Le réseau de contrôle des multinationales

 Une équipe de chercheurs appartenant à la chaire "conception de système" de l'école polytechnique de Zurich  a publié au moins de juin dernier une étude quantitative analysant les liens entre 43 060 entreprises multinationales (TNC Trans-Nationals Corporations) (supplément).
Ils sont partis de la base de données ORBIS contenant plus de 37 millions d'acteurs économiques (personnes physiques et entreprises) à travers 194 pays. Ils ont sélectionnés les entreprises qui possédaient au moins 10% de participations dans d'autre compagnies, dans au moins deux pays différents.
 L'objectif était de cartographié le réseau de toutes les liens de propriété partant et conduisant à ces TNC.

Ils ont distingués plus de 600 000 nœuds et plus d'1 million de liens de participations.
Le cœur de ce réseau est ultra-connecté (SCC Strongly connected core) : en moyennes ces membres ont au moins 20 liens avec les autres membres. Il en résulte que 75% de la propriété de ce cœur reste dans les mains d'entreprises du cœur lui-même.
737 firmes contrôlent 80% de la valeur de toutes ces TNC.
147 d'entre elles contrôlent à elles seules 40% des 43 000 entreprises de la sélection.
Les 3/4 des ces 147 firmes sont des institutions financières (banques et assurances)
Their results have revealed a core of 737 firms with control of 80% of this network, and a “super entity” comprised of 147 corporations that have a controlling interest in 40% of the network’s TNCs.
Their results have revealed a core of 737 firms with control of 80% of this network, and a “super entity” comprised of 147 corporations that have a controlling interest in 40% of the network’s TNCs.
Their results have revealed a core of 737 firms with control of 80% of this network, and a “super entity” comprised of 147 corporations that have a controlling interest in 40% of the network’s TNCs.
Une  représentation du réseau


Extraits d'une traduction par Timiota,  écrite en commentaire sur le blog de Paul Jorion (si c'est trop long, lisez ce qui est en gras, les références ont été supprimées, voir la publication originale)
Résumé : 
la structure du réseau de contrôle des multinationales affecte la concurrence sur le marché global et la stabilité financière. Jusqu’ici, seuls des échantillons nationaux modiques ont été étudiés, et aucune méthodologie appropriée n’avait été développée pour valider globalement le niveau de contrôle. Nous présentons la première investigation de ‘architecture du réseau international de propriété, accompagné du calcul du niveau de contrôle détenu par chacun des acteurs globaux. Nous trouvons que les multinationales (« transnational corporations ») forment une structure de nœud-papillon géante, et qu’une grande part du contrôle est drainée vers un cœur tissé serré d’institutions financières. Ce cœur peut être vue comme une « super-entité économique » dont l’existence soulève de nouvelles et importantes questions tant pour les chercheurs que pour les organes d’élaboration des politiques (« policy makers »).
Introduction :
Une intuition courante parmi les universitaires et dans les médias fait se représenter l’économie globale comme dominée par une poignée de multinationales (TNC = Trans National Corp.) puissantes. Toutefois, des chiffres explicites ne sont pas venus confirmer ni infirmer une telle intuition. Une enquête quantitative n’est en rien triviale car les firmes exercent un contrôle sur d’autres firmes via une toile de relation de détentions directe ou indirectes qui s’étend sur de multiples pays. De ce fait émerge le besoin d’une complexe analyse de réseau si l’on veut mettre à découvert la structure de controle et ses implications. Récemment, la littérature universitaire s’est penchée avec une attention croissante sur les réseaux économiques que ce soit les réseaux de commerce, de produits, de crédit, de prix sur les bourses et de conseil d’administration/direction. Cette littérature a aussi analysé les réseaux de détention d’actifs mais a négligé la structure de controle à l’échelle globale. Même la littérature sur la gouvernance d’entreprise globale n’a étudié que des petits groupes d’entrepreneuriat nationaux.
Certes, il est intuitif que chaque grande entité multinationale a une pyramide de filiales sous elle et une palanquée d’actionnaire au dessus d’elle. Toutefois, la théorie économique n’offre pas de modèle qui prédise comment les TNCs se connectent globalement les unes aux autres. Trois hypotheses alternatives peuvent être formulées. Les TNCs peuvent rester isolées, agrégées en coalitions séparées, ou former une composante connectée géante, plausiblement avec une structure coeur-périphérie. Pour l’instant, cette question est demeurée vierge d’enquête, nonobstant ses importantes implications pour la chose politique. Notamment, des relations de détentions mutuelles entre firmes du même secteur peuvent, dans certains cas, mettre en danger la concurrence sur les marchés. Qui plus est, le tissage de liens parmi les institutions financières a été reconnu comme ayant des effets ambigus vis à vis de luer fragilité financière.
La vérification du degré auquel ces implications se vérifient dans l’économie globalisée est per se un domaine de recherche inexploré, et est au-delà du but de cet article. Toutefois, un prérequis nécessaire à de telles enquêtes est de mettre à jour la structure du controle des multinationales ou des grandes sociétés à l’échelle mondiale. Ceci n’a jamais été accompli auparavant et est le but du présent travail.
[...]
Résultats :
Nous commençons par la listes des 43060 TNCs (trans nat corp) identifiées selon la définition de l’OCDE, prélevée à partir d’un échantillon d’environ 30 millions d’acteurs économiques contenus dans la base de donnée Orbis 2007. Nous appliquons alors une recherche récursive, qui, pour la première fois à notre humble connaissance; individualise le réseau de tous les chemins de détentions partant de et allant vers les TNCs. Le réseau résultant contient 600508 nœuds et 1006987 arcs (liens) de détention (participation).
Notez que ce jeu de données diffère fondamentalement de ceux analysés dans [11] (qui n’a considéré que les compagnies listées dans des pays séparés et leur actionnaires directs). Ici, nous sommes intéressés par le réseau de participation/détention vraiment global, et plusieurs TNCs ne son pas des compagnies répertoriées.
[...]
Topologie du réseau :
Le calcul du degré de contrôle nécessite une analyse préalable de la topologie. En terme de connectivité, le réseau consiste en beaucoup de petites composantes connectées, mais la plus grande (3/4 des nœuds) contient tous les grandes TNCs en termes de valeur économique, totalisant 94,2% des recettes d’exploitations totales. En sus de es statistiques usuelles de réseau, deux propriétés topologiques sont les plus pertinentes pour le point central de ce travail. La première est l’abondance de cycle de longueur 2 (participation croisées) ou plus, qui sont des motifs bien étudiés dans la gouvernance d’entreprise (corporate governance). Une généralisation consiste à considérer une composante fortement connectée (SCC), c’est à dire un jeu de firmes au sein duquel chaque membre détient directement et/ou indirectement des actions chez tous les autres membres. Ce type de structure, observé jusqu’ici seulement dans de petits échantillons, a pour explication notamment les stratégies anti-OPA-inamicale, la réduction des coûts de transactions, le partage du risque, l’accroissement de la confiance et les groupements d’intérêts. Quelle que soit son origine, toutefois, ce type de structure affaiblit la concurrence sur le marché. La second caractéristique est que la plus grande composante connectée ne contient qu’une seule composante fortement connectée (= SCC) (1347 nœuds). Ainsi, comme le web WWW, le réseau TNC a une structure en nœud-papillon. Ces particularités sont que la composante fortement connectée ou core, est très petite comparée aux autres sections du nœud papillon, et que la partie hors-section est significativement plus grande que la partie en-section avec tubes et excroissances. Le coeur est aussi très densément connecté, avec des membres ayant en moyenne, des liens vers 20 autres membres. Le résultat de tout cela, c’est qu’environ 3/4 de la propriété des firmes du core reste dans les mains des firmes de ce même coeur. En d’autre termes, ceci est un groupe tissé serré de sociétés qui, ensemble, détiennent une majorité d’action de chacune d’entre elles.
Notez que l’analyse inter-pays de [11] a pour sa part trouvé que seuls quelques uns des résaux de détentions nationaux sont topologiquement des noeuds papillons, et que, notamment, pour les pays anglo-saxons, les principales composants fortement connectées (SCC) sont grosses en comparées à la taille du réseaux;
[...]
Concentration du degré de contrôle :
L’analyse topologique faite jusqu’ici ne considère pas la distribution de valeur économique des firmes.
Nous calculons donc le degré de contrôle du réseau que les acteurs économiques (TNCs inclus) gagnent en comparaison de la valeur des TNCs, et nous attaquons la question de savoir à quel point ce contrôle est concentré, et qui sont les détenteurs de contrôle en haut de la liste. Il faut dire ici que bien que les universitaires aient depuis longtemps mesuré la concentration de la fortune et du revenu, il n’y a pas d’estimation préalable à notre étude du degré de contrôle. En construisant une courbe du type des courbes de Lorenz permet d’ identifier la fraction eta* des détenteurs prépondérants qui détiennent de façon cumulative 80% du control total du réseau.
Ainsi, plus petite est cette fraction, plus forte est la concentration. En principe, on pourrait s’attendre à ce que l’inégalité dans le degré de contrôle soit comparable à l’inégalité des revenus telle qu’on la constate parmi les ménages et les firmes, puisque les actions de la plupart des sociétés sont publiquement accessibles dans les marchés boursiers d’action.
En contraste avec cela, nous trouvons qu’à eux seuls, les 737 détenteurs prépondérants cumulent 80% du contrôle sur la valeur de toutes les TNCs (vois aussi la liste des 50 détenteurs prépondérants dans la Table du SI (supplementary information)). [...]
D’autre comparaisons qui font sens incluent par exemple : la distribution de revenus dans les pays développés, qui se caractérise par eta_3*~5-10% [22], et les revenus de sociétés dans Fortune1000  (eta_4*~30% en 2009). Ceci signifie donc que le degré de contrôle du réseau est bien plus inégalement distribué que la fortune. En particulier, les acteurs du haut de la liste détiennent un contrôle 10 fois plus important que ce qu’on attendrait sur la base de leur fortune. Ces résultats sont robustes vis a vis des choix de modèles utilisés pour estimer le degré de contrôle, voir Fig.3, et Tbls S2 S3.
Discussion :
Le fait que le contrôle (de la valeur) soit concentrée dans les mains de peu de détenteurs du haut de la liste ne détermine pas si et comment ils sont interconnectés. Ce n’est qu’en combinant la topologie avec le classement par degré de contrôle que l’on obtient une pleine caractérisation de la structure de contrôle. Une première question à laquelle nous sommes maintenant en mesure de répondre est de savoir si les acteurs du haut de la liste sont situés dans le « nœud-papillon ». Comme le lecteur l’aura sans doute déjà suspecté, les acteurs les plus puissants tendent à appartenir au « core ». En réalité, la position d’une TNC dans le réseau ne compte pas . Pas exemple, une TNC choisie aléatoirement dans le « core » a 50% de chance d’être aussi elle-même parmi les détenteurs de haut de liste, à comparer à, par exemple, 6% pour la « section d’entrée » (arcs amont) (Tbl. S4). Une seconde question concerne la part que chaque composante {élément de la partition} du « bow-tie » détient au juste. Nous trouvons que, malgré sa petite taille, le core détient collectivement une large part de tout le réseau de contrôle. En détail, près de 40% du contrôle sur la valeur économique des TNCs dans le monde est détenue, vis un réseau complexe de relations de propriété, par un groupe de 147 TNCs dans le core , qui a presque un contrôle complet sur lui-même. Les détenteurs du haut de la liste dans le core peuvent alors être considérés comme une « super-entité économique dans le réseau global des (grandes) sociétés. Un point supplémentaire pertinent à ce point est les fait que ¾ du core est constitués d’intermédiaires financiers
La Fig.2 D montre un petit sous-ensemble d’acteurs biens connus en finance, ainsi que leur liens, fournissant ainsi une idée du degré d’enchevêtrement de tout le core.
Cette découverte remarquable soulève au moins deux questions qui sont fondamentales pour la compréhension du fonctionnement de notre économie.
Primo, quelles sont les implications pour la stabilité financière globale ? Il est notoire que les institutions financières établissent des contrats financiers tels que le prêt ou les crédits de produits dérivés, avec d’autres institutions. Ceci permet de davantage diversifier le risque, mais, en même temps, cela les expose à la contagion. Malheureusement, les informations sur ces contrats ne sont pas habituellement divulgués pour des raisons stratégiques. Toutefois, dans divers pays, l’existence de tels liens financier est corrélée avec l’existence des relations de possession croisées.
De ce fait, sous l’hypothèse que la structure du réseau de possession soit une bonne proxy ( indication, augure) pour celle du réseau financier, cela implique que le réseau financier global est aussi très intriqué.
Des travaux récents ont montré que quand un réseau financier est densément connecté, il devient très susceptible au risque systémique. En fait, alors que dans les temps d’augmentation, le réseau semble robuste, dans les moments plus difficiles, les firmes vont vers la cessation de paiement simultanément. Cette propriété de « tranchant du couteau » a été tout à fait visible durant le récent épisode de remous financiers.
Deuxio, quelles sont les implications pour la concurrence sur les marchés ? Du fait que beaucoup de TNCs dans le core ont des domaines d’activités qui se recouvrent, le fait qu’ils soient connectés par des relations de possessions pourrait faciliter la formation de blocs, qui seraient alors des obstacles à la compétition de marché. De façon remarquable, l’existence d’un tel core au sein des marchés globaux n’avait pas jusque-là été documentée, et ainsi, jusqu’à maintenant, aucune étude scientifique ne démontre ou n’exclue que cette super-entité ait jamais agit comme un bloc. Toutefois, quelques exemples suggèrent que ce n’est pas un scénario si peu probable. Par exemple, des études précédentes ont montré que même des structures à faible participation croisée, au niveau national, peuvent affecter la libre concurrence dans des secteurs tels que l’aviation commerciale, l’industrie automobile et l’acier, ainsi que dans le secteur financier. Mais en parallèle, des institutions antitrust ( par exemple le UK office of Fair Trade), dans le monde entier, surveillent de près les structures de détention à l’intérieur de leur propres frontières nationales. Le fait que des jeux de données internationales ainsi que des méthodes pour traiter de grand réseaux ne soient devenus disponibles que très récemment peut expliquer pourquoi cette concentration découverte ici a pu ne pas être détectée pendant si longtemps.
Deux questions méritent d’être évoquées ici en quelque détail. On peut se demander ce que vaut l’idée d’assembler des données de propriétés venant de pays dotés de cadres légaux hétérogènes. Toutefois, des travaux empiriques antérieurs montrent que de tous les déterminants possible affectant les relations de détention dans des pays différents (p ex les règles d’imposition, le niveau de corruption, le cadre institutionnel, etc.), seul le niveau de protection de l’investisseur est statistiquement pertinent. En tout état de cause, il est remarquable que nos résultats sur le niveau de concentration soient robustes par rapport aux trois modèles différents utilisés pour inférer le degré de contrôle à partir des données sur la détention du capital. La seconde question concerne le contrôle que les institutions financières exercent effectivement. Suivant certains arguments théoriques, en général, les institutions financières  n’investissent pas en capital {actions : equity shares} pour exercer un contrôle. Toutefois, il y a aussi des preuves empiriques que l’opposé soit vrai. Nos résultats montrent que, globalement, les détenteurs du haut de la liste sont au moins en position d’exercer un contrôle considérable, soit formellement (p ex en votant dans les AG et les conseils d’administration), ou par des négociations informelles.
Au-delà de la pertinence de ces résultats pour l’économie et l’élaboration de politique, notre méthodologie peut être appliquée pour identifier les nœuds clés dans n’importe quel réseau concret au sein duquel une quantité scalaire (p. ex des ressources ou l’énergie) coulent le long de liens pondérés orientés (des arcs pondérés). D’un point de vue empirique, une structure en nœud-papillon avec un cœur très petit et très influent est une observation nouvelle dans l’étude des réseaux complexes. Nous conjecturons qu’elle puisse être présente dans d’autres sortes de réseaux où le mécanisme « les riches deviennent plus riche » sont à l’œuvre  (bien que la configuration d’attachement préférentiel par degré à elle seule ne produise pas un nœud-papillon). Toutefois, le fait que le cœur soit si densément connecté pourrait être vue comme la généralisation du « phénomène du club des riches » avec un contrôle de rang. Ces questions ouvertes en relation avec notre étude pourraient sans doute être appréhendées en introduisant le degré de contrôle dans un « modèle de fitness » d’évolution des réseaux.


Le top 50 des compagnies ultra-connectées (données 2007):
1. Barclays plc
2. Capital Group Companies Inc
3. FMR Corporation
4. AXA
5. State Street Corporation
6. JP Morgan Chase & Co
7. Legal & General Group plc
8. Vanguard Group Inc
9. UBS AG
10. Merrill Lynch & Co Inc
11. Wellington Management Co LLP
12. Deutsche Bank AG
13. Franklin Resources Inc
14. Credit Suisse Group
15. Walton Enterprises LLC
16. Bank of New York Mellon Corp
17. Natixis
18. Goldman Sachs Group Inc
19. T Rowe Price Group Inc
20. Legg Mason Inc
21. Morgan Stanley
22. Mitsubishi UFJ Financial Group Inc
23. Northern Trust Corporation
24. Société Générale
25. Bank of America Corporation
26. Lloyds TSB Group plc
27. Invesco plc
28. Allianz SE 29. TIAA
30. Old Mutual Public Limited Company
31. Aviva plc
32. Schroders plc
33. Dodge & Cox
34. Lehman Brothers Holdings Inc (données 2007)
35. Sun Life Financial Inc
36. Standard Life plc
37. CNCE
38. Nomura Holdings Inc
39. The Depository Trust Company
40. Massachusetts Mutual Life Insurance
41. ING Groep NV
42. Brandes Investment Partners LP
43. Unicredito Italiano SPA
44. Deposit Insurance Corporation of Japan
45. Vereniging Aegon
46. BNP Paribas
47. Affiliated Managers Group Inc
48. Resona Holdings Inc
49. Capital Group International Inc
50. China Petrochemical Group Company


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