Empreinte Carbone, kesako

Certains passages en gras rajoutés. Allez lire les articles en entier; cela ne vous prendra pas beaucoup plus de temps:)

Analyse : le concept d'empreinte carbone a-t-il été inventé par les pétroliers ?, Bon Pote, 25 oct. 2022

« L’empreinte carbone est un outil particulièrement efficace pour savoir si son mode de vie est compatible avec un monde soutenable. En cinq minutes et quelques clics, vous obtenez un résultat, traduisant votre participation plus ou moins grande au changement climatique. C’est ainsi que les résultats oscillent généralement entre 2 et 30 tonnes CO2eq/an, avec une moyenne française à environ 10 tonnes CO2/eq.

Mais cela fait des années que j’entends et lis que le concept d’empreinte carbone a été inventé et/ou popularisé par les grands groupes pétroliers. Que cela soit par des personnes bien ou mal intentionnées, bien ou mal informées, le constat est le même : il faut se méfier de cet outil, qui servirait les intentions des groupes pétroliers et ferait donc perdurer notre système basé sur les énergies fossiles. Des activistes climat aux politiques, ce concept d’empreinte carbone n’a pas que des alliés. (...)

L’invention du concept d’empreinte carbone est une chose. Mais pour que le concept ait une signification pour le grand public et qu’il dépasse la recherche scientifique, il a fallu une aide extérieure. Cette aide extérieure est principalement venue de deux acteurs, British Petroleum (BP) et Ogilvy. Dès le début des années 2000, BP, l’un des plus grands producteurs d’énergies fossiles au monde, cherchait à redorer son blason et pour cela, il a choisi des méthodes éprouvées par l’industrie du Tabac.

En juillet 2000, BP a dépensé 200 millions de dollars de publicités pour annoncer leur changement de logo et slogan “Beyond Petroleum” (au-delà du pétrole). Un nouvel horizon, où BP investirait dans les énergies renouvelables et sortirait progressivement des énergies fossiles. Nous connaissons la suite. BP a continué de lancer de nouveaux projets fossiles partout dans le monde en y investissant des milliards, et fait partie des entreprises les plus polluantes au monde, scope 3 inclus. (...)

Depuis deux décennies, les groupes pétroliers ont changé de stratégie pour continuer le Business as Usual. Ils reconnaissent désormais que le changement climatique est d’origine anthropique, mais que les efforts sont avant tout à faire du côté des individus. C’est une stratégie adoptée par l’industrie du Tabac et qui a été reprise avec succès par BP, ExxonMobil, Total etc. Cette étude de Naomi Oreskes et Geoffrey Suppran le met remarquablement en évidence :

Les chercheurs ont constaté qu’aux alentours de l’an 2000, une nouvelle tendance est apparue dans les communications de l’entreprise destinées au public. Les publicités ont commencé à se concentrer sur la façon dont les consommateurs utilisent l’énergie. « Soyez intelligent en matière d’utilisation de l’électricité », suggère un publireportage de 2007, qui poursuit : « Chauffez et refroidissez votre maison efficacement ». « Améliorez votre consommation d’essence. » « Vérifiez les émissions de gaz à effet de serre de votre maison ».

Les scientifiques ne cessent pourtant de rappeler que sans changements structurels, il n’y a aucune chance de voir arriver la transition écologique. C’est ainsi aux investisseurs, aux États, aux collectivités locales et aux entreprises de prendre les initiatives de ce changement de système.

Cette stratégie de la redirection sur l’individu est également utilisée par les gouvernements, à l’instar du gouvernement Macron qui propose tour à tour d’arrêter d’envoyer des emails rigolos à ses amis, ou de couper le wifi. C’est l’un des discours de l’inaction climatique, très utilisé par les climato-rassuristes, qui sont aujourd’hui les pires ennemis de la lutte climatique. (...)

L’intérêt du simulateur d’empreinte carbone est multiple. Tout d’abord, c’est un formidable outil d’information et il suffit de voir les commentaires après utilisation (sur Bon Pote ou ailleurs) pour voir l’effet. Un utilisateur peut savoir en quelques minutes quel est son impact sur le climat, avoir les ordres de grandeur en tête et savoir où agir pour réduire le plus rapidement et facilement possible. Si vous prenez l’avion ou si vous avez une utilisation très importante de votre voiture, le résultat parlera de lui-même.

Cet outil permet également de rapidement voir les limites de ce que vous pouvez faire et ce que nous devons collectivement souhaiter : un changement structurel. N’espérez pas un développement de la mobilité active via le vélo si les infrastructures sont inexistantes. Les personnes qui n’ont pas d’autres choix que de prendre leur voiture n’arrêteront jamais s’il n’y a pas d’alternatives crédibles et accessibles à toutes et tous. Ce n’est pas pour autant qu’il faut négliger les gestes individuels, indispensables pour lutter contre le réchauffement climatique. (...)

Si tous les habitants de cette Terre savaient ce qu’était une empreinte carbone et que chaque habitant avait une empreinte carbone maximum de 2 tonnes CO2eq /an (voire moins), disons-le clairement : dans le système actuel et sans changement rapide de business model, les entreprises fossiles feraient faillite . Rappelons ce que dit le dernier rapport du GIEC. Non seulement il ne faut plus aucun nouveau puits pétrolier ou gazier dans le monde, mais sans fermeture anticipée d’une partie des exploitations de charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons un réchauffement mondial de +1.5°C.

Pensez-vous que les débats autour de l’énergie et du climat seraient les mêmes si tout le monde savait cela ? Que les gouvernements et grands groupes pétroliers se permettraient de parler des petits gestes et de rediriger la responsabilité vers les individus ? Que nous accepterions de voir l’empreinte carbone actuelle des services publics sans qu’il y ait une forte pression pour que eux aussi tendent vers la neutralité carbone ? (...)

D’après les travaux de Lucas Chancel, les 50 % de la population mondiale ayant les revenus les moins importants ont émis 12 % des émissions mondiales en 2019, alors que les 10 % les plus riches ont émis 48 % du total. Depuis 1990, la moitié de la population mondiale la moins aisée n’a été responsable que de 16% de la croissance totale des émissions, alors que les 1% les plus aisés ont été responsables de 23% du total. Alors que les émissions par habitant des 1 % les plus riches ont augmenté depuis 1990, les émissions des groupes à revenus faibles et moyens des pays riches ont elles diminué. (...)

Rediriger la responsabilité sur les bons individus

Si la redirection de la responsabilité du changement climatique est aujourd’hui sur les individus et notamment celles et ceux qui n’ont pas les moyens de changer le système, il est primordial de déplacer l’attention sur les “super-riches“. Non seulement les riches sont surreprésentés dans les gouvernements nationaux et il existe des liens étroits entre les plus riches et les élites politiques, mais aussi et surtout parce que les plus riches ne seront pas épargnés par le changement climatique et des possibles étés où la chaleur atteindra 50°C.

On ne peut cependant réduire les émissions des plus riches à leurs seules émissions, les fameux “1%”. Ils ne font pas qu’émettre du C02, ils tirent tout un système croissantiste et mortifère à faire la même chose par leur mode de vie. C’est le même principe avec les influenceurs, lorsqu’ils font des allers-retours à Dubaï en jet privé et le mettent en story Instagram. C’est ce que rappelle cette étude de Nielsen & al, 2021 :

Les personnes au statut socioéconomique élevé exercent une influence disproportionnée sur le climat en raison de leur rôle de consommateurs, d’investisseurs, de modèles au sein de leurs réseaux sociaux et pour les autres personnes qui observent leurs choix, de participants à des organisations et de citoyens cherchant à influencer les politiques publiques ou le comportement des entreprises. (...) »


Comment calculer son empreinte carbone, Bon Pote, 8 sept. 2020

« (...) L’empreinte carbone est un calcul des émissions de GES associées à la consommation au sens large (demande finale intérieure) d’un pays, quelle que soit l’origine géographique de la production des biens et services destinés à satisfaire cette consommation. Cette approche se distingue de l’inventaire national du bilan carbone, qui mesure les émissions sur le territoire (appelée approche territoriale).

Le gouvernement donne cette définition : “L’inventaire des gaz à effet de serre (GES) d’un pays donné est un tableau par grands secteurs qui présente les émissions sous une forme simple exploitable par toute personne qui souhaite un panorama objectif. Les inventaires sont réalisés en appliquant les principes méthodologiques définis par le GIEC.

Illustration : en France, comme nous importons plus de produits que nous n’en exportons, notre empreinte carbone est supérieure à l’inventaire national. En 2017, avec 633 Mt CO2 éq, l’empreinte carbone présente un niveau supérieur à celui de l’inventaire national. Voici le détail ci-dessous :

Si vous découvrez seulement ce chiffre, vous risquez d’être secoué : il va falloir en moyenne diviser par 5 vos émissions ! En d’autres termes, diviser votre confort énergétique par 5. Citons la stratégie nationale bas carbone, page 43 :

Rapportée à l’habitant, en 2015, l’empreinte carbone des Français est légèrement supérieure à celle de 1995 : 11 tonnes de CO2eq par personne. En termes d’évolution, l’empreinte carbone des importations a augmenté de 2 % par an en moyenne lors des 5 dernières années, et les émissions
du territoire métropolitain ont baissé de 2,5 % par an. Or, pour limiter l’augmentation des températures à + 2 °C, il faut viser dès les prochaines décennies une empreinte carbone à l’échelle mondiale de 2 tonnes de CO2eq par personne. (...)

Voici maintenant l’empreinte carbone moyenne des français, et l’objectif. Avec des chiffres de 2017, ce graphique de l’étude “Faire sa part” de Carbone 4 illustre bien l’effort à faire : 


Selon les sources, vous verrez ce chiffre évoluer de 9 t CO2eq à 12. Prenez en compte l’année de la source, et surtout, gardez bien en tête que ce qui est important ici, ce sont les ordres de grandeur. Libre à vous de creuser pour affiner et mieux comprendre les calculs. Carbone 4 a estimé l’empreinte moyenne à 9.9 t CO2eq en janvier 2022, cela correspond donc bien à l’ordre de grandeur de 10 tonnes de cet article. »

Le Calculateur d'empreinte carbone de l'ADEME


 


Jeff Sachs critique l’agressivité des États-Unis dans leurs relations internationales

Le 3 octobre dernier, l’économiste du développement Jeffrey Sachs, interviewé sur Bloomberg TV a mis en cause la politique internationale de son pays. Il a également évoqué la baisse de niveau de vie que subissent les Européens à cause de la baisse de la production, mais ce qui a marqué les esprits est son point de vue sur le sabotage des gazoducs Nord Stream.

« Être un ennemi des États-Unis est dangereux, mais être un ami est fatal. » Henry Kissinger, maître à penser et stratège de la politique étrangère des États-Unis durant quelques décennies.

Présentation de Sachs :

J.Sachs est « le seul universitaire à avoir figuré plusieurs fois au classement des personnalités les plus influentes du monde publié par le magazine américain Time Magazine. » Il a une expérience de la Russie puisqu’il a conseillé le gouvernement russe en matière économique après la chute de l’URSS.

Wikipédia anglais : « Il est connu pour son travail sur le développement durable, le développement économique et la lutte contre la pauvreté.

Sachs est (…) président du Réseau des solutions de développement durable des Nations unies. Il est un défenseur des objectifs de développement durable (ODD) pour le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), António Guterres, concernant les ODD, un ensemble de 17 objectifs mondiaux adoptés lors d’un sommet de l’ONU en septembre 2015. De 2001 à 2018, Sachs a été conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, et a occupé le même poste sous le précédent Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et avant 2016, un poste consultatif similaire lié aux précédents Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), huit objectifs sanctionnés par la communauté internationale pour réduire l’extrême pauvreté, la faim et la maladie d’ici 2015.

Extraits de sa page Wikipédia en français : « Il est connu pour ses travaux comme consultant économique auprès des gouvernements d’Amérique latine, d’Europe de l’Est, d’ex-Yougoslavie, d’ex-Union soviétique, d’Asie, et d’Afrique. Il a proposé une thérapie de choc (bien qu’il n’apprécie pas personnellement ce terme) comme solution aux crises économiques vécues en Bolivie, en Pologne et en Russie (politique qui aurait provoqué 3,2 millions de victimes en Russie, selon l’UNICEF et l’IRC). (…)

En 2007, la journaliste canadienne Naomi Klein a sévèrement critiqué l’action de Jeffrey Sachs en tant que conseiller économique. D’après elle, la « thérapie de choc ») qu’il a préconisée en Bolivie (1985), en Pologne (1989) et en Russie (1991) a eu des conséquences désastreuses. Si une petite partie de la population a pu chaque fois s’enrichir, le traitement de choc du « docteur Sachs » a entraîné un appauvrissement considérable des sociétés bolivienne, polonaise et russe. Ces mesures ont d’ailleurs été très mal accueillies par ces populations. En Pologne, sous la pression populaire, l’équipe dirigeante (issue de Solidarność) dut mettre fin à une vague de privatisations et à une politique contraires au programme du syndicat Solidarność. En Bolivie et en Russie, il fallut des manœuvres fort peu démocratiques (…), pour contraindre les populations à accepter cette nouvelle politique économique. (…)

L’universitaire américain Kenneth D. Lehman écrit qu’en Bolivie, à la suite de l’application en 1985 du « décret suprême 21060 » conçu par Jeffrey Sachs et son équipe « le pouvoir d’achat moyen a chuté de 70 % en 1986. (…) Le chômage a atteint entre 20 et 25 % [de la population active], cependant que l’on supprimait presque toutes les protections sociales dont jouissaient jusque-là les ouvriers. »

Il faut mentionner cependant que, en Pologne, pays où ses stratégies ont été payantes à plus long terme, sa contribution majeure a été reconnue plus tard. »

Transcription de l’interview :

l’animateur Tom Keene : Jeffrey Sachs est professeur d’économie à l’université de Columbia. (…), mais je tiens à souligner qu’il a été 10 ans en avance sur l’effondrement de l’éducation américaine et sur la lutte entre les deux Amériques. Vous étiez dans l’Atlantic [magazine américain] cette semaine et on vous compare à Mearsheimer comme étant le plus réaliste. Quelle devrait être notre réponse à M. Poutine, avec vos réflexions sur la guerre et l’agression après les atrocités humaines qui sont reportées ?

Jeffrey Sachs : J’ai été attaqué dans The Atlantic [magazine américain] pour être du côté de la paix. Et je l’avoue, je suis du côté de la paix. Je suis très inquiet que nous soyons sur la voie de l’escalade vers la guerre nucléaire, rien de moins.

La Russie estime que cette guerre est au cœur de ses intérêts de sécurité. Les États-Unis insistent sur le fait qu’ils feront tout pour aider l’Ukraine à vaincre la Russie. La Russie considère cela comme une guerre par procuration avec les États-Unis. Quoi qu’on en pense, c’est la voie d’une escalade extraordinaire et dangereuse.

Tom Keene : Vous avez vécu cela avec Eltsine, vous étiez là pour Gorbatchev et Eltsine et le reste. Je me souviens que vous êtes descendu de l’avion à l’aéroport JFK, bouleversé par l’effondrement de cette première expérience. Avez-vous le sentiment que M. Poutine est seul ? Son armée le soutient-elle ?

Jeffrey Sachs : Une grande partie du monde regarde ces événements avec horreur, et une grande partie du monde n’aime pas cette expansion de l’OTAN, qu’ils interprètent comme étant au cœur de tout cela. Ils veulent voir un compromis entre les États-Unis et la Russie.

Vote après vote aux Nations Unies, ce sont les pays occidentaux qui ont voté pour des sanctions, des dénonciations et d’autres actions. Alors que la majorité du monde, certainement la majorité du monde en termes de population, reste sur la touche. Ils voient cela comme un horrible affrontement entre la Russie et les États-Unis. Ils ne voient pas cela, comme nous le faisons dans les médias, comme une attaque non provoquée de la Russie contre l’Ukraine.

N’importe qui aux États-Unis pense, “eh bien, qu’est-ce que c’est d’autre ?” Mais c’est à cause de la façon dont nos médias ont rapporté cette affaire. Ce conflit remonte à loin, il n’a pas commencé le 24 février 2022. En fait, la guerre elle-même a commencé en 2014, pas en 2022. Et même cela avait des antécédents.

La plupart du monde ne le voit pas de la façon dont nous le décrivons. La plupart du monde est juste terrifié en ce moment, franchement.

C’est incroyable d’entendre d’un côté qu’ils utiliseront des armes nucléaires s’ils le doivent, tandis que l’autre côté dit : “Vous ne pouvez pas nous effrayer.”

l’animatrice Lisa Abramowicz : Professeur Sachs je partage cette inquiétude et je vais être honnête, j’ai aussi passé le week-end à lire des articles sur les États-Unis qui préparent des contre-attaques et des propositions sur ce qu’ils feraient en réponse à certaines de ces attaques. C’est définitivement une grande inquiétude. C’est aussi un problème quand on voit le changement radical de la trajectoire économique en Europe et au-delà. Et une partie de cela vient de la crise énergétique, mais soudainement nous parlons d’une inflation que nous n’avons pas vue depuis la Deuxième Guerre mondiale, une autre période de désastre incroyable et d’intervention militaire. Dans quelle mesure sommes-nous proches d’une sorte de, je ne veux pas dire d’hyperinflation, mais d’une impulsion inflationniste persistante bien au-dessus de l’objectif en Allemagne, dans la zone euro, alors qu’ils cherchent des moyens alternatifs pour empêcher les régions périphériques [de la zone euro, Italie, etc.] de devenir incontrôlables et qu’ils augmentent les taux à court terme ?

Jeffrey Sachs : L’Europe connaît une récession économique très, très forte. La forte baisse de la production et du niveau de vie se traduit également par une hausse des prix, mais le fait principal est que l’économie européenne est frappée de plein fouet par la coupure soudaine de l’énergie.

Et maintenant, pour être définitif, la destruction du gazoduc Nord Stream qui, je parie, était une action des États-Unis, peut-être des États-Unis et de la Pologne. C’est de la spéculation.

Tom Keen : Jeff, nous devons nous arrêter là. Pourquoi pensez-vous que c’était une action américaine ? Quelles sont les preuves que vous avez de cela ?

Jeffrey Sachs : Eh bien, tout d’abord, il existe des preuves radar directes que des hélicoptères militaires américains, normalement basés à Gdansk, tournaient au-dessus de cette zone. Nous avons également eu la menace des États-Unis [le président Biden] au début de l’année : “ d’une manière ou d’une autre, nous allons mettre fin au Nord Stream ”.

Vendredi dernier, lors d’une conférence de presse, le secrétaire d’État Blinken a fait une déclaration remarquable : “C’est aussi une formidable opportunité.” C’est une drôle de façon de parler si l’on s’inquiète du piratage d’une infrastructure internationale d’importance vitale.

Je sais que cela va à l’encontre de notre récit, que vous n’êtes pas autorisé à dire ces choses en Occident, mais le fait est que partout dans le monde, lorsque je parle aux gens, ils pensent que les États-Unis l’ont fait. Même les journalistes de nos journaux qui sont impliqués me disent “bien sûr” [que les États-Unis l’ont fait], mais cela n’apparaît pas dans nos médias.

Lisa Abramowicz : Professeur, nous ne nous lançons pas dans un débat sur ce qui ne s’est pas passé avec Nord Stream parce que je n’ai pas de preuves et que nous n’avons pas de contrepoint à cela. Il y a cependant un problème, qui est au cœur de ce que vous dites, qui est un manque de confiance dans les États-Unis, un manque de cohésion entre les alliés, au milieu d’un incroyable conflit politique et économique. Je veux dire, voyez-vous la possibilité de travailler ensemble à un moment où il y a des intérêts si disparates et des sentiments de méfiance ?

Jeffrey Sachs : Le plus gros problème est que nous avons des conflits géopolitiques majeurs, non seulement entre les États-Unis et la Russie, mais aussi entre les États-Unis et la Chine. Encore une fois, avec une énorme quantité de provocations venant du côté américain, nous brisons tout sentiment de stabilité en ce moment. Pour l’instant, beaucoup en Europe disent que les États-Unis sont leur plus proche allié et qu’ils doivent s’accrocher, mais surveiller ce qui se passe politiquement. Il y a des bouleversements en Europe. Pays après pays en ce moment. Nous entrons dans une période d’énorme instabilité. Et nous sommes instables aux États-Unis en ce moment. Nous sommes passés par une insurrection, nous n’avons toujours pas dépassé ça.

Nous entrons donc dans l’ère géopolitique la plus instable depuis plusieurs décennies. Nous entrons dans la première hyperinflation depuis plus de 40 ans. Et nous entrons dans la première escalade vers le précipice nucléaire depuis 60 ans. Il y a 60 ans exactement ce mois-ci avait lieu la crise des missiles cubains. C’est le moment le plus dangereux depuis la crise des missiles cubains.

C’est une surcharge extraordinaire et nous ne voyons aucune tentative pour l’atténuer ou la calmer. Chaque jour, c’est l’escalade, “nous allons vaincre l’autre camp, nous avons nos droits, nous pouvons défendre ce que nous voulons”. La présidente de la Chambre, Pelosi, s’envole pour Taiwan. Nous avons tant de provocations au milieu d’une grande instabilité !

Tom Keene : Jeffrey je vais en rester là. Jeff Sachs, merci beaucoup. J’apprécie énormément John. Nous recevons une réponse enflammée à cette interview.

l’animateur Jonathan Ferro : Etes-vous surpris ?

Tom Keene : Non, je ne le suis pas. Et vous savez que c’est ce que nous faisons. Il y a une opinion différente dans l’émission. Et je l’appellerais mineur, mais il y a une opinion réfléchie au niveau international sur sa position à propos de l’expansion de l’OTAN. Trop loin, trop vite.

Jonathan Ferro : Je vais être aussi diplomate que possible. Pouvons-nous clarifier ce que nous faisons dans l’émission ? Nous parlons à des experts de choses sur lesquelles ils sont experts. C’est un économiste, pas un spécialiste des relations internationales.

Tom Keene : Je dirai que c’était une coup de gueule en matière de relations internationales. Mais Jeff occupe une place particulière parce qu’il était le principal conseiller économique de l’expérience ratée de Eltsine. Il a une énorme connaissance de la Russie. Maintenant, après ça, tu as raison. Nous sommes dans beaucoup de choses ici, qui sont controversées.

Jonathan Ferro : J’ai très peu entendu parler des actions de Vladimir Poutine. Oui, j’ai très peu entendu parler de la rhétorique émanant des dirigeants russes. J’ai très peu entendu parler de ces choses-là. Et pour ce qui est de l’article de The Atlantic, le journaliste de The Atlantic a repris une citation de Jeffrey Sachs et la citation était la suivante “Depuis 1980, les États-Unis ont participé à au moins 15 guerres de choix à l’étranger et en ont traversé plusieurs. Alors que la Chine n’en a fait aucune et que la Russie n’a fait que vouloir la Syrie.” Au-delà de l’ancienne Union soviétique. Maintenant, cela exclut bien sûr la Géorgie et ce qui s’est passé en Ukraine en 2014 également. Dans un sens, cela ouvre la porte pour dire que ce n’était pas au-delà de l’ancienne Union soviétique. Donc la Géorgie et l’Ukraine, c’est ok. Je pense, Tom, que c’est incroyablement complexe. Certaines des accusations que l’économiste porte sur les relations internationales sans la moindre preuve. La raison pour laquelle je suis profondément mal à l’aise avec quelqu’un comme ça, c’est parce qu’ils ne présentent aucune autre preuve que celle de dire que les gens ne veulent pas en parler parce que cela va à l’encontre de l’opinion populaire…

Tom Keene : pour Nord Stream. Vous avez raison à propos des preuves.

Jonathan Ferro : Si elles s’avèrent exactes, alors elles s’avèrent exactes. Mais en tant que journaliste, on ne dit pas ce genre de choses à moins d’avoir des preuves pour le dire.

Tom Keene : Ce n’est pas un journaliste.

Jonathan Ferro : Et c’est pourquoi ces choses ne sont pas dites. Mais il n’est pas non plus un expert en politique étrangère. Et nous ne devrions pas le traiter comme tel. »

La guerre de la France en Libye était basée sur des mensonges [parlement britannique]

 L'article en anglais est long. J'en ai recopié ci dessous qu'une infime partie. Passages en gras rajoutés.

Un rapport du Parlement britannique détaille comment la guerre de l'OTAN en Libye en 2011 était fondée sur des mensonges, Salon, 16 sept. 2016

« Enquête britannique : Kadhafi n'allait pas massacrer les civils ; les bombardements occidentaux ont aggravé l'extrémisme islamiste.

Un nouveau rapport du Parlement britannique montre que la guerre de l'OTAN en Libye en 2011 était basée sur un ensemble de mensonges.

"Libye : Examen de l'intervention et de l'effondrement et les futures options politiques du Royaume-Uni", une enquête de la commission bipartisane des affaires étrangères de la Chambre des communes, condamne fermement le rôle du Royaume-Uni dans la guerre, qui a renversé le gouvernement du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et plongé le pays d'Afrique du Nord dans le chaos.

"Nous n'avons vu aucune preuve que le gouvernement britannique ait effectué une analyse correcte de la nature de la rébellion en Libye", indique le rapport. "La stratégie britannique était fondée sur des hypothèses erronées et une compréhension incomplète des faits."

La commission des affaires étrangères conclut que le gouvernement britannique "n'a pas su identifier que la menace pour les civils était surévaluée et que les rebelles comprenaient un élément islamiste important."

L'enquête sur la Libye, qui a été lancée en juillet 2015, s'appuie sur plus d'un an de recherches et d'entretiens avec des politiciens, des universitaires et des journalistes, entre autres. Le rapport, qui a été publié le 14 septembre, révèle ce qui suit :

  • Kadhafi n'avait pas prévu de massacrer des civils. Ce mythe a été exagéré par les rebelles et les gouvernements occidentaux, qui ont fondé leur intervention sur des renseignements insuffisants.
  • La menace des extrémistes islamistes, qui ont eu une grande influence sur le soulèvement, a été ignorée et les bombardements de l'OTAN ont encore aggravé cette menace, donnant à ISIS [l'état islamique] une base en Afrique du Nord.
  • La France, qui a lancé l'intervention militaire, était motivée par des intérêts économiques et politiques, et non humanitaires.
  • Le soulèvement - qui était violent et non pacifique - n'aurait probablement pas réussi sans l'intervention et l'aide militaires étrangères. Les médias étrangers, en particulier Al Jazeera (Qatar) et Al Arabiya (Arabie Saoudite), ont également diffusé des rumeurs infondées sur Kadhafi et le gouvernement libyen.
  • Les bombardements de l'OTAN ont plongé la Libye dans une catastrophe humanitaire, tuant des milliers de personnes et en déplaçant des centaines de milliers d'autres, transformant la Libye, pays africain au niveau de vie le plus élevé, en un État défaillant déchiré par la guerre.

Le mythe selon lequel Kadhafi massacrerait des civils et le manque de renseignements (...)

L'extrémisme islamiste et la propagation des armes libyennes (...)

Les motivations économiques et politiques de la France (...)

Le rapport note également que les principales raisons pour lesquelles la France a poussé à une intervention militaire en Libye étaient les "ressources financières presque inépuisables" de Kadhafi, les projets du dirigeant libyen de créer une monnaie alternative au franc français en Afrique, "les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique francophone" et le désir "d'accroître l'influence française en Afrique du Nord." (...)

Les officiers de renseignement français ont exprimé cinq facteurs qui ont motivé Sarkozy :

    "a. Le désir d'obtenir une plus grande part de la production pétrolière libyenne,

    b. Accroître l'influence française en Afrique du Nord,

    c. Améliorer sa situation politique intérieure en France,

    d. Fournir à l'armée française une occasion de réaffirmer sa position dans le monde,

    e. Répondre à l'inquiétude de ses conseillers quant aux projets à long terme de Kadhafi de supplanter la France en tant que puissance dominante en Afrique francophone."

Le rôle crucial de l'intervention étrangère (...)

Désastre humanitaire et échos de la guerre en Irak

Le rapport de la commission des affaires étrangères reproche au Royaume-Uni, aux États-Unis et à la France de ne pas avoir élaboré "une stratégie pour soutenir et façonner la Libye post-Kadhafi."

Le résultat de cela, note le rapport dans le résumé, "a été l'effondrement politique et économique, les combats entre milices et entre tribus, les crises humanitaires et migratoires, les violations généralisées des droits de l'homme, la dissémination des armes du régime Kadhafi dans toute la région et la croissance d'ISIL [l'état islamique] en Afrique du Nord." (...)

Avant les bombardements de l'OTAN en 2011, en revanche, la Libye était la nation la plus riche d'Afrique, avec l'espérance de vie et le PIB par habitant les plus élevés. Dans son livre "Perilous Interventions", l'ancien représentant de l'Inde auprès de l'ONU, Hardeep Singh Puri, note qu'avant la guerre, la Libye comptait moins de pauvres parmi sa population que les Pays-Bas. Les Libyens avaient accès à des soins de santé gratuits, à l'éducation, à l'électricité et à des prêts sans intérêt, et les femmes bénéficiaient de grandes libertés qui avaient été applaudies par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en janvier 2011, à la veille de la guerre qui a détruit le gouvernement.

Aujourd'hui, la Libye reste si dangereuse que la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes n'a en fait pas pu se rendre dans le pays pendant son enquête. Elle note dans le rapport qu'une délégation s'est rendue en Afrique du Nord en mars 2016. Ils ont rencontré des politiciens libyens à Tunis, mais "n'ont pas pu se rendre à Tripoli, Benghazi, Tobrouk ou ailleurs en Libye en raison de l'effondrement de la sécurité intérieure et de l'État de droit. (...) »

L'hommage de la Russie aux gazoducs Nord Stream

L'hommage de la Russie aux gazoducs Nord Stream, M. K. Bhadrakumar, 22 oct. 2022

A propos de l'auteur : « Diplomate de carrière pendant 30 ans dans les services indiens des affaires étrangères, M.K. Bhadrakumar a été affecté pendant une grande partie de sa carrière au département consacré au Pakistan, à l'Afghanistan et à l'Iran. Dans ses affectations à l'étranger il a été assigné sur le territoire de l'ancienne Union Soviétique. Il parle couramment russe et a servi à deux reprise dans l'ambassade indienne à Moscou. Il a également été ambassadeur auprès de la Turquie et le l'Ouzbékistan, ainsi de Haut-commissaire délégué par intérim à Islamabad. Ses autres missions: Bonn (RFA), Colombo (Sri Lanka) et Séoul (Corée du Sud). Enfin, il a fait des passages brefs dans les ambassades indiennes à Kaboul et au Koweït. Depuis qu'il a quitté les services diplomatiques indiens, il est devenu écrivain et publie des articles sur The Asia Times, The Hindu et le Deccan Herald. Il vit à New Delhi. »

 Passages entre crochets rajoutés.

David Brinkley, le légendaire présentateur de journaux télévisés américain dont la carrière s'est étendue sur une période étonnante de cinquante-quatre ans depuis la Seconde Guerre mondiale, a dit un jour qu'un homme qui réussit est celui qui peut poser des fondations solides avec les briques que les autres lui ont jetées. On peut se demander combien d'hommes d'État américains ont mis en pratique cette noble pensée héritée de Jésus-Christ.

La proposition étonnante du président russe Vladimir Poutine au président turc Recep Erdogan de construire un gazoduc vers la Turquie afin de créer un carrefour international à partir duquel le gaz russe pourra être fourni à l'Europe donne un nouveau souffle à cette pensée très “gandhienne”.

M.Poutine a discuté de cette idée avec M. Erdogan lors de leur rencontre à Astana le 13 octobre et en a parlé depuis lors au forum russe de la Semaine de l'énergie la semaine dernière. Il a proposé de créer le plus grand carrefour gazier d'Europe en Turquie et de rediriger vers ce carrefour le volume de gaz dont le transit n'est plus possible par le gazoduc Nord Stream.

M.Poutine a déclaré que cela pourrait impliquer la construction d'un autre système de gazoducs pour alimenter le hub en Turquie, par lequel le gaz sera fourni à des pays tiers, principalement européens, “s'ils sont intéressés.”

Crise sécuritaire au Sahel & au Mali, revue de web

Les forces armées françaises ont quitté le Mali le 15 août 2022 après y être entrées en janvier 2013 soit plus de 9 ans de présence. L’occasion pour moi de vous proposer cette revue de web, car au-delà de la menace terroriste islamiste, je n’avais pas compris grand chose aux problèmes du Sahel. Aviez-vous, par exemple, assimilé que la chute du régime de Kadhafi orchestrée par les états français et britanniques fut un des déclencheurs de la violence armée au nord du Mali ? Ou encore, saviez-vous qu’une bonne part des conflits dans le centre du pays (delta central du Niger) ont pour origine le partage et la répartition des ressources agricoles ? Cette revue est ordonnée de manière chronologique. Les passages en gras sont de mon fait.

[L']ignorance du tissu social local est le talon d’Achille des interventions militaires en terre étrangère (comme d’ailleurs plus largement des interventions policières dans les ghettos, les cités ou les favelas). Ce n’est pas un constat nouveau. C’est pour cela que, à une époque lointaine, Napoléon (puisqu’il en est tant question aujourd’hui) a perdu la guerre en Espagne (c’est un aspect oublié de son règne), et que, plus près de nous, les États-Unis ont perdu la guerre du Vietnam, et maintenant la guerre d’Afghanistan (qu’auparavant les Russes avaient d’ailleurs perdue eux aussi pour la même raison). (Jean-Pierre Olivier de Sardan anthropologue franco-nigérien, De Barkhane au développement : la revanche des contextes, AOC media, 14 juin 2021)
 

Comment le monde fonctionne réellement — revue de web

Un florilège sur Vaclav Smil, scientifique quasi inconnu du monde francophone

En mangeant 2 tomates (hors-saison), une part de poulet et une baguette, nous avalons ½ litre de pétrole ! (NetZeroWatch). Pour autant, afin de ralentir le réchauffement climatique nous sommes censés nous passer de pétrole (et d’énergies fossiles). Nous sommes donc mondialement devant un choix cornélien (ou pas) : soit des famines et des pénuries alimentaires soit de la sécheresse et des inondations comme au Pakistan par exemple ou... Tout à la fois !

En même temps, nous vivons tous comme des enfants gâtés et n'en avons pas conscience, du smicard français qui “swipe” sur Insta à l’aide de son téléphone “intelligent” à son patron pourtant 10 à 100 fois plus aisé que lui… Dans les pays riches dits développés, en moyenne, chaque personne dispose grâce aux énergies fossiles de l’équivalent du travail physique de 240 ouvriers travaillant h24. Entre 1950 et 2010, la consommation d’énergie par personne a doublé aux États-Unis et a été multipliée par 15 au Japon et par 120 en Chine. Pourtant 3,1 milliards de personnes ne bénéficient encore que d’un approvisionnement énergétique par habitant équivalent à celui de l’Allemagne et de la France de 1860 ! « Pour s’approcher du seuil d’un niveau de vie digne, ces 3,1 milliards de personnes devront au moins doubler — mais de préférence tripler — leur consommation d’énergie par habitant. » « Si les pays pauvres de la planète visent à reproduire l’expérience de la Chine post-1990 au cours des trois prochaines décennies, cela impliquerait de multiplier par 15 la production d’acier, par 10 la production de ciment, par deux la synthèse d’ammoniac et par 30 la fabrication de plastique. » Ces quatre piliers de la civilisation humaine n’existent que grâce aux énergies fossiles.

Je remercie donc Vladimir, Joe, Ursula, Olaf, Emmanuel et Volodymyr. Ils nous font prendre conscience de l’essentiel : l’énergie ! Mieux vaut tard que jamais. Le reste n’est que littérature…

Il y a un homme qui depuis 49 livres et plus de 45 ans de carrière, l’explique de long en large, un scientifique, géographe de formation, devenu polymathe généraliste : Vaclav Smil.  Il a publié, le 10 mai dernier, ce qu'il considère comme une synthèse de ses travaux : « Comment le monde fonctionne réellement : la science qui explique comment nous sommes arrivés là et vers quoi nous nous dirigeons. »  Malheureusement, aucun de ces livres n’a été traduit en français. Alors comme sa pensée et il faut bien le dire sa comptabilité, sont fondamentaux pour la compréhension du monde, je vous propose une revue de web en français sur Vaclav Smil — extraits et comptes-rendus de livres, entretiens et articles de sa main.

« Vaclav Smil mène des recherches interdisciplinaires dans les domaines de l'énergie, des changements environnementaux et démographiques, de la production alimentaire, de l'histoire de l'innovation technique, de l'évaluation des risques et des politiques publiques. Il a publié plus de 40 livres et environ 500 articles sur ces sujets. Il est professeur émérite à l'université du Manitoba, membre de la Société royale du Canada (Académie des sciences) et membre de l'Ordre du Canada. »

Quelques citations comme mises en bouche :

« Il n’y a aucun auteur dont j’attends les livres avec plus d’impatience que Vaclav Smil. » Bill Gates

De Vaclav Smil :

« Parce que « l’énergie est la seule monnaie universelle : l’une ou l’autre de ses innombrables formes doit être transformée pour réaliser quoi que ce soit » (Lundi Matin)

« Je ne parle pas de ce qui pourrait être fait, je regarde le monde tel qu’il est. » (KCP group)

« Les gens me demandent si je suis optimiste ou pessimiste, je réponds ni l’un ni l’autre. » (page Facebook de J-M Jancovici)

« Le fossé entre les vœux pieux et la réalité est vaste, mais dans une société démocratique, aucun débat d’idées ou de propositions ne peut se dérouler de manière rationnelle si toutes les parties ne partagent pas au moins un minimum d’informations pertinentes sur le monde réel, au lieu de ressortir leurs préjugés et d’avancer des affirmations déconnectées des possibilités physiques. » (NetZeroWatch)

« La croissance doit s’arrêter. Nos amis économistes ne semblent pas le réaliser. » (The Conversation)

« La seule certitude est que les chances de réussir dans la question sans précédent de créer un nouveau système énergétique compatible avec la survie à long terme de la civilisation de la haute énergie restent incertaines. » (Chaire économie du climat)

 

 

Revue de web 

en gras les incontournables

Sur captainshortman

Sur le web

Cerise

Un moteur à eau ? Pas vraiment !

J’ai reçu récemment un lien vers une société bretonne (eco-leau) qui commercialise un kit à installer sur un moteur thermique et permet d’économiser du carburant ; c’est essentiellement un système de vaporisation d’eau injectée dans l’admission d’air du moteur.

Je n’ai aucune formation scientifique, mais je sais que l’eau en tant que telle — la molécule H2O — n’est pas une source d’énergie. Les physiciens ne savent pas très bien définir l’énergie : ce qu’ils sont capables d’en dire c’est qu’elle permet un travail, c’est-à-dire une transformation physique. L’eau peut être un vecteur d’énergie c’est-à-dire un support pour le transport et la transformation de l’énergie comme dans une machine à vapeur ou une centrale thermique (fuel, charbon, gaz, nucléaire).

Sur le blog de l’entreprise on peut lire la phrase suivante : « Si l’eau n’est pas un carburant et que le moteur à eau relève de la chimère, l’injection d’eau a déjà été expérimentée par le passé. Les Allemands et les Américains y ont eu recours durant la Seconde Guerre mondiale sur les moteurs de leurs avions. »

Fonctionnement

Le système est en quelque sorte un boost pour le turbo.

D’après le schéma et les explications de l’entreprise, l’eau se gazéifie au contact de la chaleur de l’air à l’échappement. La vapeur d’eau crée est injectée à l’admission en amont de l’intercooler qui lui sert à refroidir l’air réchauffé par le turbo. Le rajout de vapeur d’eau dans le circuit refroidit l’air encore plus et donc le densifie encore plus : à volume équivalent, il y a plus d’oxygène (le comburant), qui rentre dans le moteur. Comme l’air est plus froid avec ce système, la combustion a lieu à une température plus faible. Pour un couple moteur donné, il y a moins besoin d’appuyer sur la pédale de l’accélérateur donc une moindre consommation de combustible/carburant. Également comme la combustion est plus efficace, il y a moins d’imbrûlés donc moins de pollution.

Le turbo transforme l’énergie cinétique (de mouvement) des gaz d’échappement alors que le système “eco-leau” utilise leur énergie calorifique. Les deux récupèrent une partie de l’énergie dissipée (perdue) dans la transformation effectuée par le moteur thermique — l’essence est un réservoir d’énergie chimique transformée en énergie thermique dans les cylindres par la combustion, qui elle déplace les pistons une énergie cinétique —, le rendement du moteur s’en trouve amélioré.

France Info a fait un point sur le sujet en novembre 2018 :

« L'eau n'est pas un carburant

Il faut d'emblée écarter l'éventualité d'un moteur qui ne tournerait qu'à l'eau. “C'est un non-sens scientifique. Là-dessus, il n'y a pas débat”, tranche Xavier Tauzia, ingénieur et maître de conférences à l'Ecole centrale de Nantes au sein du département Mécanique des fluides et énergétique, contacté par franceinfo. “L'eau est une molécule extrêmement stable. Si on veut la décomposer [pour créer de l'hydrogène, qui est un carburant], il faut lui apporter de l'énergie. Sauf qu'il faut beaucoup d'énergie et pas mal d'électricité”, confirme Laurent Castaignède, ingénieur Conseil Climat-Air-Energie, à France Culture.

Ainsi, si on cherche à se servir uniquement d'eau comme seul carburant, “le bilan global est catastrophique”. Car cela nécessite plus d'énergie en amont que la quantité d'énergie produite par le moteur à eau au final.

“Le moteur à eau est une chimère ou un palliatif qui ressort à chaque pic d'agitation autour des combustibles fossiles.” Gérald Pourcelly, enseignant-chercheur à l'Ecole nationale supérieure de chimie de Montpellier »

Du côté des clients

France Info :

« Un Lorientais qui a installé un équipement semblable sur sa voiture a assuré, début 2018, au quotidien régional Le Télégramme être ravi de son achat. Selon lui, la conduite est plus souple, l'accélération est la même et la voiture consomme moins.

« On était un peu sceptiques mais on a fait le test et il s'avère qu'on économise entre 10% à 15% de gazole par mois », racontait à France 3 Languedoc-Roussillon, en 2012, une chauffeuse dont le poids lourd est équipé d'un système Econokit, un autre acteur du milieu.

Mais tous les clients des systèmes Pantone ne sont pas aussi enthousiastes. En 2008, l'entreprise Ecopra a installé des systèmes sur des véhicules dans plusieurs villes. “Il s'avère que l'expérience fut un flop”, explique à franceinfo la mairie de Neuilly-Plaisance, qui n'a pas prolongé l'aventure.

“Cette technique a encrassé et endommagé les moteurs.” La mairie de Neuilly-Plaisance »

La lecture de la page Wikipédia sur le moteur Pantone ou du compte-rendu d’un essai du système Pantone sur le portail des chambres d’agriculture de Bretagne laisse sceptique :

« Dans le cadre notre essai, le système Pantone de type « Spad » n’a apporté aucun gain de consommation ou de puissance. Un autre essai, réalisé avec le même protocole dans la Sarthe, sur un tracteur dont le propriétaire était persuadé d’économiser, a abouti à la même conclusion. »

Pourtant, ça bouge un peu du côté des industriels

France Info :

« BMW a sorti, en 2016, un modèle à 700 exemplaires avec un moteur Bosch équipé d'un système d'injection d'eau. Une technologie qui permet de réduire la consommation de 13% et les rejets de CO2 de 4%, selon le constructeur allemand. »

En 2015, le système était installé sur la voiture de sécurité du MotoGP, une BMW M4 :

« Sur son modèle M4 MotoGP Safety Car, BMW innove en injectant de l’eau dans le tuyau d’admission et dans la chambre de combustion. L’injection directe d’eau confère au moteur plus d’efficience, avec un gain de puissance de 10 % et une baisse de la consommation de 8 %. « L’injection directe d’eau permet d’exploiter encore mieux le potentiel inhérent à la suralimentation par turbocompresseur. L’eau injectée dans le collecteur du module d’admission, sous forme de fine brume, abaisse la température de combustion d’environ 25 °C » explique le constructeur.

Pour alimenter le système d’injection d’eau, la BMW M4 MotoGP Safety Car dispose d’un réservoir de 5 litres logé dans le coffre à bagages. Dans le cadre d’une application série, BMW envisage de récupérer l’eau produite à bord, par la climatisation par exemple. Chaque fois que le moteur est coupé, l’eau est refoulée des conduites dans le réservoir pour éviter le givrage des composants. Le réservoir d’eau est logé dans un compartiment protégé contre le gel. »

 

Transcription/traduction de la vidéo :

« BMW a toujours été synonyme d’innovations technologiques et cette année, BMW est en mesure de présenter un autre nouveau produit phare. Dans un avenir proche, la division BMW M commencera la production d’un modèle à injection d’eau. L’injection d’eau est un système conçu pour augmenter les performances et réduire la consommation des moteurs à combustion. L’injection d’un fin jet d’eau dans le collecteur réduit considérablement la température de l’air de combustion. L’air suralimenté plus froid réduit la tendance du moteur à cogner, ce qui permet d’avancer le point d’allumage et de le rapprocher de la valeur optimale. Cela rend le processus de combustion plus efficace tout en réduisant la température de combustion. D’autre part, l’air frais a une densité plus élevée, ce qui augmente la teneur en oxygène dans la chambre de combustion. Il en résulte une pression moyenne plus élevée pendant le processus de combustion, ce qui optimise les performances et le couple. Enfin, le refroidissement interne efficace de la chambre de combustion réduit la contrainte thermique sur de nombreux composants liés aux performances. Cela permet non seulement d’éviter d’endommager les pistons, les tuyaux d’échappement et les convertisseurs catalytiques, mais aussi de réduire les contraintes sur le turbocompresseur qui est soumis à des températures d’échappement plus basses. Grâce à un taux de compression élevé, ce moteur est très efficace et affiche des chiffres de consommation faibles, notamment dans la plage de charge partielle. Le taux de compression maximal est limité par la tendance au cognement à pleine charge. L’injection d’eau est également très utile dans ce cas, car elle réduit la tendance au cognement du moteur tout en augmentant le taux de compression. De cette façon, le moteur turbo peut atteindre des performances optimales sur une large gamme de points de fonctionnement. BMW utilisera pour la première fois cette technologie dans la voiture de sécurité BMW M4 du moto GP pour la saison 2015.

Toujours sur France Info :

« Si les industriels montrent des signes d'intérêt pour le dopage à l'eau, l'application à grande échelle est encore un mirage. (…)

“Si le système à injection d'eau n'est pas plus investi, c'est que les gains ne sont pas assez importants pour justifier l'emploi de cette technologie”, répond Xavier Tauzia, ingénieur et maître de conférences à l'Ecole centrale de Nantes.

De son côté, le ministère de l'Ecologie pointe le manque de données sur le dopage à l'eau. “Les services du ministère n'ont à ce jour jamais eu connaissance de preuves formelles, d'études ou d'essais réglementaires prouvant les gains en termes de consommation de carburant et de réduction des émissions de gaz polluants”, écrit-il à France Info. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) affirme avoir expérimenté le dispositif. Mais les tests réalisés à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux “n'étaient pas assez probants en termes d'économie de carburant pour poursuivre les investigations”. »

Comment le monde fonctionne réellement

Comment le monde fonctionne réellement, Éric Leser, Transitions & Energies, 28 juin 2022

« Le monde moderne fonctionne avec 80 % de son énergie provenant de carburants fossiles et avec quatre matériaux indispensables fabriqués exclusivement avec du pétrole, du charbon et du gaz naturel. Il s’agit de ciment, d’acier, de plastique et d’ammoniac (indispensable pour produire les engrais azotés). Si l’un de ces matériaux venait à manquer, l’économie mondiale risquerait de s’effondrer. Voilà pourquoi la transition ne peut se faire en quelques années et pourquoi la lecture du dernier livre de Vaclav Smil est indispensable.

Vaclav Smil est sans doute l’universitaire le plus influent sur les grandes questions relatives à l’énergie. Depuis son bureau dans sa maison toute proche de l’université du Manitoba à Winnipeg au Canada, ce professeur de 78 ans a écrit des dizaines de livres qui ont changé la compréhension des problématiques planétaires de l’énergie. Vaclav Smil a abordé des sujets extrêmement variés allant des problèmes d’environnement de la Chine, à la modification des habitudes alimentaires au Japon en passant par l’histoire de l’énergie et des civilisations, celle des transitions énergétiques et la question majeure de la croissance sans limites dans un monde fini.

Il fait partie de cette espèce en voie de disparition des universitaires et scientifiques ayant une approche générale des problèmes et ne se limitant pas à un domaine étroit d’expertise. Il a même été surnommé le “penseur” de l’énergie. “Je suis juste un scientifique essayant d’expliquer comment le monde fonctionne réellement”, explique-t-il. Il amène un peu de réalisme scientifique dans le flot quotidien de prévisions et d’études douteuses, d’incantations faciles et de solutions miracles qui font le brouhaha quotidien de la transition énergétique vue par les médias, les militants, les idéologues et les lobbys de tous poils.

Certains de ses livres ont marqué des générations de scientifiques, dirigeants et investisseurs. L’un des fans les plus convaincus de Vaclav Smil est Bill Gates, le cofondateur de Microsoft. Il explique “attendre la sortie du nouveau livre de Smil comme certaines personnes attendent le prochain film de La Guerre des étoiles”. Mais aucun des ouvrages de Vaclav Smil n’est traduit en français…

Son dernier livre, How the World really Works (Comment le monde fonctionne réellement), publié il y a quelques semaines, est un tour de force. Il a fait un effort exceptionnel de pédagogie et de synthèse pour transmettre le savoir acquis depuis cinquante ans. “Ce livre est le produit du travail de ma vie et écrit pour le profane. C’est une continuation de ma quête de longue date pour comprendre les réalités fondamentales de la biosphère, de l’histoire et du monde que nous avons créé”, écrit-il dans l’introduction... »

Au-delà de la pensée magique, il est temps d’être réaliste

Opinion : Au-delà de la pensée magique : il est temps d’être réaliste sur le changement climatique, Vaclav Smil, 19 mai 2022

Traduction avec DeepL. Passages en gras rajoutés.

« Malgré des décennies d’études et de sommets sur le climat, les émissions de gaz à effet de serre continuent de grimper en flèche. Vaclav Smil, spécialiste de l’énergie, estime qu’il est temps d’arrêter de ricocher entre les prévisions apocalyptiques et les modèles optimistes de réduction rapide des émissions de CO2, et de se concentrer sur la difficile tâche de remodeler notre système énergétique.

La première conférence des Nations unies sur le climat s’est tenue en 1992 à Rio de Janeiro et, au cours des décennies qui ont suivi, nous avons assisté à une série de réunions mondiales et à d’innombrables évaluations et études. Les conférences annuelles sur le changement climatique ont débuté en 1995 (à Berlin) et ont donné lieu à des rassemblements très médiatisés à Kyoto (1997, avec un accord totalement inefficace), Marrakech (2001), Bali (2007), Cancun (2010), Lima (2014) et Paris (2015).

À Paris, environ 50 000 personnes se sont envolées vers la capitale française pour assister à une énième conférence au cours de laquelle elles devaient conclure, nous a-t-on assuré, un accord “historique” — et aussi “ambitieux” et “sans précédent”. Pourtant, l’accord de Paris n’a codifié aucun objectif de réduction spécifique de la part des plus grands émetteurs mondiaux. Et même si toutes les promesses volontaires non contraignantes étaient honorées (ce qui est tout à fait improbable), l’accord de Paris entraînerait toujours une augmentation de 50 % des émissions d’ici à 2030.

Quelques points de repère.

Qu’avons-nous donc fait pour éviter ou inverser le réchauffement climatique au cours des trois décennies qui ont suivi Rio ?

Les données sont claires : entre 1989 et 2019, nous avons augmenté les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’origine anthropique d’environ 67 %. Les pays riches comme les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Australie et les pays de l’Union européenne — dont la consommation d’énergie par habitant était très élevée il y a trente ans — ont certes réduit leurs émissions, mais seulement d’environ 4 %. Pendant ce temps, les émissions de gaz à effet de serre de l’Inde ont été multipliées par 4,3, et celles de la Chine par 4,8. Les niveaux de CO2 atmosphérique, qui ont fluctué étroitement pendant des siècles à près de 270 parties par million (ppm), ont augmenté au cours de l’été 2020 pour dépasser 420 ppm, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport au niveau de la fin du XVIIIe siècle.

Clairement, conclure que nous serons en mesure de réaliser la décarbonation très bientôt, efficacement et à l’échelle requise va à l’encontre de toutes les preuves passées.

Le problème est qu’au lieu d’avoir un regard lucide sur les énormes défis que représente l’élimination progressive des combustibles fossiles qui constituent la base des économies industrielles modernes, nous avons ricoché entre le catastrophisme d’une part et la pensée magique du “techno-optimisme” d’autre part.

Au cours des dernières décennies, nous avons multiplié notre recours à la combustion des carburants fossiles, ce qui a entraîné une dépendance dont il ne sera pas facile ou peu coûteux de se défaire. La rapidité avec laquelle nous pouvons changer cette situation reste incertaine. Si l’on ajoute à cela toutes les autres préoccupations environnementales, on doit conclure que la question existentielle essentielle — l’humanité peut-elle réaliser ses aspirations dans les limites sûres de notre biosphère ? — n’a pas de réponse facile. Mais il est impératif que nous comprenions les faits. Ce n’est qu’alors que nous pourrons nous attaquer efficacement au problème.

Malheureusement, nous avons largement ignoré les mesures qui auraient pu limiter les effets à long terme du changement climatique et qui auraient dû être prises même en l’absence de toute préoccupation concernant le réchauffement de la planète, car elles permettent de réaliser des économies à long terme et offrent plus de confort. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons délibérément introduit et favorisé la diffusion de nouveaux produits et de conversions énergétiques qui ont dopé la consommation d’énergies fossiles et donc intensifié les émissions de CO2.

Émissions annuelles de CO2 par région du monde,  Our World In Data

Les meilleurs exemples de ces omissions sont les normes de construction incontestablement inadéquates dans les pays au climat froid, qui entraînent un gaspillage exorbitant d’énergie, et l’adoption mondiale des véhicules utilitaires sportifs (SUV). La possession de SUV a commencé à augmenter aux États-Unis à la fin des années 1980 et s’est finalement répandue dans le monde entier. En 2020, le SUV moyen émettait annuellement environ 25 % de CO2 de plus qu’une voiture standard. Si l’on multiplie ce chiffre par les 250 millions de SUV qui circulent dans le monde en 2020, on comprendra que l’engouement mondial pour ces engins a annulé, à plusieurs reprises, les gains de décarbonation résultant de la lente diffusion de la possession de véhicules électriques (seulement 10 millions dans le monde en 2020).

Au cours des années 2010, les SUV sont devenus la deuxième cause d’augmentation des émissions de CO2, derrière la production d’électricité. S’ils continuent à être adoptés massivement par le public, ils pourraient annuler les économies de carbone réalisées grâce aux plus de 100 millions de véhicules électriques qui pourraient être en circulation d’ici 2040.

La liste de ce que nous n’avons pas fait — mais aurions pu faire — est longue. Mais pour aller de l’avant, la première chose à faire est d’être réaliste sur la suprématie des combustibles fossiles et les défis à relever.

La dépendance croissante à l’égard des combustibles fossiles est le facteur le plus important pour expliquer les progrès de la civilisation moderne. Un habitant moyen de la Terre dispose aujourd’hui de 700 fois plus d’énergie utile que ses ancêtres n’en avaient au début du XIXe siècle. L’abondance de cette énergie sous-tend et explique les progrès — de l’amélioration de l’alimentation aux voyages à grande échelle, de la mécanisation de la production et des transports à la communication électronique personnelle instantanée — qui sont devenus la norme dans les pays riches.

Pour ceux qui ignorent les impératifs énergétiques et matériels de notre monde, ceux qui préfèrent les mantras des solutions vertes à la compréhension de la façon dont nous en sommes arrivés là, la solution est simple : il suffit de décarboner, passer de la combustion du carbone fossile à la conversion des flux inépuisables d’énergies renouvelables. Mais nous sommes une civilisation alimentée par des combustibles fossiles dont les progrès techniques et scientifiques, la qualité de vie et la prospérité reposent sur la combustion d’énormes quantités de carbone fossile, et nous ne pouvons pas simplement abandonner ce facteur déterminant pour notre avenir en quelques décennies, encore moins en quelques années.

La décarbonation complète de l’économie mondiale d’ici 2050 n’est désormais concevable qu’au prix d’un repli économique mondial inconcevable, ou à la suite de transformations extraordinairement rapides reposant sur des avancées techniques quasi miraculeuses. Pour ne donner qu’une seule comparaison clé, en 2020, l’approvisionnement énergétique annuel moyen par habitant d’environ 40 % de la population mondiale (3,1 milliards de personnes, ce qui inclut la quasi-totalité des habitants de l’Afrique subsaharienne) n’était pas supérieur au taux atteint en Allemagne et en France en 1860. Pour s’approcher du seuil d’un niveau de vie digne, ces 3,1 milliards de personnes devront au moins doubler — mais de préférence tripler — leur consommation d’énergie par habitant et, ce faisant, multiplier leur approvisionnement en électricité, stimuler leur production alimentaire et construire des infrastructures essentielles. Inévitablement, ces demandes soumettront la biosphère à une nouvelle dégradation.

Que pouvons-nous faire au cours des prochaines décennies ? Nous devons commencer par reconnaître les réalités fondamentales. Nous avions l’habitude de considérer une augmentation de 2 degrés C (3,6 F) de la température moyenne mondiale comme un maximum relativement tolérable. En 2018, toutefois, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a abaissé ce chiffre à 1,5 C.

Mais la dernière analyse des effets combinés du réchauffement a conclu que nous sommes déjà engagés dans un réchauffement global de 2,3 C. Il semble très probable que toute chance de maintenir le réchauffement à 1,5 degré soit déjà perdue. Malgré cela, de nombreuses institutions, organisations et gouvernements continuent de théoriser sur la possibilité de le maintenir à ce niveau.

Le rapport du GIEC sur le réchauffement de 1,5 degré C propose un scénario basé sur un renversement si soudain et persistant de notre dépendance aux combustibles fossiles que les émissions de CO2 seraient réduites de moitié d’ici 2030 et éliminées d’ici 2050. Les ordinateurs facilitent l’élaboration de scénarios d’élimination du carbone, mais ceux qui établissent leurs trajectoires préférées vers un avenir sans carbone nous doivent des explications réalistes, et pas seulement des séries d’hypothèses plus ou moins arbitraires et hautement improbables, détachées des réalités techniques et économiques et ignorant la nature intégrée, l’échelle massive et l’énorme complexité de nos systèmes énergétiques et matériels.

Un scénario optimiste, élaboré pour l’essentiel par des chercheurs de l’Union européenne et ne tenant pas compte des réalités du monde réel, prévoit que la demande énergétique moyenne mondiale par habitant en 2050 sera inférieure de 52 % à ce qu’elle était en 2020. Une telle baisse permettrait de maintenir facilement l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C. Mais réduire de moitié la demande énergétique par habitant en trois décennies serait un exploit étonnant, étant donné qu’au cours des 30 années précédentes, la demande énergétique mondiale par habitant a augmenté de 20 %.

Les partisans de ce scénario irréaliste ne prévoient qu’une augmentation d’un facteur deux de tous les modes de mobilité au cours des trois prochaines décennies dans ce qu’ils appellent le Sud, et une augmentation d’un facteur trois de la possession de biens de consommation. Mais dans la Chine de la dernière génération, la croissance a été d’une toute autre ampleur : en 1999, le pays ne comptait que 0,34 voiture pour 100 ménages urbains ; en 2019, ce nombre a dépassé les 40, soit une multiplication par plus de cents en seulement deux décennies. En 1990, un ménage urbain sur 300 en Chine disposait d’une installation de climatisation ; en 2018, on comptait 142,2 unités pour 100 ménages, une multiplication par plus de 400 en moins de trois décennies.

Dans un deuxième scénario visant à une décarbonation complète d’ici 2050, un groupe de chercheurs en énergie de l’université de Princeton a établi les évolutions nécessaires aux États-Unis. Les auteurs du scénario de Princeton reconnaissent qu’il sera impossible d’éliminer toute consommation de combustibles fossiles et que la seule façon d’atteindre des émissions nettes nulles est de recourir à ce qu’ils appellent le “quatrième pilier” de leur stratégie globale, à savoir le captage et le stockage à grande échelle du CO2 émis. Selon leurs calculs, il faudrait éliminer de 0,9 à 1,7 milliard de tonnes de ce gaz par an. Cela nécessiterait la création d’une toute nouvelle industrie de captage, de transport et de stockage du CO2 qui devrait traiter chaque année l’équivalent de 1,3 à 2,4 fois le volume de la production actuelle de pétrole brut aux États-Unis, une industrie dont la construction a pris plus de 160 ans et des billions [mille milliards] de dollars. 

Réductions des émissions de CO2 nécessaires pour conserver la hausse de la température mondiale sous 1,5°C, Our World In Data

 Qui pourrait s’opposer à des solutions à la fois bon marché et d’une efficacité quasi instantanée, qui créeront d’innombrables emplois bien rémunérés et assureront un avenir sans souci aux générations futures ? Contentons-nous de chanter ces hymnes verts, de suivre des prescriptions entièrement renouvelables, et un nouveau nirvana mondial arrivera dans une dizaine d’années seulement ou si les choses prennent un peu de retard, en 2035.

Hélas, une lecture attentive révèle que ces prescriptions magiques n’expliquent pas comment les quatre piliers matériels de la civilisation moderne (ciment, acier, plastique et ammoniac) seront produits uniquement à partir d’électricité renouvelable. Elles n’expliquent pas non plus de manière convaincante comment l’aviation, le transport maritime et le transport routier (auxquels nous devons notre mondialisation économique moderne) pourraient devenir exempts de carbone à 80 % d’ici à 2030 ; elles se contentent d’affirmer qu’il pourrait en être ainsi.

Quelles options miraculeuses s’offriront aux nations africaines qui dépendent aujourd’hui des combustibles fossiles pour fournir 90 % de leur énergie primaire, afin de réduire leur dépendance à 20 % en une décennie ? Et comment la Chine et l’Inde (ces deux pays continuent de développer leurs activités d’extraction et de production d’électricité à partir du charbon) pourront-elles soudainement se passer du charbon ?

Il ne sert à rien de discuter des détails de ce qui est essentiellement l’équivalent universitaire de la science-fiction. Ils partent d’objectifs fixés arbitrairement (zéro émission en 2030 ou en 2050) et travaillent à rebours pour intégrer des actions supposées correspondre à ces réalisations, les besoins socio-économiques réels et les impératifs techniques étant peu, voire pas du tout, pris en compte.

La réalité s’impose donc des deux côtés. L’ampleur, le coût et l’inertie technique des activités dépendantes du carbone font qu’il est impossible d’éliminer toutes ces utilisations en quelques décennies seulement. Nous ne pouvons pas modifier instantanément le cours d’un système complexe simplement parce que quelqu’un décide que la courbe de consommation mondiale va soudainement inverser son ascension séculaire et entamer immédiatement un déclin soutenu et relativement rapide.

Nous sommes de plus en plus soumis à des tendances opposées, soit à embrasser le catastrophisme (ceux qui disent qu’il ne reste que quelques années avant que le rideau final ne tombe sur la civilisation moderne) soit le techno-optimisme (ceux qui prédisent que les pouvoirs de l’invention ouvriront des horizons illimités au-delà des limites de la Terre, transformant tous les défis terrestres en histoires sans importance). Je ne vois guère d’utilité pour l’une ou l’autre de ces positions. Je ne vois pas d’issues déjà prédéterminées, mais plutôt une trajectoire compliquée qui dépend de nos choix qui sont loin d’être verrouillés.

Les catastrophistes ont toujours eu du mal à imaginer que l’ingéniosité humaine puisse répondre aux futurs besoins alimentaires, énergétiques et matériels, mais au cours des trois dernières générations, nous y sommes parvenus malgré le triplement de la population mondiale depuis 1950. Et les techno-optimistes, qui promettent des solutions infinies et quasi miraculeuses, doivent compter avec un bilan tout aussi médiocre. L’un des échecs les plus connus est celui de la croyance dans le pouvoir absolu de la fission nucléaire comme solution à nos besoins énergétiques.

Dans la dernière poussée de catastrophisme exacerbé, certains journalistes et activistes écrivent sur une apocalypse climatique immédiate et lancent des avertissements définitifs : à l’avenir, les zones les mieux adaptées à l’habitation humaine se réduiront, de vastes régions de la Terre deviendront bientôt inhabitables, les migrations climatiques remodèleront l’Amérique et le monde, le revenu moyen mondial diminuera considérablement. Certaines prophéties affirment qu’il ne nous reste qu’une décennie environ pour éviter une catastrophe mondiale.

Je suis convaincu que nous pourrions nous passer de ce flot continu de prédictions toujours plus inquiétantes et trop souvent effrayantes. Quelle utilité y a-t-il à s’entendre dire chaque jour que la fin du monde est pour 2050 ou même 2030 ? Et si ces affirmations sont vraies, pourquoi devrions-nous même nous inquiéter du réchauffement climatique ?

D’un autre côté, pourquoi certains scientifiques continuent-ils à tracer des courbes arbitrairement incurvées et descendantes menant à une décarbonation quasi instantanée ? Et pourquoi d’autres promettent-ils l’arrivée rapide de super-solutions techniques qui permettront à l’humanité entière de bénéficier d’un niveau de vie élevé ? Il n’y a pas de limites à l’assemblage de tels modèles, laissant les pronostiqueurs poser l’hypothèse d’une électricité thermonucléaire ou d’une fusion froide 100 % bon marché d’ici 2050. Seule l’imagination limite ces hypothèses : elles vont du plus plausible au plus délirant.

Ces prophéties prévisiblement répétitives (aussi bien intentionnées et passionnées soient-elles) n’offrent aucun conseil pratique sur le déploiement des meilleures solutions techniques possibles, sur les moyens les plus efficaces de mettre en place une coopération mondiale juridiquement contraignante, ou sur la manière de relever le difficile défi de convaincre les populations de la nécessité de dépenses importantes dont les bénéfices ne seront pas visibles avant des décennies.

Le fait est que nous pouvons bel et bien faire la différence, mais pas en prétendant suivre des objectifs irréalistes et arbitraires. L’histoire ne se déroule pas comme un exercice académique informatisé avec des réalisations majeures tombant sur des années se terminant par zéro ou cinq ; elle est pleine de discontinuités, de revirements et de départs imprévisibles.

Nous pouvons procéder assez rapidement au remplacement de l’électricité produite par le charbon par de l’électricité produite par le gaz naturel (lorsqu’il est produit et transporté sans fuite importante de méthane, il a une intensité carbone nettement inférieure à celle du charbon) et à un développement de la production d’électricité solaire et éolienne. Nous pouvons abandonner les SUV et accélérer le déploiement à grande échelle des voitures électriques. Et nous avons encore d’importantes inefficacités dans la construction, la consommation d’énergie des ménages et des entreprises qui peuvent être réduites ou éliminées de manière rentable.

C’est la décarbonation de la production d’électricité qui peut progresser le plus rapidement, car les coûts d’installation par unité de capacité solaire ou éolienne peuvent désormais concurrencer les choix les moins coûteux en matière de combustibles fossiles. Et certains pays ont déjà transformé leur production à un degré considérable.

Des réductions importantes des émissions de carbone — résultant de la combinaison de gains d’efficacité continus, de meilleures conceptions de systèmes et d’une consommation modérée — sont possibles, et une poursuite déterminée de ces objectifs permettrait de limiter le rythme potentiel du réchauffement de la planète., Mais nous ne pouvons pas savoir dans quelle mesure nous y parviendrons d’ici à 2050, et penser à 2100 nous dépasse vraiment. Par exemple, y a-t-il un seul modélisateur climatique qui ait prédit en 1980 le plus important facteur anthropique à l’origine du réchauffement climatique de ces 30 dernières années : l’essor économique de la Chine ?

Ce qui reste en suspens c’est notre détermination collective — en l’occurrence mondiale — à relever efficacement au moins certains défis critiques. Les pays riches pourraient réduire leur consommation moyenne d’énergie par habitant dans des proportions importantes tout en conservant une qualité de vie confortable. La diffusion à grande échelle de solutions techniques simples, allant des triples fenêtres obligatoires à la conception de véhicules plus durables, aurait des effets cumulatifs importants.

La réalité est que toute mesure suffisamment efficace sera résolument non magique, progressive et coûteuse. Nous transformons l’environnement à des échelles de plus en plus grandes et avec une intensité croissante depuis des millénaires, et nous avons tiré de nombreux avantages de ces changements, mais inévitablement, la biosphère en a souffert. Il existe des moyens de réduire ces impacts, mais la volonté de les déployer aux échelles requises a fait défaut, et si nous commençons à agir de manière suffisamment efficace à l’échelle mondiale, nous devrons payer un prix économique et social considérable. Agirons-nous délibérément, avec prévoyance, ou seulement lorsque nous serons contraints par la détérioration des conditions ?

Les nouveaux départs, les nouvelles solutions et les nouvelles réalisations ne cessent de nous accompagner. Nous sommes une espèce très curieuse, avec une remarquable capacité d’adaptation à long terme et des réalisations récentes encore plus remarquables, qui ont permis de rendre la vie de la plupart des habitants de la planète plus saine, plus riche, plus sûre et plus longue. Pourtant, des contraintes fondamentales persistent : nous avons modifié certaines d’entre elles grâce à notre ingéniosité, mais ces ajustements ont leurs propres limites.

Et dans une civilisation où la production de produits essentiels sert désormais près de 8 milliards de personnes, toute dérogation aux pratiques établies se heurte également aux contraintes d’échelle. Même si l’offre de nouvelles énergies renouvelables (éolienne, solaire, nouveaux biocarburants) a augmenté de manière impressionnante — environ 50 fois au cours des 20 premières années du 21e siècle — la dépendance mondiale à l’égard du carbone fossile n’a que très peu diminué, passant de 87 % à 85 % de l’offre totale.

En outre, tout engagement efficace sera coûteux et devra durer au moins deux générations afin d’obtenir le résultat souhaité (une forte réduction, voire une élimination totale, des émissions de gaz à effet de serre). Et même des réductions drastiques allant bien au-delà de tout ce qui pourrait être envisagé de manière réaliste ne présenteront aucun avantage convaincant avant des décennies. Cela soulève le problème extraordinairement difficile de la justice intergénérationnelle, c’est-à-dire notre propension, jamais démentie, à ne pas tenir compte de l’avenir.

Nous accordons plus de valeur au présent qu’à l’avenir, et nous leur donnons un prix en conséquence. Si l’espérance de vie moyenne mondiale (environ 72 ans en 2020) reste inchangée, la génération née vers le milieu du XXIe siècle sera la première à bénéficier d’un avantage économique net cumulé grâce aux politiques d’atténuation du changement climatique. Les jeunes citoyens des pays riches sont-ils prêts à faire passer ces avantages lointains avant leurs gains plus immédiats ? Sont-ils prêts à maintenir ce cap pendant plus d’un demi-siècle ?

En 1945, personne n’aurait pu prédire que le monde compterait plus de 5 milliards de personnes supplémentaires et qu’elles seraient mieux nourries qu’à aucun autre moment de l’histoire. Une génération plus tard, il n’y a aucune raison de croire que nous sommes mieux placés pour prévoir l’ampleur des innovations techniques à venir, les événements qui façonneront le destin des nations et les décisions (ou leur regrettable absence) qui détermineront le sort de notre civilisation au cours des 75 prochaines années.

Je ne suis ni pessimiste ni optimiste. Je suis un scientifique qui tente d’expliquer comment le monde fonctionne réellement. Une compréhension réaliste de notre passé, de notre présent et de notre avenir incertain est la meilleure base pour aborder l’étendue inconnue du temps qui nous attend. Bien que nous ne puissions être précis, nous savons que la perspective la plus probable est un mélange de progrès et de reculs, de difficultés apparemment insurmontables et d’avancées quasi miraculeuses. L’avenir, comme toujours, n’est pas prédéterminé. Son issue dépend de nos actions. »

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