« Depuis plus d’un demi-siècle, la croissance mondiale de la richesse n’a cessé d’accroître l’utilisation des ressources et des émissions polluantes bien plus rapidement que celles-ci n’ont été réduites grâce à une meilleure technologie. Les citoyens aisés du monde entier sont responsables de la plupart des impacts environnementaux et sont au cœur de toute perspective future de retour à des conditions environnementales plus sûres. Nous résumons les faits et présentons les approches de solutions possibles. Toute transition vers la durabilité ne peut être efficace que si des changements profonds du mode de vie complètent les avancées technologiques. Cependant, les sociétés, les économies et les cultures existantes incitent à l’expansion de la consommation et l’impératif structurel de croissance dans des économies de marché compétitives empêche les changements sociétaux nécessaires. » Wiedmann T., Lenzen M., Keyßer, L.T. et al. Scientists » warning on affluence. Nature Communications (2020).
La richesse tue la planète, avertissent des scientifiques, The Conversation, 24 juin 2020 [traduction de l'article de vulgarisation qui accompagne la perspective dans le journal "Nature Communications" (passages en gras rajoutés)]
Vous aimeriez être riche ? Il y a de fortes chances que votre réponse soit : « Oui ! Qui ne voudrait pas être riche ? » Il est clair que dans les sociétés où l’argent peut presque tout acheter, être riche est généralement perçu comme quelque chose de bien. Cela implique plus de liberté, moins de soucis, plus de bonheur, un statut social plus élevé.
Mais voici le piège : l’abondance détruit nos systèmes de régulation de la vie à l’échelle planétaire. Qui plus est, elle entrave également la nécessaire transformation vers la soutenabilité en contrôlant les relations de pouvoir et les normes de consommation. Pour parler crûment : les riches font plus de mal que de bien.
C’est ce que nous avons découvert dans une nouvelle étude pour la revue Nature Communications. Avec notre coauteur Lorenz Keysser de l’École polytechnique fédérale de Zürich, nous avons passé en revue la littérature scientifique récente sur les liens entre la richesse et les impacts environnementaux, sur les mécanismes systémiques menant à la surconsommation et sur les solutions possibles au problème. L’article fait partie d’une série d’avertissements des scientifiques à l’humanité.
Technologie et consommation
Les faits sont clairs : les 0,54 % les plus riches, soit environ 40 millions de personnes, sont responsables de 14 % des émissions de gaz à effet de serre liées au mode de vie, tandis que les 50 % des personnes les plus pauvres, soit près de 4 milliards de personnes, n’en émettent qu’environ 10 %. Les 10 % de personnes les plus riches du monde sont responsables d’au moins 25 % et jusqu’à 43 % de notre impact environnemental.
La plupart des personnes vivant dans les pays développés entrent dans cette catégorie, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire de se considérer comme riche pour l’être effectivement au niveau mondial. De nombreuses personnes pauvres dans les pays riches ont une empreinte sur les ressources disproportionnée et non durable par rapport à la moyenne mondiale.
Il est cependant moins évident de savoir comment résoudre les problèmes qui accompagnent l’abondance. Les décideurs politiques progressistes parlent d’« écologisation de la consommation » ou de « croissance durable » pour « découpler » la richesse de la dégradation du climat, de la perte de biodiversité et d’autres destructions à l’échelle planétaire.
Pourtant, nos recherches confirment qu’en réalité, rien ne prouve que ce découplage se produise réellement. Si les progrès technologiques ont contribué à réduire les émissions et d’autres impacts environnementaux, la croissance mondiale de la richesse a constamment dépassé ces gains, ce qui a eu pour effet de faire remonter tous les impacts.
Et il semble très peu probable que cette relation change à l’avenir. Même les technologies les plus propres ont leurs limites et nécessitent encore des ressources spécifiques pour fonctionner, tandis que les économies d’énergie entraînent souvent simplement une augmentation de la consommation.
Si la technologie seule ne suffit pas, il est donc impératif de réduire la consommation des nantis, ce qui se traduit par des modes de vie axés sur la suffisance : « mieux, mais moins ». Mais tout cela est plus facile à dire qu’à faire, car il y a un problème.
Les super-riches
Le confinement a entraîné une baisse massive de la consommation. Mais la chute sans précédent des émissions de CO₂ et de polluants atmosphériques qui en a résulté n’était qu’un effet du confinement, pas une partie délibérée de celui-ci, et ne durera pas.
Alors comment pouvons-nous réduire la consommation autant que nécessaire d’une manière socialement durable, tout en préservant les besoins humains et la sécurité sociale ? Il s’avère ici que le principal obstacle n’est pas les limites technologiques ou l’économie elle-même, mais l’impératif économique de faire croître l’économie, stimulé par la surconsommation et le pouvoir politique des super-riches.
Les personnes riches et puissantes et leurs gouvernements ont tout intérêt à promouvoir délibérément une consommation élevée et à entraver les modes de vie axés sur la suffisance. Comme les décisions de consommation des individus sont fortement influencées par l’information et par les autres [la société], cela peut favoriser des modes de vie de forte consommation.
La « consommation ostentatoire » est un autre mécanisme clé, où les gens consomment de plus en plus de biens de statut une fois leurs besoins fondamentaux satisfaits. Cela crée une spirale de croissance, alimentée par les riches, où chacun s’efforce d’être « supérieur » par rapport à ses pairs alors que le niveau de consommation global augmente. Ce qui semble moyen ou normal dans un pays développé devient alors rapidement une contribution de premier plan au niveau mondial.
Alors, comment sortir de ce dilemme ?
Nous avons examiné diverses approches qui pourraient avoir la solution. Elles vont des idées réformistes aux idées radicales, et comprennent le post-développement, la décroissance, l’éco-féminisme, l’écosocialisme et l’éco-anarchisme. Toutes ces approches ont en commun qu’elles se concentrent sur des résultats environnementaux et sociaux positifs et non sur la croissance économique. Il est intéressant de noter qu’il semble y avoir un certain chevauchement stratégique entre elles, du moins à court terme. La plupart s’accordent sur la nécessité de donner une forme ascendante, venant de la base, autant que possible à la nouvelle économie, moins riche que l’ancienne, tout en démontrant que les modes de vie axés sur la suffisance sont souhaitables.
Les initiatives de base telles que les initiatives de transition et les éco-villages peuvent en être des exemples, conduisant à un changement de culture et de conscience. Toutefois, des réformes politiques de grande envergure sont finalement nécessaires, notamment en ce qui concerne les revenus maximum et minimum, les écotaxes, la propriété collective des entreprises, etc. Les Green New Deals aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe ou le New Zealand Wellbeing Budget 2019 sont des exemples de politiques qui commencent à intégrer certains de ces mécanismes.
Les mouvements sociaux joueront un rôle crucial dans la promotion de ces réformes. Ils peuvent remettre en question l’idée que la richesse et la croissance économique sont intrinsèquement bonnes et mettre en avant les « points de basculement sociaux ». En fin de compte, l’objectif est d’établir des économies et des sociétés qui protègent le climat et les écosystèmes et qui enrichissent les gens en leur offrant plus de bien-être, de santé et de bonheur au lieu de leur donner plus d’argent.
Pour illustrer : des graphiques montrant les parts d'émissions de gaz à effet de serre selon les catégories de revenu
source : UNEP |
- Le 1% des plus riches en terme de revenu
- Les 10% des plus riches en terme de revenu
- Les 40% des revenus au milieu
- les 50% des revenus les plus bas
Lecture du graphique de droite :
- Le 1% des plus riches en terme de revenu produit 15% des émissions de carbone.
- Les 10% des plus riches en terme de revenu produisent 48% des émissions de carbone.
- Les 40% suivant produisent 44% des émissions de carbone.
- Le 50% restant (les moins riches) produisent 7% des émissions de carbone.
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