Ugo Bardi est professeur de chimie à Florence, Antonio María Turiel est docteur en physique, chercheur à l'institut des sciences marines de Barcelone.
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"La réalité peut ne pas être ce que vous pouvez percevoir et il semblerait que rien ne puisse exister ─ pour vous ─ au-delà de votre sphère de perception. En dehors de cela, il existe le domaine des « inconnus inconnus » tels que définis par Donald Rumsfeld, les « cygnes noirs » décrits par Nassim Taleb. Mais, en pratique, il existe une zone crépusculaire, dans laquelle vous pouvez percevoir vaguement que « quelque chose » existe là-bas. Certaines de ces choses ne sont que partiellement inconnues inconnues, au point que vous en perceviez assez pour vous rendre compte que vous devriez en être inquiet. Mais vous ne savez pas comment ni pourquoi."
[...]- Supposons que cet homme-fourmi sente une pomme. Il sait que la pomme existe et il se déplace dans la direction qui rend l’odeur plus forte, sachant qu’il s’en approche de plus en plus près. Mais, à un moment donné, il se trouve que, par curiosité, l’odeur commence à diminuer alors qu’aucune pomme n’a été perçue par les antennes ou les mandibules de cette fourmi. Alors la fourmi s’engage dans une série de stratégies de recherche pour essayer de trouver la pomme ; d’abord, aller linéairement d’avant en arrière, puis tourner en spirale, et plus encore. Mais il ne peut pas trouver la pomme pour la simple raison qu’elle est au-dessus de lui, suspendue à la branche d’un arbre. Finalement, le fourmi meurt de faim.
Voici un extrait du message de Turiel (traduit de l’espagnol) :
La métaphore de l’homme-fourmi nous sert à illustrer le dilemme auquel les sociétés occidentales sont confrontées depuis peu : le manque de dimension du débat. Au cours des deux dernières années, nous avons vu plusieurs pays engagés dans des élections cruciales, toujours avec seulement deux choix : le référendum grec, le Brexit, l’élection de Donald Trump … Le week-end dernier, c’était le tour de la France, avec la compétition entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le premier fut le gagnant et ce fut un grand soulagement pour les marchés financiers et la Commission européenne. Dans tous ces cas, une société qui voit sa vie en danger, une société qui sait qu’elle avance lentement mais inexorablement vers l’effondrement, cherche de nouvelles directions où aller. Comme la fourmi de notre histoire, la société se déplace d’abord en ligne droite, d’abord dans une alternative classique gauche / droite, mais ces lignes sont totalement discréditées (comme en France, où ni le Parti socialiste, ni l’UMP conservateur ne sont arrivés au second tour des élections), les gens commencent à chercher dans de nouvelles directions. Il n’est pas étonnant que toute cette succession d’élections dont nous avons parlé se soit résumée à un choix entre deux possibilités : c’est un mouvement entre deux points extrêmes, c’est une recherche en ligne droite. C’est la stratégie la plus banale, mais c’est la façon dont notre société a travaillé jusqu’à maintenant. Il n’y avait besoin de rien de plus complexe. (…)Il arrivera un moment, alors que le désespoir va se répandre parmi les classes moyennes dépossédées, où ce mouvement linéaire entre deux options opposées et également inutiles sera abandonné et qu’un mouvement en spirale débutera, probablement lorsque le niveau d’abstention sera si élevé, qu’il détruira la légitimité des élections à deux choix. À ce stade, des solutions désespérées seront poussées par les conditions désastreuses de la majorité de la population. Nous avons commenté ce point récemment, en discutant de la fin de la croissance : plus d’un quart de la population espagnole est en risque de pauvreté et d’exclusion, et alors que le PIB a vu deux ans de croissance, contrairement à d’autres pays qui nous entouraient. La seule possibilité de sortir du trou dans lequel nous nous trouvons est que la croissance se poursuive et à bon rythme, mais c’est une chimère.
Ugo Bardi
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