attaque djihadiste: décryptage du Dr Niagalé Bagayoko [interview, 5'], FranceTv Info, 11 août 2022

 

La France expulsée du Mali [chronique, 3'], France Inter, 16 août 2022

« Après presque 9 années de présence au Mali, la France doit plier bagages (et soldats). Une première pour Paris qui, en un demi-siècle, est intervenu une quarantaine de fois en Afrique. (...)

nous avons prétendu battre des organisations djihadistes locales ou internationales avec des moyens militaires et non de contre-terrorisme. Dans les deux cas, c’était perdu d’avance !
Non pas que l’armée française ait démérité au Mali, mais toutes les victoires tactiques d’une armée expéditionnaire ne produisent à la fin que des échecs stratégiques. Au fur et à mesure, l’ennemi s’aguerrit, se renforce et gagne en prestige !

Avec les opérations Serval, puis Barkhane : d’un conflit qui, en 2013, restait confiné aux marges du désert algérien et au nord du Mali, on aboutit aujourd’hui à au moins trois pays impliqués : Mali, Niger, Burkina Faso ! L’année dernière, plus de 2 500 actes terroristes ont été recensés entre les trois pays faisant 6 000 morts. Quel Echec !

Les autres erreurs de Paris ?
Paris a fait au Mali de la « Françafrique » à l’ancienne, c’est-à-dire envoyer l’armée d’abord, papoter ensuite. En 60 ans, la France est intervenue pas moins d’une quarantaine de fois en Afrique et toujours de cette façon.

La Grande-Bretagne qui, elle aussi, est une ancienne puissance coloniale, n’est – à titre de comparaison – intervenue militairement qu’une fois depuis les indépendances : au Sierra Leone, en 2000, sous Tony Blair.

De plus, la France au Mali s’est mêlée de politique intérieure malienne, en soutenant, par exemple, des organisations touarègues au nord du Mali, les dédouanant de l’opprobre « djihadiste » pour leur confier un rôle de maintien de l’ordre.

Déjà, à l’époque de la Coloniale, les militaires et responsables français avaient un faible pour les « hommes bleus » du désert, qu’ils considéraient comme des guerriers valeureux. Des seigneurs en somme. Les réflexes reviennent vite !

Mais pour Bamako, qui subit depuis des décennies les rébellions touarègues méprisant les populations noires du sud, les accords de paix d’Alger de 2015 qui les obligeaient à partager le pays en zone d’influence, étaient insupportables. Enfin, trop d’indulgence envers des pouvoirs (qui ont) faillis a fini de décrédibiliser Paris.

On ne peut pas réclamer un processus démocratique exemplaire au Mali et soutenir une succession dynastique au Tchad. On ne peut pas appuyer des décennies durant un régime militaire au Burkina Faso – celui de Blaise Compaoré - et en menacer un autre à Bamako.
Ces contradictions-là se paient très cher, alors même que la France est un des seuls pays du monde occidental à avoir fait de l’Afrique une priorité stratégique. Mais, il faut que Paris purge son passé et ses pratiques coloniales si elle veut avoir un avenir en Afrique. »

Terrorisme au Sahel : l’heure du bilan est venue, Bernard Lugan, 17 août 2022

« Réflexion sur le déroulement de l’histoire récente de la Bande Sahelo Saharienne (BSS) et des déboires de Serval et Barkhane par notre ami Bernard Lugan. (...)

Au Sahel, la situation semble être désormais hors contrôle. Exigé par les actuels dirigeants maliens à la suite des multiples maladresses parisiennes[1], le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), leur offrant même une base d’action pour déstabiliser le Niger, le Burkina Faso et les pays voisins. Le bilan politique d’une décennie d’implication française est donc catastrophique. »

 

Mali : la reconquête jihadiste [émission, 52'], Cultures Monde, France Culture, 1 sept 2022

« La multiplication des attaques contre l’armée malienne au mois de juillet révèle un défi majeur pour ce pays isolé depuis l'arrivée de la junte militaire au pouvoir : la montée des nombreux groupes armés sur fond d’insécurité grandissante.

avec : Boubacar Haidara (Chercheur au LAM de Sciences Po Bordeaux, chargé de cours à l’Université de Ségou), Niagalé Bagayoko (Docteure en science politique, diplômée de l'Institut d'Études Politiques (IEP) de Paris et spécialiste des politiques internationales de sécurité et de la réforme des systèmes de sécurité en Afrique de l’Ouest), Tanguy Quidelleur (Chercheur en sciences politiques).

Depuis 2021 et l’arrivée du colonel Assimi Goïta à la tête du pays, l’Etat malien est concurrencé par l’essor des jihadistes, organisations criminelles et autres groupes d’autodéfenses communautaires qui pullulent sur son territoire. Parmi ces bandes armées, le Groupement de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, l’une des deux plus grosses organisations terroristes du pays, qui a coordonné une quinzaine d’offensives contre l’armée malienne fin juillet, dont une dirigée contre le camp militaire de Kati, à quelques encablures de Bamako. Un attentat qui en augure d’autres à en croire les déclarations de l’organisation terroriste, qui promet de frapper la capitale malienne.
Les forces jihadistes peuvent-elles faire tomber le régime d’Assimi Goïta ? Quelles logiques de subsistance mais aussi d’antagonismes identitaires alimentent la spirale de la violence qui sévit tout particulièrement dans le nord et le centre du pays ? (...)

Boubacar Haidara affirme: "La principale évolution de la situation sécuritaire au Mali ne se situe pas à partir du retrait français mais depuis le début de l’année 2002. Avec l’arrivée des russes, qu’ils soient instructeurs ou membres de Wagner, on a constaté un changement de démarche, de stratégie, de doctrine militaire sur le terrain malien." (...)

Niagalé Bagayoko a par exemple expliqué que "le régime se révèle de plus en plus autoritaire, et porte atteinte aux libertés, notamment celle d’expression". »


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A lire :

A écouter : les interventions de Niagalé Bagayoko docteur en sciences politiques, spécialiste des politiques de sécurité internationales menées en Afrique subsaharienne, ainsi que des mécanismes africains de gestion des conflits.

Playlist YouTube : Crise sécuritaire au Mali & au Sahel

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