Relations internationales [revue de web, semaine 15]

Sommaire

  • Les guerres de l’information : un outil essentiel
  • "Soft Powers - les sentiers de la guerre économique II", Nicolas Moinet
  • "Pandémie, le basculement du monde" ou l'accélération des déséquilibres avec l'Asie, Hubert Testard
  • Les Etats Unis sont déja en guerre contre la Chine, Alain de Besnoit
  • Chine : La puissance navale de Pékin prend l’ascendant sur l’US Navy
 

Les guerres de l’information : un outil essentiel

« La guerre, ce n’est pas uniquement un sujet d’affrontement d’armées et de soldats, c’est aussi la formation des esprits et l’importance accordée à l’information. Il faut faire, certes, mais aussi faire savoir et créer un véritable attachement à la nécessité de la guerre. La guerre de l’information est aujourd’hui cruciale, tant pour déstabiliser ses adversaires que pour mobiliser sa population. Ce n’est pas nouveau, mais ce qui change ce sont les moyens techniques dont on dispose dorénavant. (...)

Les batailles menées au Canada et dans les Indes sont d’abord des batailles intellectuelles conduites dans les capitales et les chancelleries européennes. Au militaire et au diplomate s’ajoutent un troisième larron, dont le rôle est de plus en plus important, le publiciste ou le journaliste. C’est-à-dire celui qui pense, qui écrit et qui infuse les idées dans l’opinion. Un rôle accentué par le développement de l’imprimerie (...)

la guerre de l’information est confrontée à une nouveauté : la multiplication de l’image. (...) La photographie d’une part, le cinéma d’autre part, changent totalement la donne. (...) Le rapport à l’image est l’une des grandes différences qu’il y a entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. (...) De l’œuvre d’art, la photo peut sombrer dans la propagande la plus froide et, au lieu d’élever l’âme, exciter les passions les plus troubles. Une photo d’enfant malheureux, affamé ou blessé permet de faire tomber bien des raisonnements et parfois de provoquer des entrées en guerre. Entre l’art qui dévoile et qui élève et la propagande qui cache et qui manipule, la frontière est parfois très ténue. (...)

Les réseaux sociaux aujourd’hui essayent de reprendre ce rôle de propagande, se faisant vecteurs d’images, de textes et de vidéos. Leur atout est celui de la force et de la puissance de frappe, leur faiblesse est celle de la division. Loin de créer une communauté mondiale et un vaste espace uni et coopératif comme beaucoup le pensait au début, les réseaux sociaux fonctionnent en communautés et accroissent la création et la séparation de ces communautés. On ne parle pas aux autres, mais aux autres nous-mêmes à l’intérieur de notre réseau social. Les masses ne sont plus touchées de façon aussi directe, même si le poids des mass medias demeure prépondérant. (...)

L’information et la propagande demeurent des enjeux essentiels de la guerre d’aujourd’hui. (...) Cela passe notamment par la création de faux comptes Facebook qui délivrent une information positive sur les pays pour lesquels ils travaillent. La Chine a investi les réseaux sociaux, notamment via ses ambassades, pour délivrer des messages offensifs qui tranchent avec le langage timoré et retenu de bon nombre d’ambassadeurs. Les pays financent des chaines de télévision en espérant toucher des populations larges pour les convertir à leurs vues. La France n’est pas en reste avec TV5 Monde et les différents canaux de France24, même si leur efficacité et leur utilité restent à démontrer. À cela s’ajoutent des guerres de communiqués et d’interprétation lors des enquêtes conduites par des organes de l’ONU sur des frappes militaires et des bavures potentielles. Avec là aussi, des conflits d’interprétation, de communication et de diffusion. (...)

La guerre de l’information et de la désinformation est bien évidemment importante, cruciale même, pour les États comme pour les entreprises. Le risque majeur néanmoins est de la faire passer au premier plan et d’oublier que la communication est un outil, non une fin. Inutile de déployer des trésors d’inventivité en propagande si on oublie d’abord de définir un but et un objectif à atteindre. (...)

Sans finalité et sans stratégie, la tactique de la communication n’est rien, tourne rapidement à vide et, même en étant très importante, fini par tourner en rond et par ne toucher personne. » (Institut des Libertés)

 

Livre : Soft Powers - les sentiers de la guerre économique II, Nicolas Moinet

« Ainsi, la prise du pouvoir passe-t-elle d’abord par le désordre puis une reprise en main par un ordre qui soit sous contrôle via des systèmes d’information, des normes, des stratégies ouvertes et des dominations masquées et déguisées. Les récentes stratégies mises en œuvre par les GAFAM ne disent pas autre chose et croire, par exemple, que Google ou Amazon seraient de simples entreprises commerciales – aussi puissantes soient-elles – serait se tromper sur leurs objectifs et leur volonté de puissance.

Prenons pour exemple Amazon. Tout d’abord, cette entreprise est née d’un projet politique, celui des hippies californiens rêvant de vivre en autarcie et, pour cela, de disposer d’un système de vente par correspondance permettant de tout acheter où que l’on se trouve. Tel est d’ailleurs le rêve américain et il suffit de regarder certains documentaires sur la construction de maisons dans les forêts d’Alaska pour s’en convaincre. L’équipement sophistiqué de ces hommes et femmes qui bâtissent leurs futures demeures au milieu de nulle part sous le regard intrigué des ours est étonnant. Mais il est vrai que contrairement à la France, la logistique est une préoccupation première aux États-Unis (chez nous, il est généralement admis que « l’intendance suivra » même si dans les faits elle suit rarement !). Ensuite, Amazon va s’appuyer sur Wall Street pour financer son activité de commerce en ligne, non rentable au départ et qui va allègrement détruire deux emplois quand elle en crée un. Son fondateur, Jeff Bezos – aujourd’hui la première fortune du monde – est un stratège doué d’une véritable intelligence politique, comprenant que les élus ne se soucieront pas des petits commerces qui ferment ici et là dès lors qu’ils peuvent inaugurer un centre Amazon, visible et donc électoralement payant. Avec à la clé des centaines de créations d’emplois peu qualifiés permettant de faire baisser le chômage de longue durée.

Car ne nous leurrons pas. Avec son empire, Jeff Bezos veut le pouvoir économique, mais également le pouvoir politique. En fait, le pouvoir tout court. Aussi va-t-il s’opposer à la taxe Amazon votée par la ville de Seattle après avoir fait mine de l’accepter. Celle-ci est censée financer des logements sociaux car, dans cette ville américaine, de nombreux travailleurs ne peuvent plus se loger, finissant par dormir dans des hangars ou sous des tentes tels des SDF. Le géant du commerce en ligne va donc organiser en sous-main des manifestations contre cette taxe et faire revoter le conseil municipal qui se déjugera. Pour ne pas payer. Même pas ! Car il annoncera par la suite créer un fonds d’aide au logement beaucoup mieux doté. Mais on le comprend bien : ceux qui en bénéficieront alors le devront à Amazon. Et pour être sûr de ne plus avoir, à l’avenir, de mauvaise surprise, une liste de candidats va même être soutenue pour l’élection à la mairie. Est-on seulement dans le commerce en ligne ? D’autant que les gains financiers et la véritable puissance du géant se trouvent désormais dans son activité de Cloud – Amazon Web Services – qui représente déjà plus d’un tiers du stockage mondial et vient fournir les serveurs de la CIA. (...)

Pour influencer la majeure partie des décideurs, un petit monde suffit. Ainsi, le soft power idéologique fonctionne-t-il sur le mode de la viralité et nous retrouvons là le fameux point de bascule cher à Malcom Gladwell. Rappelons-en les modalités. Pour obtenir un effet boule de neige similaire aux contagions, trois ingrédients sont nécessaires : un contexte, un principe d’adhérence et des déclencheurs. La guerre froide et sa lutte entre deux blocs idéologiques vont fournir le contexte au développement d’un néolibéralisme pensé dès les années 30 par le théoricien américain Walter Lippmann. Le principe d’adhérence est celui d’un retard quasi structurel et d’une nécessité de changement permanent qui permet ainsi de recycler le libre-échangisme (en fait relatif) d’Adam Smith pour le rendre compatible avec l’idée d’un État régulateur dirigé par un gouvernement d’experts. Cette généalogie a été particulièrement bien décryptée et reconstituée par la philosophe Barbara Stiegler dans un ouvrage de haute volée au titre évocateur :  Il faut s’adapter. Au-delà, Yuval Noah Harari rappelle dans son magistral Sapiens, une brève histoire de l’humanité, le lien organique existant entre la « secte libérale » (sic) et l’humanisme chrétien, ce dernier ayant également enfanté l’humanisme socialiste, autre secte et surtout grande rivale de la première. Autrement dit, le néolibéralisme n’est pas qu’un ensemble de règles rationnelles visant l’efficacité du système économique capitaliste, mais bien une religion avec son église, ses adeptes, ses prêtres et surtout son idéologie. (...)

La guerre économique systémique, rappelle Christian Harbulot, s’appuie sur un processus informationnel visant à affaiblir, à assujettir ou à soumettre un adversaire à une domination de type cognitif. L’impératif de l’attaquant est de dissimuler l’intention d’attaque et de ne jamais passer pour l’agresseur. Dans cette nouvelle forme d’affrontement informationnel, l’art de la guerre consiste à changer d’échiquier, c’est-à-dire à ne pas affronter l’adversaire sur le terrain où il s’attend à être attaqué. » Côté américain, le soft power permet de répondre à ces objectifs sous couvert de société ouverte au moyen d’un dispositif qui s’est construit dans la durée sur une véritable synergie public-privé. (...)

Une large panoplie de manœuvres à disposition (...) si certaines relèvent de la guerre secrète (avec parfois même l’appui de services spécialisés), la tendance est à l’usage de méthodes légales d’intelligence économique où la transparence va jouer un rôle clé. Ce n’est donc pas nécessairement le plus puissant qui l’emporte, mais bien le plus intelligent, l’intelligence devant alors être comprise comme la capacité à décrypter le dessous des cartes pour mieux surprendre l’adversaire puis garder l’initiative afin d’épuiser l’autre camp. (...) la récente victoire des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un modèle du genre dans la continuité de la bataille du Larzac quarante ans plus tôt. Car au-delà des caricatures, cette victoire démontre combien l’agilité déployée par les zadistes a pu paralyser une pseudo-coalition arc-boutée sur l’usage de la force et du droit quand l’autre camp utilisait la ruse et les médias. (...)

La trame de fond de la guerre économique est celle de sociétés post-modernes où l’usage de la force est de moins en moins accepté avec un système composé de trois pôles : un pôle autocratique, un pôle médiatique et un pôle de radicalités. (...) Le pôle autocratique appelle un pouvoir politique fort où les décisions sont concentrées dans les mains d’une poignée de décideurs qui fait corps (d’où le préfixe « auto »). On pense tout de suite à certains régimes autoritaires, mais cette autocratie peut également prendre les aspects d’une démocratie dès lors que c’est la technostructure qui gouverne et possède les principaux leviers du pouvoir (« la caste »). (...) nécessité de « contrôler » les médias classiques qui appartiennent le plus souvent aux États ou à des puissances économiques quand ils ne survivent pas grâce aux subventions publiques. (...) nécessité à la fois de créer du désordre et de le gérer « par des systèmes de communication, par des normes, par des stratégies ouvertes, par des dominations masquées et déguisées ». Le secret va donc devoir se cacher derrière le voile de la transparence. Et ce, dans un écosystème médiatique qui se complexifie, notamment avec l’arrivée des réseaux sociaux numériques, et qui se trouve être également le terrain de jeu du troisième pôle, celui des radicalités. Celles-ci peuvent être organisées (zadistes, black block, féministes, vegans, etc.) sous un mode le plus souvent éphémère et agile ou être le fait d’individus qui se rebellent et se révoltent tels les lanceurs d’alerte. (...) » (Le Vent Se Lève)


Livre : "Pandémie, le basculement du monde" d'Hubert Testard ou l'accélération des déséquilibres avec l'Asie

« Retour au monde d’avant après la vaccination ? Pas vraiment, si l’on suit la démonstration solidement argumentée d’Hubert Testard dans son livre Pandémie, le basculement du monde, paru le 18 mars dernier aux éditions de l’Aube. La crise sanitaire a provoqué une série de chocs à plusieurs niveaux, numérique, commercial, financier, social ou climatique. Il nous faudra vivre avec pendant au moins une décennie. Des tendances préexistantes ont été accélérées, mais pas seulement. La mondialisation est en train de se transformer. Le basculement du monde la fait pencher davantage encore vers l’Asie, plus efficace pour sortir de la pandémie. Mais de quelle Asie parle-t-on ? C’est là, entre autres, que le livre apporte de la nuance. Pragmatique, l’ouvrage appelle à ne pas tomber dans la confrontation systématique entre l’Occident et la Chine. Pour le bien du climat et de la solidarité mondiale en matière de santé. Entretien.»

[Réponses à la pandémie, Asie vs. Occident]

« (...) l’agilité dans la réponse à la pandémie. On a un groupe de pays d’Asie orientale avec des méthodes différentes certes, la Chine très autoritaire d’un côté et de l’autre, la Corée du Sud, Taïwan ou la Thaïlande. Mais tous ont su réagir très vite. Leurs chiffres de décès par habitant restent cent à deux cent fois moins élevés qu’en Occident. Ces pays ont su faire preuve d’une agilité remarquable face à un événement inédit. Ils avaient certes les expériences antérieures du SRAS et d’autres épidémies. Cependant, leur réaction fut extrêmement rapide. Dès le 31 décembre 2019, Taïwan alertait l’OMS sur une infection inquiétante en cours à Wuhan, et dès le 2 janvier instaurait un contrôle des avions venant de Chine. Alors que nous, en France et en Europe, nous n’avons pas compris ce qui nous attendait jusqu’à fin février 2020. (...)

l’absence de demi-mesures. Ces pays ont agi de façon très ferme, sans débats internes majeurs, contrairement aux États-Unis et à l’Europe. Ce qui ne veut pas dire que les Asiatiques sont des gens obéissants. Mais ce sont des pays où l’on a une culture de l’urgence et de la collectivité plus forte que chez nous. Le Japon est un cas à part parce qu’il n’a pas pris les mêmes mesures que les autres, dans la mesure où le gouvernement central ne peut pas imposer légalement de confinement – ce sont les autorités locales qui en décident. Mais c’est un pays où la culture de la distanciation et la pratique des épidémies est forte, avec une habitude de se protéger et de protéger les autres. (...)

l’agilité digitale. La Corée, la Chine et Taïwan ont mis très rapidement au point des applications numériques pour gérer la situation. En trois semaines, un mois, des applications de toutes sortes se sont cumulées et ont permis aux individus de savoir où se situaient les risques ou les pôles de contamination à éviter. De même, les tests ont été mis au point et rendus disponibles au public très rapidement. La réponse à travers la technologie a été plus rapide et efficace en Asie de l’Est qu’en Occident. La pandémie ayant été rapidement contenue, l’effet économique a été moindre et la relance plus rapide. Nous étions déjà fin 2020 sur des tendances de croissance à Taïwan, en Corée, en Chine et au Vietnam qui n’ont rien à voir avec l’Europe et l’Amérique du Nord. (...)

Les doutes sur les chiffres portent aussi sur l’ampleur de l’épidémie en Chine. Ils étaient justifiés au début, et on sait qu’ils ont été très sous-estimés à Wuhan dans la phase initiale de la pandémie. Mais par la suite, ils sont devenus crédibles. Un exemple : les sociétés pharmaceutiques chinoises ont dû faire leurs tests cliniques de phase trois à l’étranger car il n’y avait plus assez de personnes contaminées pour le faire en Chine. (...)

[Le développement économique chinois]

Xi Jinping fait monter en puissance une théorie de la « circulation duale » fortement axée sur le marché intérieur. Cette stratégie ne fait-elle pas courir le risque au pays de s’enfermer dans un retour illusoire à l’autosuffisance ? (...)

cette théorie se fonde sur une réalité : les exportations chinoises représentaient 36 % du PIB en 2006, et 18 % seulement en 2019, soit une chute de moitié. La guerre commerciale avec les États-Unis ajoute un risque supplémentaire sur les perspectives d’exportation du pays. Par ailleurs, la demande intérieure a été multipliée par deux en moins de dix ans : c’est aujourd’hui le moteur principal de l’économie chinoise. Quand on regarde les relations avec le reste du monde, il n’y a pas, pour l’instant, d’indicateurs d’une dérive vers l’autosuffisance. En 2020, la Chine a été le premier pays d’accueil des investissements directs étrangers avec 163 milliards de dollars, un record, loin devant les États-Unis. (...)

la consommation intérieure en Chine est encore très loin de répondre aux objectifs de réorientation de son économie. (...)

C’est le point faible des dirigeants chinois qui parlent beaucoup de ce recentrage sur le marché intérieur et la consommation, mais ne prennent pas de mesures fortes pour réussir cette transition. Ils conservent une préférence pour l’investissement, qui est plus facile à orchestrer en s’appuyant sur les entreprises d’État. (...)

Sur les semi-conducteurs, cela va être difficile car les Chinois ne produisent que 16 % des produits qu’ils consomment et dépendent à 84 % du reste du monde. SMIC, le leader chinois des puces électroniques, a un retard technologique de quatre à cinq ans sur le Taïwanais TSMC. Ce retard ne va pas se rattraper du jour au lendemain. Les équipements clés pour fabriquer les semi-conducteurs ne sont pas produits par les Chinois. Notamment les équipements de gravure de très haute précision pour faire les puces électroniques les plus performantes, qui sont produits par le néerlandais ASML. Les Chinois investissent massivement, ils recrutent des ingénieurs taïwanais, sud-coréens et autres, mais ils vont connaître quelques années difficiles. (...)

[Les enjeux de la relation euro-chinoise]

contrairement aux idées reçues, nos exportations de médicaments en Chine sont vingt fois supérieures aux exportations chinoises vers l’Europe. (...) Une partie des engagements pris par la Chine sur la renonciation aux transferts de technologie forcés et sur la transparence des subventions aux entreprises publiques, devront évidemment être vérifiés dans le temps. (...) se pose la question fondamentale de savoir si nous sommes en mesure de faire le tri dans nos relations avec la Chine, entre les domaines de confrontation – droits de l’homme et désaccords géopolitiques – où nous sommes proches des Américains, les domaines de compétition, où nos intérêts divergent des intérêts américains, et les domaines de coopération avec la Chine comme la santé et le climat en particulier. (...)

[La Chine et l'Asie]

Il n’y a pas de bloc asiatique derrière la Chine. Prenons l’exemple de Huawei : le géant chinois a été écarté des marchés américain et européen, mais il ne fait pas non plus l’unanimité en Asie. Ni l’Inde, ni le Vietnam, ni Singapour, ni l’Indonésie ne l’ont choisi à ce stade pour la 5G. Les Asiatiques ne suivent pas d’un seul bloc la Chine et restent très prudents. Ils ont la même logique d’autonomie stratégique que l’Europe et ils nouent des alliances au cas par cas, en fonction de leurs priorités. La Chine reste fondamentalement solitaire, même si elle contrôle certains États vassaux comme le Laos ou le Cambodge – peut-être aussi la Birmanie actuellement – qui sont dans une situation de dépendance forte. Pékin a aussi quelques alliés traditionnels comme le Pakistan. Mais les Chinois restent principalement dans une logique solitaire de suzeraineté héritée de l’Empire. (...)

Il y avait déjà une fatigue des « Nouvelles routes de la soie » avant le coronavirus, dès 2019. Les Chinois avaient lancé énormément de projets et commençaient à cerner le risque de dettes excessives pour les pays concernés ainsi que les difficultés de réalisation de certains projets. Il existait un débat interne en Chine sur le sujet. La pandémie a rajouté une solide couche d’incertitudes. Nombre de projets ont été mis en suspens ou annulés. Certains pays comme le Pakistan ont un sérieux problème de dette encore accentué par la crise. Leur capacité à poursuivre les grands projets engagés avec la Chine est limitée. Les Chinois font aussi face à des demandes de rééchelonnement des dettes par certains pays africains. Ils vont procéder à une revue d’ensemble des leurs projets et se recentrer sur leurs priorités (...)

la Chine est sur la défensive en ce qui concerne le volet énergétique des « routes de la soie », où 90 % des investissements chinois concernent les énergies fossiles et notamment les centrales à charbon. Au total, les ‘Nouvelles routes de la soie » subissent un choc, mais demeurent l’un des axes forts de la stratégie chinoise d’internationalisation. » (Asialyst)


Les Etats Unis sont déja en guerre contre la Chine - interview d'Alain de Besnoit

« Depuis 2012, [la Chine] est, en revanche, la première puissance industrielle, devant l’Europe, les États-Unis et le Japon (mais elle retombe au quatrième rang si l’on considère la valeur ajoutée par habitant). Elle est également la principale puissance commerciale du monde et la principale importatrice de matières premières. Elle dispose d’un territoire immense, elle est le pays le plus peuplé de la planète, sa langue est la plus parlée dans le monde, et elle possède une diaspora très active dans le monde entier. Elle possède la plus grande armée du monde et ses moyens militaires se développent à une vitesse exponentielle. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle possède l’arme nucléaire, elle est depuis 2003 une puissance spatiale. Elle s’implante massivement en Afrique noire, elle achète des infrastructures de premier plan dans le monde entier et son grand projet de « nouvelles routes de la soie » va encore renforcer ses capacités d’influence et d’investissement. En 1980, le PIB chinois représentait 7 % de celui des États-Unis. Il a bondi, aujourd’hui, à près de 65 % ! Enfin, les Chinois déposent deux fois plus de brevets que les Américains. Cela fait beaucoup. (...)

Les Chinois sont des pragmatiques qui raisonnent sur le long terme. L’idéologie des droits de l’homme leur est totalement étrangère (les mots « droit » et « homme », au sens que nous leur donnons, n’ont même pas d’équivalent en chinois : « droits de l’homme » se dit « ren-quan », « homme-pouvoir », ce qui n’est pas spécialement limpide), l’individualisme également. Pour les Chinois, l’homme doit s’acquitter de ses devoirs envers la communauté plutôt que de revendiquer des droits en tant qu’individu. Durant l’épidémie de Covid-19, les Européens se sont confinés par peur ; les Chinois l’ont fait par discipline. Les Occidentaux ont des références « universelles », les Chinois ont des références chinoises. Grande différence. (...)

Les Américains ont toujours voulu uniformiser le monde selon leurs propres canons identifiés à la marche naturelle du progrès humain. Depuis qu’ils ont atteint une position dominante, ils ont constamment fait en sorte d’empêcher l’émergence de toute puissance montante qui pourrait mettre en danger cette hégémonie. Depuis quelques années, les livres se multiplient aux États-Unis (...) qui montrent que la Chine est, aujourd’hui, la grande puissance montante, alors que les États-Unis sont sur la pente descendante. (...)

Dans un ouvrage dont on a beaucoup parlé (Destined for War), le politologue Graham Allison montre qu’au cours de l’Histoire, à chaque fois qu’une puissance dominante s’est sentie menacée par une nouvelle puissance montante, la guerre s’est profilée à l’horizon, non pour des raisons politiques, mais du simple fait de la logique propre aux rapports de puissance. C’est ce qu’Allison a appelé le « piège de Thucydide », en référence à la façon dont la peur inspirée à Sparte par l’ascension d’Athènes a abouti à la guerre du Péloponnèse. Il y a de bonnes chances qu’il en aille de même avec Washington et Pékin.

À court terme, les Chinois feront tout pour éviter une confrontation armée et pour ne pas donner prise aux provocations dont les Américains sont familiers. À plus long terme, en revanche, un tel conflit est parfaitement possible. La grande question est, alors, de savoir si l’Europe basculera du côté américain ou si elle se déclarera solidaire des autres grandes puissances du continent eurasiatique. C’est, évidemment, la question décisive. » (Alain de Besnoit)

 

Chine : La puissance navale de Pékin prend l’ascendant sur l’US Navy [traduction Les Crises], CNN, 11 avril 2021

Évolution du nombre de navires de guerre 2000-2020, USA vs. Chine

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...