Rarement a-t-on rencontré une telle unanimité. Dans la désignation des responsabilités de la guerre, et dans l’émotion provoquée par les morts ou réfugiés. Dans la criminalisation morale des agresseurs, et dans l’affirmation que ce sont « nos » valeurs qui sont en jeu. En France et en Occident au moins, car en Inde, en Afrique, dans le monde arabe… (sans même parler de la Chine), ni les médias, ni les réseaux ne partagent forcément cet enthousiasme.
Y a-t-il eu des exemples de pareille communion des esprits ? Sans doute au moment de la guerre de 14-18. Quelques années après le conflit, un aristocrate anglais (mais travailliste) lord Ponsonby décrivait les dix règles de la propagande de guerre qui venaient de fonctionner pour les démocraties. Elles consistent à dire et répéter que :
1. que l’ennemi veut la guerre, nous pas
2. qu’il en est responsable, nous pas
3. que c’est un crime moral et pas seulement politique
4. que notre guerre est menée au nom des valeurs universelles, la sienne pour ses intérêts cupides
5. qu’il commet des atrocités
6. qu’il utilise des armes illicites
7. que ses pertes sont énormes
8. que notre cause est sacrée
9. que les autorités morales et culturelles l’approuvent
10. que quiconque doute des neuf points précédents est victime de la propagande adverse (tandis que nous ne pratiquons que la très véridique contre-propagande). (...) » Ukraine : l’unanimité ?, François-Bernard Huyghe, 16 avril 2022
Les principes de la propagande de guerre, Anne Morelli
“Anne Morelli est historienne et professeure honoraire de l'Université libre de Bruxelles (ULB), où elle enseignait, entre autres matières, la Critique historique, Anne Morelli a notamment publié un petit livre intitulé Principes élémentaires de propagande de guerre, utilisables en cas de guerre chaude, froide ou tiède. (source)”
« Il y a près d'un siècle, un diplomate britannique qui avait pu observer de près la création d'informations hostiles à l'Allemagne dans les officines gouvernementales britanniques décrivit ces procédés de faussaires à l'Ïuvre pendant la Première guerre mondiale. Ce livre d'Arthur Ponsonby expliqua les mécanismes élémentaires de la propagande de guerre. Ces principes ne sont cependant pas liés à la Première guerre mondiale, ils ont été appliqués lors de tous les conflits ouverts et également lors de la guerre froide. (…) ils forment la base de la guerre de l'information qui est primordiale, aujourd'hui plus encore qu'hier, pour gagner l'opinion publique à une cause.
Les principes relevés par Ponsonby peuvent être, par facilité, énoncés en 10 “commandements”.
- Nous ne voulons pas la guerre
- Le camp adverse est seul responsable de la guerre
- L'ennemi a le visage du diable (ou L"‘affreux" de service)
- Les buts réels de la guerre doivent être masqués sous de nobles causes
- L'ennemi provoque sciemment des atrocités, nous commettons des bavures involontaires
- Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
- Notre cause a un caractère sacré
- Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
- L'ennemi utilise des armes non autorisées
- Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres
1. Nous ne voulons pas la guerre
[L]es hommes d'Etat de tous les pays, avant de déclarer la guerre ou au moment même de cette déclaration, assuraient toujours solennellement en préliminaire qu'ils ne voulaient pas la guerre. (…) nous avons été contraints de faire la guerre, le camp adverse a commencé, nous sommes obligés de réagir, en état de légitime défense ou pour honorer nos engagements internationaux…. (…)
2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre
[P]aradoxe de la Première guerre mondiale (…) chaque camp assurait avoir été contraint de déclarer la guerre pour empêcher l'autre de mettre la planète à feu et à sang. (…) Les bellicistes les plus acharnés s'efforcent donc de se faire passer pour des agneaux et de reporter la culpabilité du conflit sur leur ennemi. Ils réussissent le plus souvent à persuader leur opinion publique (et peut-être à s'auto-persuader) qu'ils sont en état de légitime défense. (…)
3. L'ennemi a le visage du diable
Le troisième principe de Ponsonby insiste sur la nécessité de personnifier l'ennemi dans la personne de son chef. (…) On ne peut haïr globalement tout un peuple. Il est donc efficace de concentrer cette haine de l'ennemi sur le leader adverse. L'ennemi aura ainsi un visage et ce visage sera évidemment odieux. On ne fera pas la guerre seulement contre les Boches, les Japs É mais plus précisément contre le Kaiser, Mussolini, Hitler, Saddam ou Milosevic. Ce personnage odieux dissimulera la diversité de la population qu'il dirige et où le simple citoyen pourrait retrouver ses alter ego. Pour affaiblir la cause adverse il faut présenter pour le moins ses chefs comme incapables et faire douter de leur fiabilité, de leur intégrité. Mais, dans toute la mesure du possible, il faut diaboliser ce leader ennemi, le présenter comme un fou, un barbare, un criminel infernal, un boucher, un perturbateur de la paix, un ennemi de l'humanité, un monstre ….. Et le but de la guerre serait dès lors de le capturer. Dans certains cas, ce portrait de notre ennemi peut nous sembler justifié, mais il ne faut pas perdre de vue que ce monstre est la plupart du temps très fréquentable avant le conflit et même dans certains cas après. (…)
4. Masquer les buts réels de la guerre sous de nobles causes
Arthur Ponsonby avait relevé pour la guerre de 14-18 qu'on ne parlait jamais, dans les textes officiels des belligérants, des objectifs économiques ou géopolitiques du conflit. Pas un mot n'était dit officiellement sur les aspirations coloniales, par exemple, que la Grande– Bretagne en attendait et qui seront exaucées lors de la victoire alliée. Officiellement, du côté des anglo-français les buts de la Première guerre mondiale se résumaient en trois points : -écraser le militarisme -défendre les petites nations - préparer le monde à la démocratie. Ces objectifs, très honorables, sont depuis recopiés quasi textuellement à la veille de chaque conflit, même s'ils ne cadrent que très peu ou absolument pas avec ses objectifs réels. (…) il faut présenter la guerre comme le conflit entre la civilisation et la barbarie. Pour cela il faut persuader l'opinion que l'ennemi commet systématiquement et volontairement des atrocités, tandis que notre camp ne peut commettre que des bavures bien involontaires. (…)
5. L'ennemi provoque sciemment des atrocités, si nous commettons des bavures c'est involontairement
Les récits d'atrocités commises par l'ennemi constituent un élément essentiel de la propagande de guerre. Cela ne veut évidemment pas dire que des atrocités n'ont pas lieu pendant les guerres. Tout au contraire, les assassinats, les vols à main armée, les incendies, les pillages et les viols semblent plutôt être hélas la monnaie courante de toutes les circonstances de guerre et la pratique de toutes les armées, depuis celles de l'Antiquité jusqu'aux guerres du XXe siècle. Ce qui par contre est spécifique à la propagande de guerre c'est de faire croire que seul l'ennemi est coutumier de ces faits tandis que notre propre armée est au service de la population, même ennemie, et aimée d'elle. La criminalité déviante devient le symbole de l'armée ennemie, composée essentiellement de brigands sans foi ni loi. Pendant la Première guerre mondiale, les Allemands accusaient des pires atrocités les “francs-tireurs” belges et français qui, bafouant les lois de la guerre auraient traîtreusement attaqué les soldats allemands et les auraient trompés par leurs ruses, comme par exemple en leur offrant du café à la strychnine ! Du côté belge et anglo-français circulait avec insistance la rumeur selon laquelle les Allemands avaient systématiquement coupé les mains des bébés belges. En outre la frayeur de la population belge, suite à ces rumeurs, déclencha un exode de réfugiés sans précédent. Un million trois cent mille Belges quittèrent leurs foyers au moment de l'invasion allemande de 1914. Cet exode des “pauvres réfugiés belges” et l'épisode imaginaire des bébés belges aux mains coupées furent utilisés à fond par la propagande alliée pour faire entrer dans son camp des pays hésitants, tels que l'Italie. (…)
6. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
Lors de la bataille d'Angleterre, en 1940, les Britanniques ont largement “surestimé” le nombre d'avions allemands abattus par leur chasse et leur D.C.A. Les nazis par contre, ont tenté le plus longtemps possible de maquiller leur défaite sur le front de l'Est et proclamaient des pertes retentissantes pour les Soviétiques sans évoquer évidemment les leurs. Pour la guerre contre la Yougoslavie également, cette vieille tactique fut utilisée. L'Occident assurait avoir des pertes nulles dans son camp et infliger des pertes militaires énormes à l'armée yougoslave. Ainsi, pour justifier l'utilité des frappes, la propagande occidentale parlait de centaines de tanks yougoslaves mis hors combat. Un an après la guerre, Newsweek put avouer que seuls quatorze tanks yougoslaves avaient été touchés par les frappes aériennes de 1999…..
7. Notre cause a un caractère sacré
L'appui de Dieu à une cause est toujours un atout important et depuis que les religions existent, on s'est allègrement entretués au nom de Dieu. La propagande de guerre doit évidemment faire croire à son opinion publique que “Dieu est à nos côtés” ou, tout au moins, des ecclésiastiques doivent apporter leur caution à la guerre en la déclarant “juste”. Souvenons-nous que le bon Saint Bernard exhortait les chevaliers du Christ à travailler pour le Christ en tuant des infidèles…… “Got mit uns” affichaient les soldats allemands de la Première guerre mondiale sur leur ceinturon. A ce slogan répondait le “God save the King”, anglais, tandis que le cardinal primat de Belgique, le cardinal Mercier, dans sa lettre pastorale “Patriotisme et endurance”, n'hésitait pas à proclamer que les soldats belges, mourant dans le combat contre l'Allemagne, rachetaient leur âme et s'assuraient une place au paradis (…)
8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
Lors de la Première guerre mondiale, sauf quelques rares exceptions, les intellectuels soutinrent massivement leur propre camp. Chaque belligérant pouvait largement compter sur l'appui des peintres, des poètes, des musiciens qui soutenaient, par des initiatives dans leur domaine, la cause de leur pays. En Grande-Bretagne, le King Albert’s book réunit l'Ïuvre de propagande de peintres et graveurs qui “lancent” l'image glorieuse du Roi Albert, roi chevalier. En France, les caricaturistes Poulbot et Roubille mettent leur talent au service de la Patrie. En Belgique, les artistes Ost et Raemaekers se spécialisent dans la confection d'images tragiques évoquant le martyr des réfugiés belges ou l'image héroïque de la Patrie. En Italie c'est le poète Gabriele d'Annunzio qui sera le chantre de l'action. En Allemagne, en octobre 1914, 93 intellectuels, dont le physicien Max Planck, le prix Nobel et philologue von Willamovitz, l'historien G. von Harnack et de nombreux professeurs de théologie catholique, signent un manifeste de soutien à la cause de leur pays et à l'honneur de leur armée, victime selon ce manifeste, d'odieuses calomnies. (…)
9. L'ennemi utilise des armes non autorisées
Rien de tel, dans la propagande de guerre, que d'affirmer la fourberie de l'ennemi en assurant qu'il se bat avec des armes “immorales” et condamnables. Même si l'idée de base est absurde, il y aurait donc une manière “noble” de faire la guerre au moyen d'armes “chevaleresques” , c'est la nôtre évidemment, et par ailleurs une manière barbare de faire la guerre avec des armes “sauvages”, celle de notre ennemi. Pendant la Première guerre mondiale la controverse est vive pour savoir qui, de la France ou de l'Allemagne, a commencé à utiliser les gaz asphyxiants. Chaque belligérant reporte sur l'ennemi la triste priorité de cet usage, assurant que lui-même n'a fait que “copier” ses armes par obligation. (…)
10. Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres
Le dernier principe de Ponsonby veut que ceux qui ne participent pas à la propagande officielle soient mis au ban de la société et soupçonnés d'intelligence avec l'ennemi. Pendant la Première guerre mondiale, les pacifistes de tous pays ont déjà appris à leurs dépens qu'il n'était pas de neutralité possible en temps de guerre. Celui qui n'est pas avec nous est contre nous. Toute tentative de mettre en doute les récits des services de propagande est condamnée sur l'heure comme un manque de patriotisme ou mieux une trahison. (…) » Les principes de la propagande de guerre appliqués à la propagande de l'OTAN pendant la guerre en Yougoslavie
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