L’avenir de la Terre vous inquiète ? Eh bien, les perspectives sont bien pires que ce que les scientifiques peuvent appréhender, Corey J. A. Bradshaw & Daniel T. Blumstein & Paul Ehrlich, 21 janvier 2021
Quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’environnement mondial sait que tout va mal. Mais à quel point la situation est-elle grave ? Notre nouvel article montre que les perspectives de la vie sur Terre sont plus sombres qu’on ne le pense généralement.
La recherche publiée aujourd’hui [traduction] passe en revue plus de 150 études pour produire un résumé sévère de l’état du monde naturel. Nous décrivons les tendances probables du déclin de la biodiversité, des extinctions de masse, du dérèglement climatique et de la pollution de la planète. Nous précisons la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’humanité et donnons un aperçu des crises auxquelles il faut s’attaquer dès maintenant.
Ces problèmes, tous liés à la consommation humaine et à la croissance démographique, s’aggraveront très certainement au cours des prochaines décennies. Les dégâts se feront sentir pendant des siècles et menacent la survie de toutes les espèces, y compris la nôtre.
Notre article a été rédigé par 17 scientifiques de premier plan, dont ceux de l’université Flinders, de l’université Stanford et de l’université de Californie à Los Angeles. Notre message n’est peut-être pas populaire, et il est en effet effrayant. Mais les scientifiques doivent être francs et précis si l’humanité veut comprendre l’énormité des défis auxquels elle est confrontée.
S’attaquer au problème
Tout d’abord, nous avons examiné dans quelle mesure les experts saisissent l’ampleur des menaces qui pèsent sur la biosphère et ses formes de vie, y compris l’humanité. Il est alarmant de constater que les recherches montrent que les conditions environnementales futures seront beaucoup plus dangereuses que ce que les experts pensent actuellement.
Cela s’explique en grande partie par le fait que les universitaires ont tendance à se spécialiser dans une discipline, ce qui signifie que souvent, ils ne connaissent pas le système complexe dans lequel s’inscrivent les problèmes à l’échelle de la planète - et leurs solutions potentielles.
De plus, les changements positifs peuvent être entravés par le fait que les gouvernements rejettent ou ignorent les avis scientifiques, et par l’ignorance du comportement humain, tant de la part des experts techniques que des décideurs politiques.
Plus généralement, le biais d’optimisme de l’être humain, qui consiste à penser que les mauvaises choses sont plus susceptibles d’arriver aux autres qu’à soi-même, signifie que de nombreuses personnes sous-estiment la crise environnementale.
Les chiffres ne mentent pas
Nos recherches ont également fait le point sur l’état actuel de l’environnement mondial. alors que les problèmes sont trop nombreux pour être abordés ici dans leur intégralité, ils comprennent :
- une réduction de moitié de la biomasse végétale depuis la révolution agricole, il y a environ 11 000 ans. Dans l’ensemble, l’homme a modifié près des deux tiers de la surface terrestre.
- environ 1 300 extinctions d’espèces documentées au cours des 500 dernières années, et beaucoup d’autres non répertoriées. De manière plus générale, la taille des populations d’espèces animales a diminué de plus de deux tiers au cours des 50 dernières années, ce qui laisse supposer que d’autres extinctions sont imminentes.
- environ un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction dans le monde. La masse totale des mammifères sauvages est aujourd’hui de moins d’un quart de la masse qui existait avant que l’homme ne commence à coloniser la planète. Les insectes disparaissent également rapidement dans de nombreuses régions
- 85 % des zones humides de la planète ont disparu en 300 ans et plus de 65 % des océans ont été compromis dans une certaine mesure par l’homme.
- une réduction de moitié de la couverture de coraux vivants sur les récifs en moins de 200 ans et une diminution de l’étendue des herbiers marins de 10 % par décennie au cours du siècle dernier. Les forêts de laminaires ont perdu environ 40 % de leur surface et le nombre de grands poissons prédateurs est moins de 30 % de ce qu’il était il y a un siècle.
Une mauvaise situation qui ne fait qu’empirer
La population humaine a atteint 7,8 milliards d’habitants, soit le double de ce qu’elle était en 1970, et devrait s’élever à environ 10 milliards d’ici à 2050. L’augmentation de la population est synonyme d’insécurité alimentaire, de dégradation des sols, de pollution plastique et de perte de biodiversité.
Les fortes densités de population rendent les pandémies plus probables. Elles entraînent également la surpopulation, le chômage, la pénurie de logements et la détérioration des infrastructures, et peuvent déclencher des conflits menant à des insurrections, au terrorisme et à la guerre.
En fait, l’homme a créé un système de Ponzi écologique. La consommation, en pourcentage de la capacité de la Terre à se régénérer, est passée de 73 % en 1960 à plus de 170 % aujourd’hui.
Les pays grands consommateurs comme l’Australie, le Canada et les États-Unis utilisent plusieurs unités d’énergie fossile pour produire une unité d’énergie alimentaire. La consommation d’énergie augmentera donc dans un avenir proche, en particulier avec l’essor de la classe moyenne mondiale.
Ensuite, il y a le changement climatique. L’humanité a déjà dépassé le seuil de 1 °C de réchauffement global au cours de ce siècle, et il est presque certain qu’elle dépassera 1,5 °C entre 2030 et 2052. Même si toutes les nations parties à l’Accord de Paris ratifient leurs engagements, le réchauffement atteindrait encore entre 2,6 °C et 3,1 °C d’ici 2100.
Le danger de l’impuissance politique
Notre étude montre que les politiques mondiales sont loin de répondre à ces menaces existentielles. Pour assurer l’avenir de la Terre, il faut prendre des décisions prudentes et à long terme. Toutefois, les intérêts à court terme et un système économique qui concentre les richesses entre les mains d’un petit nombre d’individus y font obstacle.
Les leaders populistes de droite ayant des programmes anti-environnementaux sont de plus en plus nombreux et, dans de nombreux pays, les groupes de protestation environnementale ont été qualifiés de « terroristes ». L’environnementalisme s’est transformé en une arme d’idéologie politique, au lieu d’être considéré comme un mode universel d’auto-préservation.
Les campagnes de désinformation financées, telles que celles contre l’action climatique et la protection des forêts, protègent les profits à court terme et prétendent qu’une action environnementale significative est trop coûteuse, tout en ignorant le coût plus large de l’inaction. Dans l’ensemble, il semble peu probable que les investissements des entreprises changent à une échelle suffisante pour éviter une catastrophe environnementale.
Changer de cap
Un changement fondamental est nécessaire pour éviter cet avenir effroyable. Plus précisément, nous suggérons, comme beaucoup d’autres, de :
- abolir l’objectif de la croissance économique perpétuelle
- révéler le coût réel des produits et des activités en obligeant ceux qui endommagent l’environnement à payer pour sa restauration, par exemple en fixant un prix pour le carbone
- éliminer rapidement les combustibles fossiles
- réglementer les marchés en réduisant les monopoles et en limitant l’influence indue des entreprises sur les politiques
- réduire le lobbying des entreprises auprès des représentants politiques
- éduquer et autonomiser les femmes dans le monde entier, notamment en leur donnant le contrôle de la planification familiale.
Ne pas détourner le regard
De nombreuses organisations et personnes se consacrent à la réalisation de ces objectifs. Cependant, leurs messages n’ont pas suffisamment pénétré les sphères politiques, économiques et universitaires pour faire une grande différence.
Ne pas reconnaître l’ampleur des problèmes auxquels l’humanité est confrontée n’est pas seulement naïf, c’est aussi dangereux. Et la science a un rôle important à jouer à cet égard.
Les scientifiques ne doivent pas édulcorer les défis écrasants qui nous attendent. Ils doivent au contraire dire les choses telles qu’elles sont. Toute autre attitude est au mieux trompeuse, et au pire potentiellement mortelle pour l’entreprise humaine.
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