James C. Scott, Homo Domesticus - Une Histoire profonde des premiers États - recensions

La préhistoire de l'État, Nonfiction.fr, 16 avril 2018

« Le livre de James C. Scott propose simultanément une synthèse de la recherche la plus récente sur les débuts de l’histoire de l’humanité et un regard critique sur la naissance des États. Il se donne pour objectif de remettre en cause certaines idées reçues sur la sédentarité, la domestication des animaux et le développement de l’agriculture, dans le lien que ces phénomènes entretiennent, d'après les conceptions communément admises, avec l’émergence des structures étatiques.

 

En s’appuyant sur les résultats des recherches archéologiques menées notamment en Mésopotamie, en Chine, en Méditerranée et dans l’empire Maya, James C. Scott cherche à renouveler le regard porté sur cette période pré- ou proto-historique aussi fondamentale que mal connue. Trois thèmes principaux ressortent de cet ouvrage dense : le remplacement progressif des groupes de chasseurs-cueilleurs par des sociétés d’agriculteurs et d’éleveurs, l’impact de la domestication sur les hommes, les plantes et les animaux et, enfin, les relations entre les Etats et les sociétés sans structures étatiques à l'aube de l'ère historique.

Au total, la lecture du livre de Scott conduit donc à se demander s’il est possible d’avoir une connaissance précise des faits et une analyse irréfutable des facteurs explicatifs des évolutions constatées durant cette période de l’histoire humaine. En d’autres termes, malgré l’importance de cette période, il apparaît que l’on soit condamné à des conjectures plutôt qu’à des certitudes. Les débats actuels reflètent donc des positions philosophiques différentes, elles étayent à l'occasion des combats idéologiques, et dans cette mesure, elles parlent au moins autant du présent que du passé » Lire

 

Homo Domesticus - Une Histoire profonde des premiers États, Bibliothèque Fahrenheit 451, 10 janv 2019

« À la recherche de l’origine des États antiques, James C. Scott, professeur de science politique et d’anthropologie, bouleverse les grands récits civilisationnels. Contrairement à bien des idées reçues, la domestication des plantes et des animaux n’a pas entrainé la fin du nomadisme ni engendré l’agriculture sédentaire. Et jusqu’il y a environ quatre siècles un tiers du globe était occupé par des chasseurs-cueilleurs tandis que la majorité de la population mondiale vivait « hors d’atteinte des entités étatiques et de leur appareil fiscal ».

Dans la continuité de Pierre Clastres et ouvrant la voie aux recherches de David Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l’apparition de l’État est une anomalie et une contrainte, présentant plus d’inconvénients que d’avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l’État c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd’hui.“ » Lire

 

Les céréales, à l’origine de l’impôt - Graines de Mane, 28 fév 2019

« Dans son dernier livre, le politologue américain James C. Scott entreprend d’établir une « agro-écologie des premiers États ». Il y démontre l’importance historique des céréales, ces plantes idéales pour la collecte de l’impôt en nature, et donc pour l’apparition de l’État.

(…) l’État est avant tout une structure qui permet de taxer une population travailleuse pour en extraire de la richesse au profit d’une élite plus ou moins oisive. En pratique, l’État va collecter les produits agricoles sur le territoire qu’il contrôle et les transporter jusqu’à la capitale pour nourrir l’élite. Mais tous les produits agricoles ne sont pas également taxables et pour Scott, seules les céréales peuvent constituer la base d’un système de taxation efficace car elles sont « visibles, divisibles, mesurables, stockables, et transportables ».

(…) Le blé, qui se comporte presque comme un liquide, peut être mesuré plus facilement par son volume que par son poids : il suffit pour cela d’un pot dont le volume est connu.

(…) Ce qui est possible avec les céréales est plus compliqué avec les tubercules

(…) Visibles, car il faut que le percepteur puisse les observer quand il vient prélever les taxes. Ceci exclut les cultures souterraines comme le manioc, l’igname ou la pomme de terre

(…) Les céréales possèdent aussi une autre visibilité : elles ont une croissance dite déterminée. Toutes les graines portées par la plante se forment et mûrissent à peu près au même moment, et toutes les plantes du champ sont mûres pour la récolte à la même période de l’année. Le percepteur peut donc prévoir le moment de la récolte et se rendre dans les campagnes au moment de la moisson, ce qui compliquera la dissimulation d’une partie de la récolte par les paysans. À l’inverse, les légumineuses comme les pois, les lentilles ou les fèves, ont une croissance indéterminée : elles produisent continuellement et simultanément des graines et des fleurs.

(…) Transportables enfin, car les produits taxés doivent être transportés jusqu’au palais royal ou au temple qui forme le centre de l’État. Etant donné les difficultés du transport terrestre aux époques préindustrielles, cette étape est extrêmement limitante, et le territoire contrôlé par l’État va se limiter à la distance qu’il est possible de parcourir sans que l’énergie dépensée pour le transport soit supérieure à l’énergie contenue dans la récolte transportée. Là encore, les céréales présentent un avantage sur les tubercules : un kilogramme de céréales, ne contenant que 15% d’humidité, aura un contenu en énergie largement supérieur à un kilogramme de pommes de terre, composé principalement d’eau.

(…) Tous les États qui se sont développés avant l’époque moderne étaient basés sur une céréale : les États méditerranéens et européens sur le blé, l’orge et le seigle ; les États asiatiques sur le riz ; les empires aztèque et inca sur le maïs, etc. Ce lien entre les structures étatiques et la taxation de la récolte des céréales est un trait caractéristique du régime féodal en France où les paysans vont continuellement tenter d’échapper à la taxation des céréales

(…) Si les États sont des machines à taxer la population, alors plus un État sera peuplé plus il sera riche. En revanche, il n’y a pas d’intérêt pour les paysans à vivre sur un territoire qui ajoute aux fatigues de l’agriculture celles de la taxation. Les paysans vont donc continuellement tenter de fuir, soit pour rejoindre des zones hors de contrôle, soit pour retourner à des modes de vie moins pénibles, comme la cueillette ou l’élevage. En parallèle, la concentration de populations au sein de l’État, ajoutée aux routes commerciales, favorise la diffusion des maladies et les épidémies. Au final, les États ont un bilan démographique négatif : la mortalité est supérieure à la natalité. Il ne faut pas oublier que des villes comme Paris, Londres ou Rome connaîtront une situation analogue jusqu’à la fin du XIXème siècle et ne devront leur croissance démographique qu’à l’exode rural qui compensera la mortalité liée aux maladies.

(…) En conséquence, les États vont devoir mettre en place des mécanismes pour maintenir et accroître leur population, aux premiers rangs desquels l’esclavage, et surtout les guerres incessantes entre cités-États mésopotamiennes, dans lesquelles le vainqueur n’annexe pas le territoire de l’ennemi, mais capture sa population et la déporte sur son propre territoire.

(…) d’après Scott, jusque vers 1600, la majorité des êtres humains vivaient hors de la portée de l’État et de son système de taxation, que ce soit dans les grandes prairies du centre de l’Asie et de l’Amérique du Nord, dans les forêts tropicales, dans les marais et les mangroves, dans les hautes montagnes (en particulier dans la chaîne himalayenne) ou dans la toundra arctique, parce qu’ils occupaient des écosystèmes où la culture des céréales était impossible et laissait place aux tubercules ou à l’élevage.

(…) ces premiers États avaient une tendance à s’effondrer régulièrement, sous le joug des invasions barbares, des épidémies ou des révoltes. Les chroniqueurs du haut moyen-âge, sur les témoignages desquels les européens modernes ont basé leur vision de l’effondrement de l’empire romain, étaient particulièrement choqués par la régression des céréales et la progression de l’élevage. Ils étaient pour eux le symbole de la régression de la civilisation romaine et du triomphe de la barbarie. Mais peut-être que pour la majorité de la population, cette époque d’effondrement était un âge d’or. » Lire

 

Une histoire de domination, Avis Critique, France Culture, 5 janv 2019

« Je vous propose maintenant de nous pencher sur le livre de James C. Scott, Homo Domesticus : une histoire profonde des premiers États publié aux éditions la Découverte dans une traduction de Marc Saint-Upéry. Le politiste américain, professeur à l’université de Yale, s’est fait remarquer ces dernières années par ses ouvrages plus proches de l’anthropologie. Il appartient à une mouvance qui, à l’instar par exemple de David Graeber, mène des travaux critiques sur l’État dans une perspective anarchiste. » Ecouter (débute à la 23ème minute)

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