Réparer la finance mondiale, entre la dette et le diable

La traduction française de « Between Debt and the Devil : Money, Credit, and Fixing Global Finance » vient de paraître sous le titre « Reprendre le contrôle de la dette. Pour une réforme radicale du système financier ». Gaël Giraud préface le livre de Lord Adair Turner, ancien président de l’Autorité des services financiers britanniques, vous la trouverez ci-dessous; quelques extraits centrés sur le diagnostic :
L’union bancaire Européenne ne protège nullement le contribuable Européen, français en particulier. Les plus optimistes devraient méditer le traitement inflige à la banque italienne en faillite, Monte dei Paschi di Siena, durant la Noël 2016 : la plus ancienne banque d’Italie a été nationalisée ; le contribuable italien aura donc à payer ses dettes. Tout comme en 2009, l’Europe continue de privatiser les profits et de socialiser les pertes.
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En d’autres termes, ce que nous apprend Turner, c’est que la leçon de Karl Polanyi – ce grand économiste hongrois de l’entre-deux-guerres – est toujours valable : la finance déréglée est le meilleur ennemi de la prospérité et de la démocratie.
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des 1986, la théorie de l’équilibre général walrasien – le « cœur » de l’économie orthodoxe avait démontré que les marches sont (presque) toujours très inefficaces. Turner illustre admirablement cette proposition en montrant que la libéralisation des flux de capitaux a généré un déséquilibre massif des comptes courants à l’échelle mondiale, forçant certains pays à s’endetter pour acheter la production des autres. Au niveau Européen, l’Allemagne illustre de manière caricaturale la manière dont un pays peut bénéficier de ce déséquilibre aux dépens de la quasi-totalité des autres membres de la zone euro.
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La finance de marches ne serait pas celle que l’on connaît aujourd’hui sans l’évolution récente de nos sociétés tout entières. Aussi l’auteur examine-t-il comment nos sociétés dans leur ensemble ont pu en arriver là. Des sociétés dont l’accumulation de richesses a servi de combustible a l’expansion de la sphère financière. À tel point qu’aujourd’hui le crédit bancaire, destiné en principe à servir à financer de nouveaux capitaux (bon crédit), sert principalement a l’achat de biens fonciers déjà existants (mauvais crédit). À l’origine de cette déviance, selon Turner, une tendance naturelle des banques à favoriser la sécurité du foncier au détriment du financement d’actifs productifs. La hausse continue des biens immobiliers des grandes villes comme Londres ou Paris permet aux banques de prêter toujours plus d’argent aux individus pour le financement d’un même bien. En d’autres termes, la métropolisation de nos géographies – jointe à la relégation des classes pauvres et moyennes dans les banlieues – et l’instabilité macroéconomique sont deux aspects d’une même réalité : nous sommes « accros » à la (mauvaise) dette. C’est ce phénomène qui explique l’essentiel de la dérive des inégalités de patrimoine que l’on observe dans un certain nombre de pays de l’OCDE depuis trois décennies. Il préside au mécanisme central à l’œuvre dans l’analyse d’Adair Turner. Dans nos économies, estime-t-il, « la capacité illimitée du système bancaire à créer du crédit, de la monnaie et du pouvoir d’achat est uniquement contrainte par l’offre inélastique d’actifs fonciers spécifiques ». Pour l’auteur en effet, c’est l’interaction entre ces deux éléments qui est au cœur de l’instabilité macroéconomique. Ce qu’il écrit au sujet de l’immobilier vaut d’ailleurs, a mon sens, tout autant pour les actions financières. Depuis l’effondrement de la bulle Internet en 2001, le marché mondial des introductions en Bourse est resté essentiellement atone, à de très rares exceptions près. De sorte que le stock d’actions émises reste à peu près constant. Les tombereaux de liquidités émis par les banques centrales depuis la fin des années 1990 ont alors permis a ceux qui bénéficièrent de cette manne de spéculer sur les actions de la même manière qu’ils ont spéculé sur les centres-villes bourgeois des grandes capitales occidentales.
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Au-delà du foncier, d’autres facteurs poussent a la création excessive de (mauvais) crédits selon Turner. Les inégalités favorisent le crédit, car la tendance naturelle des plus riches à épargner une plus grande proportion de leur revenu génère des tensions déflationnistes. Celles-ci contraignent les plus pauvres à contracter des crédits pour pouvoir garder leur niveau de consommation constant. C’est ici que l’auteur opère un lien fondamental entre l’accroissement des inégalités et la dynamique de la dette privée. Plus il y a d’inégalités, plus les pauvres (qui le peuvent) auront tendance à s’endetter. On pourrait du reste remarquer que cette dynamique perverse à tendance à s’auto-entretenir, car l’endettement des pauvres les contraint à consacrer une part grandissante de leur revenu au service de la dette, lequel gonflera les profits des banques, donc les dividendes de leurs actionnaires. Autrement dit, l’endettement des pauvres et des classes moyennes induit des profits supplémentaires pour les riches. Jusqu’au moment où, comme en 2007, les pauvres ne peuvent pas non plus rembourser leurs dettes et voient leurs biens saisis. Leur propriété est alors transférée au secteur bancaire, donc a ses « propriétaires ». L’endettement siphonne les revenus des pauvres pour les redistribuer aux plus riches, et le défaut de paiement achève de siphonner le peu de capital dont disposent les premiers pour le transférer aux seconds. Dans le cas d’un pays « zombie », comme la Grèce, le transfert prend la forme de privatisations, comme celle du port du Pirée, vendu pour une bouchée de pain, ainsi que celles d’iles entières dans la Méditerranée, d’aéroports grecs, etc.
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L’auteur explique qu’au regard de la quasi-stagnation enregistrée par l’Europe depuis 2009 et compte tenu de l’accroissement phénoménal de dette (privée et publique) auquel nous recommençons d’assister dans de trop nombreux pays, le financement direct des déficits publics par voie de création monétaire est inévitable. C’est précisément ce Rubicon que les traites Européens interdisent à la Banque centrale Européenne de franchir. Pourquoi ? Parce que la zone euro est construite sur le dogme invraisemblable selon lequel, lorsque les banques privées créent de la monnaie pour maximiser leur profit, elles servent l’intérêt général, tandis que lorsque la Banque centrale crée de la monnaie pour un État, elle se compromet nécessairement dans les basses œuvres de la politique électoraliste. Dogme d’autant plus étonnant que les vingt-cinq dernières années nous ont tous édifiés sur la capacité du secteur bancaire prive a faire bon usage de son droit de battre monnaie, et que les dirigeants des banques, en France en tout cas, sont tous issus de la haute fonction publique. Lorsque ces fonctionnaires travaillent pour l’État, ils seraient notoirement incompétents, tandis que, des que leurs salaires sont multiplies par plus de cent a l’issue d’une pantoufle dans le privé, ils deviennent soudainement des experts.

Mireille Martini qui a encadré la traduction française, a résumé le livre début 2016.




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