Ultra-synthèse de « La Grande Transformation » par Asad Zaman.
Le thème central du livre est une description historique de l’émergence de l’économie de marché comme concurrent de l’économie traditionnelle. L’économie de marché a gagné la bataille. Les idéologies soutenant l’économie de marché ont gagné la bataille correspondante sur le marché des idées. Aujourd’hui, la victoire de l’économie de marché est si complète qu’il est devenu difficile pour nous d’imaginer des sociétés où le marché ne joue pas un rôle central. Polanyi soutient que les marchés ont été d’une importance marginale dans les sociétés traditionnelles à travers l’histoire contrairement à la croyance populaire. L’économie de marché a émergé après une longue bataille contre ces traditions. Comme l’explique Polanyi, ce n’est pas un bon développement. La marchandisation des êtres humains et de la terre, exigée par la domination du marché, a fait des dégâts considérables à la société et à l’environnement. La valeur de la vie humaine a été réduite à son pouvoir d’achat.[...] De la même manière, les précieuses forêts tropicales, les récifs coralliens, les plantes et les espèces animales qui ont mis des millions d’années à se construire et ne peuvent être remplacés à aucun prix, sont réduits à la valeur du bois, de la nourriture ou des produits chimiques. Ceci est la cause fondamentale des catastrophes sociales et environnementales auxquelles nous sommes actuellement confrontés. L’analyse de Polanyi peut se résumer en six points.
Les marchés ne sont pas une caractéristique naturelle des sociétés humaines. Presque toutes les sociétés en dehors de notre société moderne dans laquelle nous vivons, ont utilisé divers mécanismes non marchands pour distribuer des biens à leurs membres. Notre société est la seule à avoir fait des marchés le mécanisme central pour la production et la distribution de biens à ses membres. Certes, dans certaines sociétés, les marchés ont existé depuis des temps très anciens, mais ils étaient alors des annexes périphériques, les arrêter n’aurait pas causé de graves dommages à la société.
Les mécanismes de marché sont en contradiction avec les autres mécanismes sociaux et sont nuisibles à la société. Ils sont devenus d’une importance centrale en Europe après une longue bataille, qui, grâce à certaines circonstances historiques propres à l’Europe, a été remportée par les marchés au préjudice de la société. L’émergence des marchés a causé des dommages considérables qui continuent aujourd’hui. Le remplacement des principaux mécanismes qui régissent les relations sociales par des mécanismes compatibles avec le marché a été un choc pour les valeurs humaines. La terre, le travail et la monnaie sont essentiels au bon fonctionnement d’une économie de marché. S’en approprier les fonctions modifie et nuit aux principaux mécanismes sociaux qui régissent les relations humaines.
Les marchés non réglementés sont si mortifères pour la société humaine et l’environnement que la création de marchés met automatiquement en jeu des mouvements pour protéger la société et l’environnement contre le préjudice qu’ils causent. Paradoxalement, c’est ce contre-mouvement, cette opposition aux marchés, qui permet aux marchés de survivre. Si cela n’était pas présent, les marchés détruiraient la société et la planète. La Grande Dépression a par exemple causé l’effondrement de nombreuses institutions du libre marché, et le gouvernement est intervenu pour les soutenir et les remplacer. Ce mouvement protecteur, anti-marché, a permis au capitalisme de survivre. C’est ce que Polanyi appelle le « double mouvement ». Il explique que l’histoire du capitalisme ne peut être comprise sans étudier les deux faces de la même pièce : les forces qui tentent de libérer les marchés de toutes les réglementations et les forces qui luttent pour protéger la société contre les effets néfastes des marchés non régulés.
Certaines idéologies, qui touchent à la terre, au travail, à la monnaie et à l’appât du gain sont nécessaires au fonctionnement efficace des marchés. La pauvreté, et un certain niveau d’indifférence à cette pauvreté sont nécessaires pour un fonctionnement efficace des marchés. Pour être clair, la pauvreté est, en un sens, une création de l’économie de marché. La sanctification des droits de propriété est une autre caractéristique essentielle des marchés. Ainsi, l’existence d’une économie de marché nécessite l’émergence de certaines idéologies et de certaines mentalités qui sont nocives et en contradiction avec les tendances de la nature humaine.
Les marchés sont fragiles et sujets aux crises, ils vacillent de catastrophe en catastrophe, [...]. En 1944, Polanyi pronostiquait que la dernière et plus grande crise de son temps, la Seconde Guerre mondiale, tuerait finalement le système de marché ; une nouvelle méthode d’organisation des affaires économiques émergerait dans son sillage. En fait, les idées keynésiennes ont éliminé les pires excès de l’économie de marché, elles ont dominé la scène lors des trois décennies suivantes. Pourtant, le système de marché a survécu et domine finalement le monde dans une étonnante démonstration de puissance. [...]
Les économies de marché nécessitent la contrainte par la violence — naturelle ou créée. Comme indiqué par les premiers stratèges, la tromperie est un élément crucial de la guerre. L’un des ingrédients essentiel à l’avènement des marchés a été une bataille constante pour déformer les faits, de sorte que de complets échecs des marchés ont été décrits comme des succès remarquables. Il y a un certain nombre de stratégies couramment utilisées pour représenter une catastrophe économique comme un progrès et du développement. Sans cette propagande, les marchés ne pourraient pas survivre, car les forces de résistance aux marchés seraient trop fortes. Ce dernier point éclaire ce qui peut laisser perplexe les lecteurs. Selon tout ce que nous entendons, le capitalisme a créé une énorme richesse et un progrès sans précédent. En fait malgré la propagande capitaliste contraire, cette croissance a été extrêmement coûteuse. Nous avons vendu la planète Terre, et nous en célébrons les recettes sans tenir compte des coûts. Comprendre l’analyse de Polanyi est essentiel pour inverser les dommages.
Maj du 18 août 2020 :
Patchwork (12 mars 2020). Dans cette vidéo je reviens sur un livre central en histoire économique, anthropologie et sciences politiques : la Grande Transformation, de l'auteur hongrois Karl Polanyi.
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