Jeff Sachs critique l’agressivité des États-Unis dans leurs relations internationales

Le 3 octobre dernier, l’économiste du développement Jeffrey Sachs, interviewé sur Bloomberg TV a mis en cause la politique internationale de son pays. Il a également évoqué la baisse de niveau de vie que subissent les Européens à cause de la baisse de la production, mais ce qui a marqué les esprits est son point de vue sur le sabotage des gazoducs Nord Stream.

« Être un ennemi des États-Unis est dangereux, mais être un ami est fatal. » Henry Kissinger, maître à penser et stratège de la politique étrangère des États-Unis durant quelques décennies.

Présentation de Sachs :

J.Sachs est « le seul universitaire à avoir figuré plusieurs fois au classement des personnalités les plus influentes du monde publié par le magazine américain Time Magazine. » Il a une expérience de la Russie puisqu’il a conseillé le gouvernement russe en matière économique après la chute de l’URSS.

Wikipédia anglais : « Il est connu pour son travail sur le développement durable, le développement économique et la lutte contre la pauvreté.

Sachs est (…) président du Réseau des solutions de développement durable des Nations unies. Il est un défenseur des objectifs de développement durable (ODD) pour le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), António Guterres, concernant les ODD, un ensemble de 17 objectifs mondiaux adoptés lors d’un sommet de l’ONU en septembre 2015. De 2001 à 2018, Sachs a été conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, et a occupé le même poste sous le précédent Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et avant 2016, un poste consultatif similaire lié aux précédents Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), huit objectifs sanctionnés par la communauté internationale pour réduire l’extrême pauvreté, la faim et la maladie d’ici 2015.

Extraits de sa page Wikipédia en français : « Il est connu pour ses travaux comme consultant économique auprès des gouvernements d’Amérique latine, d’Europe de l’Est, d’ex-Yougoslavie, d’ex-Union soviétique, d’Asie, et d’Afrique. Il a proposé une thérapie de choc (bien qu’il n’apprécie pas personnellement ce terme) comme solution aux crises économiques vécues en Bolivie, en Pologne et en Russie (politique qui aurait provoqué 3,2 millions de victimes en Russie, selon l’UNICEF et l’IRC). (…)

En 2007, la journaliste canadienne Naomi Klein a sévèrement critiqué l’action de Jeffrey Sachs en tant que conseiller économique. D’après elle, la « thérapie de choc ») qu’il a préconisée en Bolivie (1985), en Pologne (1989) et en Russie (1991) a eu des conséquences désastreuses. Si une petite partie de la population a pu chaque fois s’enrichir, le traitement de choc du « docteur Sachs » a entraîné un appauvrissement considérable des sociétés bolivienne, polonaise et russe. Ces mesures ont d’ailleurs été très mal accueillies par ces populations. En Pologne, sous la pression populaire, l’équipe dirigeante (issue de Solidarność) dut mettre fin à une vague de privatisations et à une politique contraires au programme du syndicat Solidarność. En Bolivie et en Russie, il fallut des manœuvres fort peu démocratiques (…), pour contraindre les populations à accepter cette nouvelle politique économique. (…)

L’universitaire américain Kenneth D. Lehman écrit qu’en Bolivie, à la suite de l’application en 1985 du « décret suprême 21060 » conçu par Jeffrey Sachs et son équipe « le pouvoir d’achat moyen a chuté de 70 % en 1986. (…) Le chômage a atteint entre 20 et 25 % [de la population active], cependant que l’on supprimait presque toutes les protections sociales dont jouissaient jusque-là les ouvriers. »

Il faut mentionner cependant que, en Pologne, pays où ses stratégies ont été payantes à plus long terme, sa contribution majeure a été reconnue plus tard. »

Transcription de l’interview :

l’animateur Tom Keene : Jeffrey Sachs est professeur d’économie à l’université de Columbia. (…), mais je tiens à souligner qu’il a été 10 ans en avance sur l’effondrement de l’éducation américaine et sur la lutte entre les deux Amériques. Vous étiez dans l’Atlantic [magazine américain] cette semaine et on vous compare à Mearsheimer comme étant le plus réaliste. Quelle devrait être notre réponse à M. Poutine, avec vos réflexions sur la guerre et l’agression après les atrocités humaines qui sont reportées ?

Jeffrey Sachs : J’ai été attaqué dans The Atlantic [magazine américain] pour être du côté de la paix. Et je l’avoue, je suis du côté de la paix. Je suis très inquiet que nous soyons sur la voie de l’escalade vers la guerre nucléaire, rien de moins.

La Russie estime que cette guerre est au cœur de ses intérêts de sécurité. Les États-Unis insistent sur le fait qu’ils feront tout pour aider l’Ukraine à vaincre la Russie. La Russie considère cela comme une guerre par procuration avec les États-Unis. Quoi qu’on en pense, c’est la voie d’une escalade extraordinaire et dangereuse.

Tom Keene : Vous avez vécu cela avec Eltsine, vous étiez là pour Gorbatchev et Eltsine et le reste. Je me souviens que vous êtes descendu de l’avion à l’aéroport JFK, bouleversé par l’effondrement de cette première expérience. Avez-vous le sentiment que M. Poutine est seul ? Son armée le soutient-elle ?

Jeffrey Sachs : Une grande partie du monde regarde ces événements avec horreur, et une grande partie du monde n’aime pas cette expansion de l’OTAN, qu’ils interprètent comme étant au cœur de tout cela. Ils veulent voir un compromis entre les États-Unis et la Russie.

Vote après vote aux Nations Unies, ce sont les pays occidentaux qui ont voté pour des sanctions, des dénonciations et d’autres actions. Alors que la majorité du monde, certainement la majorité du monde en termes de population, reste sur la touche. Ils voient cela comme un horrible affrontement entre la Russie et les États-Unis. Ils ne voient pas cela, comme nous le faisons dans les médias, comme une attaque non provoquée de la Russie contre l’Ukraine.

N’importe qui aux États-Unis pense, “eh bien, qu’est-ce que c’est d’autre ?” Mais c’est à cause de la façon dont nos médias ont rapporté cette affaire. Ce conflit remonte à loin, il n’a pas commencé le 24 février 2022. En fait, la guerre elle-même a commencé en 2014, pas en 2022. Et même cela avait des antécédents.

La plupart du monde ne le voit pas de la façon dont nous le décrivons. La plupart du monde est juste terrifié en ce moment, franchement.

C’est incroyable d’entendre d’un côté qu’ils utiliseront des armes nucléaires s’ils le doivent, tandis que l’autre côté dit : “Vous ne pouvez pas nous effrayer.”

l’animatrice Lisa Abramowicz : Professeur Sachs je partage cette inquiétude et je vais être honnête, j’ai aussi passé le week-end à lire des articles sur les États-Unis qui préparent des contre-attaques et des propositions sur ce qu’ils feraient en réponse à certaines de ces attaques. C’est définitivement une grande inquiétude. C’est aussi un problème quand on voit le changement radical de la trajectoire économique en Europe et au-delà. Et une partie de cela vient de la crise énergétique, mais soudainement nous parlons d’une inflation que nous n’avons pas vue depuis la Deuxième Guerre mondiale, une autre période de désastre incroyable et d’intervention militaire. Dans quelle mesure sommes-nous proches d’une sorte de, je ne veux pas dire d’hyperinflation, mais d’une impulsion inflationniste persistante bien au-dessus de l’objectif en Allemagne, dans la zone euro, alors qu’ils cherchent des moyens alternatifs pour empêcher les régions périphériques [de la zone euro, Italie, etc.] de devenir incontrôlables et qu’ils augmentent les taux à court terme ?

Jeffrey Sachs : L’Europe connaît une récession économique très, très forte. La forte baisse de la production et du niveau de vie se traduit également par une hausse des prix, mais le fait principal est que l’économie européenne est frappée de plein fouet par la coupure soudaine de l’énergie.

Et maintenant, pour être définitif, la destruction du gazoduc Nord Stream qui, je parie, était une action des États-Unis, peut-être des États-Unis et de la Pologne. C’est de la spéculation.

Tom Keen : Jeff, nous devons nous arrêter là. Pourquoi pensez-vous que c’était une action américaine ? Quelles sont les preuves que vous avez de cela ?

Jeffrey Sachs : Eh bien, tout d’abord, il existe des preuves radar directes que des hélicoptères militaires américains, normalement basés à Gdansk, tournaient au-dessus de cette zone. Nous avons également eu la menace des États-Unis [le président Biden] au début de l’année : “ d’une manière ou d’une autre, nous allons mettre fin au Nord Stream ”.

Vendredi dernier, lors d’une conférence de presse, le secrétaire d’État Blinken a fait une déclaration remarquable : “C’est aussi une formidable opportunité.” C’est une drôle de façon de parler si l’on s’inquiète du piratage d’une infrastructure internationale d’importance vitale.

Je sais que cela va à l’encontre de notre récit, que vous n’êtes pas autorisé à dire ces choses en Occident, mais le fait est que partout dans le monde, lorsque je parle aux gens, ils pensent que les États-Unis l’ont fait. Même les journalistes de nos journaux qui sont impliqués me disent “bien sûr” [que les États-Unis l’ont fait], mais cela n’apparaît pas dans nos médias.

Lisa Abramowicz : Professeur, nous ne nous lançons pas dans un débat sur ce qui ne s’est pas passé avec Nord Stream parce que je n’ai pas de preuves et que nous n’avons pas de contrepoint à cela. Il y a cependant un problème, qui est au cœur de ce que vous dites, qui est un manque de confiance dans les États-Unis, un manque de cohésion entre les alliés, au milieu d’un incroyable conflit politique et économique. Je veux dire, voyez-vous la possibilité de travailler ensemble à un moment où il y a des intérêts si disparates et des sentiments de méfiance ?

Jeffrey Sachs : Le plus gros problème est que nous avons des conflits géopolitiques majeurs, non seulement entre les États-Unis et la Russie, mais aussi entre les États-Unis et la Chine. Encore une fois, avec une énorme quantité de provocations venant du côté américain, nous brisons tout sentiment de stabilité en ce moment. Pour l’instant, beaucoup en Europe disent que les États-Unis sont leur plus proche allié et qu’ils doivent s’accrocher, mais surveiller ce qui se passe politiquement. Il y a des bouleversements en Europe. Pays après pays en ce moment. Nous entrons dans une période d’énorme instabilité. Et nous sommes instables aux États-Unis en ce moment. Nous sommes passés par une insurrection, nous n’avons toujours pas dépassé ça.

Nous entrons donc dans l’ère géopolitique la plus instable depuis plusieurs décennies. Nous entrons dans la première hyperinflation depuis plus de 40 ans. Et nous entrons dans la première escalade vers le précipice nucléaire depuis 60 ans. Il y a 60 ans exactement ce mois-ci avait lieu la crise des missiles cubains. C’est le moment le plus dangereux depuis la crise des missiles cubains.

C’est une surcharge extraordinaire et nous ne voyons aucune tentative pour l’atténuer ou la calmer. Chaque jour, c’est l’escalade, “nous allons vaincre l’autre camp, nous avons nos droits, nous pouvons défendre ce que nous voulons”. La présidente de la Chambre, Pelosi, s’envole pour Taiwan. Nous avons tant de provocations au milieu d’une grande instabilité !

Tom Keene : Jeffrey je vais en rester là. Jeff Sachs, merci beaucoup. J’apprécie énormément John. Nous recevons une réponse enflammée à cette interview.

l’animateur Jonathan Ferro : Etes-vous surpris ?

Tom Keene : Non, je ne le suis pas. Et vous savez que c’est ce que nous faisons. Il y a une opinion différente dans l’émission. Et je l’appellerais mineur, mais il y a une opinion réfléchie au niveau international sur sa position à propos de l’expansion de l’OTAN. Trop loin, trop vite.

Jonathan Ferro : Je vais être aussi diplomate que possible. Pouvons-nous clarifier ce que nous faisons dans l’émission ? Nous parlons à des experts de choses sur lesquelles ils sont experts. C’est un économiste, pas un spécialiste des relations internationales.

Tom Keene : Je dirai que c’était une coup de gueule en matière de relations internationales. Mais Jeff occupe une place particulière parce qu’il était le principal conseiller économique de l’expérience ratée de Eltsine. Il a une énorme connaissance de la Russie. Maintenant, après ça, tu as raison. Nous sommes dans beaucoup de choses ici, qui sont controversées.

Jonathan Ferro : J’ai très peu entendu parler des actions de Vladimir Poutine. Oui, j’ai très peu entendu parler de la rhétorique émanant des dirigeants russes. J’ai très peu entendu parler de ces choses-là. Et pour ce qui est de l’article de The Atlantic, le journaliste de The Atlantic a repris une citation de Jeffrey Sachs et la citation était la suivante “Depuis 1980, les États-Unis ont participé à au moins 15 guerres de choix à l’étranger et en ont traversé plusieurs. Alors que la Chine n’en a fait aucune et que la Russie n’a fait que vouloir la Syrie.” Au-delà de l’ancienne Union soviétique. Maintenant, cela exclut bien sûr la Géorgie et ce qui s’est passé en Ukraine en 2014 également. Dans un sens, cela ouvre la porte pour dire que ce n’était pas au-delà de l’ancienne Union soviétique. Donc la Géorgie et l’Ukraine, c’est ok. Je pense, Tom, que c’est incroyablement complexe. Certaines des accusations que l’économiste porte sur les relations internationales sans la moindre preuve. La raison pour laquelle je suis profondément mal à l’aise avec quelqu’un comme ça, c’est parce qu’ils ne présentent aucune autre preuve que celle de dire que les gens ne veulent pas en parler parce que cela va à l’encontre de l’opinion populaire…

Tom Keene : pour Nord Stream. Vous avez raison à propos des preuves.

Jonathan Ferro : Si elles s’avèrent exactes, alors elles s’avèrent exactes. Mais en tant que journaliste, on ne dit pas ce genre de choses à moins d’avoir des preuves pour le dire.

Tom Keene : Ce n’est pas un journaliste.

Jonathan Ferro : Et c’est pourquoi ces choses ne sont pas dites. Mais il n’est pas non plus un expert en politique étrangère. Et nous ne devrions pas le traiter comme tel. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...