Tout ce que vous pensiez savoir, et pourquoi vous vous trompez

Tout ce que vous pensiez savoir, et pourquoi vous vous trompez, Nathaniel Rich, New York Times, 11 mai 2022

Traduction avec DeepL. Liens et passages en gras rajoutés.

Compte-rendu du livre « Comment le monde fonctionne vraiment : La science derrière la façon dont nous sommes arrivés ici et où nous allons » de Vaclav Smil.

« Le quatrième mot du titre [vraiment] — un pléonasme — est le révélateur. Il annonce le ton du 49e livre de Vaclav Smil : un mépris acerbe pour les déclarations irresponsables des experts autoproclamés, en particulier ceux qui se rendent coupables d’innumérisme, de non historicisme et d’autres formes de vœux pieux auxquels Vaclav Smil ne se laisserait jamais prendre. Vous avez entendu beaucoup de pronostics sur l’état du monde. Ce sont des foutaises. Voici, enfin, comment le monde fonctionne vraiment.

Smil, qui enseigne à l’Université du Manitoba depuis un demi-siècle, fonde son expertise sur la force d’un pedigree polymathe presque inégalé dans la vie universitaire nord-américaine. Contrairement à Noam Chomsky — dont Smil ridiculise au passage l’étendue de l’expertise — Smil ne souffre pas de polémiques. Il n’est pas non plus un prévisionniste, comme il le souligne à plusieurs reprises (avec une exaspération croissante). Il est plutôt un anti-prévisionniste, méprisant toute prédiction faite sur des systèmes complexes. Smil est un compilateur de données, un quantificateur infatigable (jusqu’à la dixième décimale), un synthétiseur, un pragmatique et un utilitariste. Ou, comme il le dit lui-même, “je suis un scientifique qui essaie d’expliquer comment le monde fonctionne réellement”.

Pour ce faire, cependant, il faut trier et hiérarchiser, il faut filtrer les informations du monde à travers des critères subjectifs. Même l’utilitarisme est dans l’œil de celui qui observe. Les politiques conçues pour favoriser le plus grand nombre de personnes doivent-elles, par exemple, tenir compte des personnes qui ne sont pas encore nées ? Si oui, combien de générations de ces personnes ? Sur de telles questions, aussi cruciales soient-elles pour la politique climatique, les calculs mathématiques cèdent inexorablement le pas aux calculs éthiques.

Mais avant de s’aventurer dans un tel marécage non scientifique, il faut d’abord bien connaître les chiffres, et c’est là que Smil excelle. Il adresse son livre à des lecteurs profanes qui n’ont peut-être aucune idée de la manière dont les aliments arrivent dans leur assiette, de l’énergie qui anime leur réfrigérateur ou de la probabilité qu’ils soient renversés sur le chemin du supermarché. Bien sûr, la plupart d’entre nous pourraient offrir des explications raisonnables, nous pourrions répondre aux questions d’un élève de CP. Mais la plupart d’entre nous dépériraient sous le contre-interrogatoire de Smil.

En peu de temps, Smil résume l’histoire de la production mondiale d’énergie, de nourriture, de matières premières et du commerce. (Smil a consacré des livres à chacun de ces sujets.) Des détails significatifs en ressortent. Le Canada, qui dispose d’une superficie forestière plus importante que n’importe quelle nation riche, économise de l’argent en important des cure-dents de Chine. Aucun pays ne possède suffisamment de métaux de terres rares pour soutenir son économie. Le monde jette un tiers de sa nourriture. Les êtres humains bénéficient aujourd’hui, en moyenne, de 34 gigajoules d’énergie par an. Exprimé en unités de travail humain, c’est “comme si 60 adultes travaillaient non-stop, jour et nuit” pour chaque habitant. Les habitants des pays riches sont mieux lotis : une famille américaine de quatre personnes a plus d’employés que le Roi Soleil à Versailles.

Au cours de ces chapitres de présentation, une cloche ne cesse de sonner, et son vacarme a tôt fait d’étouffer les litanies de carburant diesel par kilogramme et les ratios de masse d’énergie incorporée sur masse alimentaire. Il annonce avec force que tous les aspects fondamentaux de la civilisation moderne reposent en grande partie sur la combustion de combustibles fossiles. Prenez notre système alimentaire. Les lecteurs de Michael Pollan ou d’Amanda Little comprennent qu’il est moralement indéfendable d’acheter des myrtilles du Chili ou, Dieu nous en préserve, de l’agneau de Nouvelle-Zélande. Mais même un humble pain au levain nécessite l’équivalent d’environ 5,5 cuillères à soupe de diesel, et une tomate de supermarché, que Smil décrit comme n’étant rien de plus qu’"un récipient d’eau à la forme attrayante" (toutes mes excuses à Marcella Hazan), est le produit d’environ six cuillères à soupe de diesel. “Combien de végétariens appréciant la salade, écrit-il, sont conscients de son empreinte substantielle en combustible fossile ?”

Il est préférable de manger local, mais nous n’avons pas assez de terres arables pour soutenir notre population, même sur notre vaste continent, du moins pas sans l’application de quantités obscènes d’engrais dérivés du gaz naturel. Il faut également tenir compte des plus de trois milliards d’habitants des pays en développement qui devront doubler ou tripler leur production alimentaire pour atteindre un niveau de vie décent. Il faut ensuite ajouter les deux milliards supplémentaires qui nous rejoindront bientôt. “Dans un avenir prévisible”, écrit Smil, “nous ne pouvons pas nourrir le monde sans compter sur les combustibles fossiles.” Il effectue des calculs similaires pour la production mondiale d’énergie, de ciment, d’ammoniac, d’acier et de plastique, et arrive toujours au même résultat : “Un retrait rapide et à grande échelle de l’état actuel est impossible.”

L’image de scientifique impartial de Smil s’effrite à chaque fois qu’il ricane contre les “partisans d’un nouveau monde vert” ou “ceux qui préfèrent les mantras des solutions vertes à la compréhension de la façon dont nous en sommes arrivés là”. Il n’en reste pas moins que son point de vue général est valable : Nous sommes esclaves des combustibles fossiles. La transition mondiale que nous avons à peine entamée, de manière inégale, n’est pas l’œuvre d’années, mais de décennies, voire de siècles.

Le livre de Smil peut être compris comme un document critique. Il trouve une cible digne de ce nom dans la bataille rhétorique inepte, menée par les militants du climat (et relayée par les journalistes spécialisés dans le domaine), entre l’optimisme béat et le pessimisme apocalyptique. Il réserve son plus grand vitriol aux écrivains populaires qui soit “soutiennent qu’un avenir durable est à notre portée”, soit avertissent que “de vastes régions de la Terre deviendront bientôt inhabitables, que la migration climatique remodèlera l’Amérique et le monde, que le revenu moyen mondial diminuera considérablement.”

Smil laisse planer le mystère sur l’identité de ces auteurs “de plus en plus véhéments ou de plus en plus écervelés”, car à quelques exceptions près (Jeremy Rifkin, Amory Lovins et Yuval Noah Harari sont brièvement mentionnés), il refuse de les nommer. Au lieu de cela, nous sommes invités à nous joindre à ses moqueries à l’égard des “informations des médias de masse”, des “partisans des nouvelles technologies”, des “armées d’experts instantanés” et de ceux qui font des déclarations telles que : “chantons tous ces hymnes verts, suivons les prescriptions du tout renouvelable et un nouveau nirvana mondial arrivera….” Cela semble en effet être une chose naïve à dire. Espérons qu’un jour, qui que ce soit qui l’ai dit, lira Smil.

Il est néanmoins rassurant de lire un auteur aussi peu enclin aux modes rhétoriques et aussi désireux de défendre l’incertitude. Il est possible, nous rappelle Smil, de consacrer d’énormes ressources à la lutte contre le changement climatique sans faire de vaines promesses quant aux conséquences que ces efforts auront sur nos propres vies. Le livre de Smil est essentiellement un plaidoyer pour l’agnosticisme et, croyez-le ou non, pour l’humilité, le métal terrestre le plus rare de tous. Ses déclarations les plus précieuses concernent l’impossibilité d’agir avec une prévoyance parfaite. Vivre dans l’incertitude, après tout, “reste l’essence de la condition humaine”. Même dans le scénario le plus optimiste, l’avenir ne ressemblera pas au passé. Nous devrons naviguer dans des conditions apparemment impossibles, en nous fiant à notre instinct, à des hypothèses imparfaites et à nos vieux défauts familiers (principalement “notre propension jamais démentie à ne pas tenir compte de l’avenir”). Ce n’est peut-être pas une conclusion particulièrement galvanisante, mais c’est bien ainsi que le monde fonctionne. »

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