Les guerres commerciales sont des guerres de classes

Les guerres commerciales sont des guerres de classes

Extraits traduits de l’interview de M. Pettis et M. Klein par A. Tooze pour la parution de « Trade Wars are Class Wars ».

« Le nouveau livre de Michael Pettis et Matthew Klein, « Trade Wars Are Class Wars », commence par une épigraphe [1] de John A. Hobson : « La lutte pour les marchés, l’empressement des producteurs à vendre plus grand que celui des consommateurs à acheter, est le couronnement d’une fausse économie de distribution. L’impérialisme est le fruit de cette fausse économie » [2]. Pettis et Klein mettent à jour la thèse hobsonienne pour le XXIe siècle, en soutenant que, si les guerres commerciales sont souvent considérées comme le résultat d’un leadership atavique [3] ou des priorités économiques contrastées d’États nations distincts, elles sont mieux comprises comme les symptômes malins des inégalités domestiques qui nuisent aux travailleurs du monde entier.
Dans un compte rendu panoramique des changements survenus dans l’économie mondiale au cours des dernières décennies, Pettis et Klein détaillent l’évolution des maux économiques qui définissent l’économie politique internationale moderne. C’est une lecture essentielle et provocante qui a de larges implications pour la politique internationale, l’étude des inégalités et l’avenir du système monétaire mondial ».
 

Perspective globale, les guerres commerciales sont des guerres de classes

Le coût du commerce et les conflits commerciaux de l’ère moderne ne reflètent pas les différences de coût de production ; ce qu’ils reflètent, c’est une différence dans les déséquilibres d’épargne, principalement dus aux distorsions dans la distribution des revenus. Nous soutenons que la raison pour laquelle nous avons des guerres commerciales est que nous avons des déséquilibres persistants, et la raison pour laquelle nous avons des déséquilibres commerciaux persistants est que dans le monde entier, les revenus sont distribués de telle manière que les travailleurs et les ménages de la classe moyenne ne peuvent pas consommer suffisamment de ce qu’ils produisent.

Il y a des assertions tautologiques sur la nature de l’économie mondiale et celle du système financier, les relier dans le bon ordre produit des conclusions radicales. [la thèse du livre] est juste le résultat de ces déclarations de base sur la relation entre la production, la consommation et l’épargne. Le titre souligne que ce ne sont pas seulement des concepts abstraits - ils sont directement liés à la répartition du pouvoir politique et économique. Hobson soutient qu’il y a des problèmes dans la distribution des revenus et du pouvoir d’achat au sein des principaux pays capitalistes européens, et que cela explique l’impérialisme.

Les problèmes auxquels nous sommes confrontés peuvent être résolus en utilisant les outils de redistribution que les décideurs politiques ont utilisés dans le passé.

[Dans le livre on] divise le monde entre les pays générateurs de surplus et les pays déficitaires. L’affirmation causale forte est que les déséquilibres sont en grande partie le résultat d’un changement socio-structurel dans les pays excédentaires.

Hobson soutenait que la raison pour laquelle l’Angleterre et d’autres pays européens exportaient des capitaux à l’étranger n’était pas l’aventurisme militaire, mais l’inégalité des revenus. Vous aviez une épargne incroyablement élevée parce qu’une grande partie des revenus était concentrée chez les riches, et l’Angleterre devait donc exporter cette épargne excédentaire et la production excédentaire qui l’accompagnait. L’impérialisme permit [à l’Angleterre] de verrouiller les marchés pour ces deux exportations. La prescription d'Hobson était d'augmenter les salaires des travailleurs de manière à ce qu’ils puissent consommer ce qu’ils produisent, cela rendrait l’impérialisme inutile.


La Chine

Entre les années 1980 et 2012 environ, la croissance rapide de la productivité en Chine ne s’est pas accompagnée d’une augmentation équivalente des salaires et du revenu disponible des ménages. Un certain nombre de mécanismes ont permis de transférer les revenus du secteur des ménages vers les entreprises et les gouvernements locaux, le plus important étant un taux d’intérêt réel négatif [4] pendant une grande partie de cette période. Un taux d’intérêt réel négatif est une taxe cachée sur l’épargne. C’est une subvention aux emprunteurs. En Chine, les ménages ordinaires étaient des épargnants nets, et les entreprises et le gouvernement étaient des emprunteurs nets, ce qui signifie que le taux d’intérêt transférait les revenus des ménages ordinaires aux entreprises et au gouvernement. La monnaie sous-évaluée et la dégradation de l’environnement ont eu le même effet que le taux d'intérêt réel négatif sur les transferts de revenus entre ménages et entreprises.

Il était impossible pour les travailleurs et les ménages chinois de consommer une partie significative de ce qu’ils produisaient. Ce n’était pas nécessairement une mauvaise chose, car la Chine était fortement sous-investie. Le gouvernement a effectivement augmenté de force le taux d’épargne et a canalisé toute cette épargne dans un programme d’investissement massif. Le pays s’est développé si rapidement que même avec tous ces transferts cachés, les ménages s’en sont bien sortis.

Le problème est apparu lorsque l’économie chinoise n’a plus pu absorber de nouveaux investissements de manière productive. Une fois que la Chine a atteint ce point, la consommation était trop faible pour stimuler la croissance, et elle est entrée dans un état de production excédentaire.

En 2007, Wen Jiabao, Premier ministre, a promis de rééquilibrer la demande intérieure. Non seulement [les instances dirigeantes] n’ont pas rééquilibré la demande, mais les déséquilibres se sont aggravés au cours des cinq années suivantes. Nous avons commencé à entendre parler d’« intérêts particuliers » qui empêchaient le gouvernement central de mettre en œuvre les politiques qu’il souhaitait, et une distinction a été établie entre les intérêts des citoyens chinois ordinaires et ceux des élites locales. Ce déséquilibre est exporté vers le reste du monde sous la forme d’un déficit du compte de capital [les Chinois investissent plus à l'étranger que les étrangers en Chine] et d’un excédent du compte courant. La Chine a besoin d’un transfert important de revenus, des gouvernements locaux et des élites vers les travailleurs ordinaires, c’est un problème politique.

La stratégie nationale de développement menée par l’élite du parti communiste est une tentative d’établir la Chine comme un acteur [de premier plan] dans un système mondial hostile. Elle a réussi, mais a créé également ces puissants intérêts au niveau régional. Ces élites en viennent à limiter l’autonomie du régime, de sorte que si les macroéconomistes chinois peuvent constater ces déséquilibres, il devient très difficile de les changer.

Les origines de la dynamique semblent être une stratégie nationale de développement qui réussit de façon si radicale qu’elle fait apparaître une version puissante de la bourgeoisie, que le régime peine à maîtriser.

Le modèle de croissance chinois suit celui proposé par Alexander Gerschenkron pour le développement des États-Unis au XIXe siècle. Les pays en développement sont confrontés à deux problèmes.

Le premier est que, étant relativement pauvres et sous-investis, ils ne disposent pas d’une épargne suffisante pour répondre à leurs besoins d’investissement et doivent donc compter sur l’épargne étrangère pour obtenir des niveaux d’investissement plus élevés. Mais compter sur l’épargne étrangère est risqué, il faut donc forcer le taux d’épargne à augmenter. Comment y parvenir ? Vous réduisez la part du PIB détenue par les ménages ordinaires.

Le deuxième problème que Gerschenkron a constaté est le manque d’investissements à long terme dans les projets d’infrastructure nécessaires. Il a recommandé de centraliser le processus d’investissement.

Depuis, Dani Rodrik a soutenu que plus d’une vingtaine de pays ont connu des miracles en matière d’investissement et de croissance depuis la Seconde Guerre mondiale (Brésil, Japon, Chine, Allemagne, Union soviétique). C’est un modèle de croissance très réussi, mais lorsque vous atteignez le point où vous ne pouvez plus augmenter les investissements à un rythme élevé, vous êtes obligé de procéder à des réformes institutionnelles.


L’Allemagne - rupture [politique] à la fin des années 1990 en Allemagne : demande de « réforme », transformation du marché du travail et du système de protection sociale.

Ce livre est aussi l’histoire des effets de la fin du communisme sur l’économie mondiale. L’année 1989 est un pivot à la fois du point de vue des manifestations de la place Tien'anmen en Chine et du point de vue du modèle de croissance ouest-allemand qui a reçu le choc de la réunification.

Il faut comprendre les conséquences de la réunification en termes de changement dans la distribution des revenus, et les implications de ce changement pour les déséquilibres macroéconomiques de l’Europe.

La distribution a posteriori des revenus dans une société profondément capitaliste avec une distribution inégale des richesses est un choc énorme, mais d’une certaine manière, ce choc pousse l’Allemagne à ce changement. Il y a le rôle de l’idéologie et de personnages clés de l’élite, puis il y a la distribution des revenus et des richesses. Quel est le processus causal ici ?

C’est un mélange de tous ces facteurs. Il y avait une composante idéologique. Il y avait aussi d’autres forces. Les réductions de l’aide sociale au début des années 2000 ont fait l’objet de beaucoup d’attention, mais beaucoup de ces développements ont été précédés par des changements survenus dans le secteur privé dans les années 1990. Ces changements ont parfois été coordonnés par les gouvernements locaux. Une grande partie de ces activités ont été réalisées au niveau des entreprises et des syndicats.

Les deux parties étaient convaincues que la seule façon de préserver l’emploi et d’inciter la croissance était de combiner des réductions de salaires et d’heures de travail. Une grande partie de cette conviction était ancrée dans la manière dont la réunification allemande s’est produite. La croyance était qu’il y aurait une croissance importante en apportant la technologie, la gestion, le capitalisme et la démocratie ouest-allemande à une nouvelle population ayant une langue et une histoire communes. Mais, pour diverses raisons, cela n’a pas fonctionné de cette façon. Le gouvernement allemand a perdu beaucoup d’argent en finançant tout ce processus et cela a inquiété beaucoup de gens quant aux capacités de la politique fiscale à générer de la croissance.

L’une des préoccupations initiales était la vague massive de migration de l’Allemagne de l’Est vers l’Ouest. Les gens de l’Ouest avaient peur de devoir subventionner les migrants. L’un des moyens d’éviter cela a été d’étendre le système de sécurité sociale ouest-allemand à l’Est. Si vous travailliez dans une entreprise est-allemande qui n’était pas défunte, vous deveniez éligible aux allocations chômage, aux retraites comme en Allemagne de l’Ouest. L’intention était de dissuader les gens de quitter l’Allemagne de l’Est. Bien sûr, cela a mis la pression sur [la bonne santé] de l’économie. Lorsque les choses ont cessé de fonctionner, le noyau conservateur de l’Allemagne dans le riche Sud-Ouest (la région de Munich, Francfort, Stuttgart) en est venu à préconiser des coupes budgétaires dans le système de sécurité sociale allemand comme moyen de mettre fin aux transferts.

Nous avons là, l’acteur de classe [sociale]. Les guerres commerciales sont des stratégies de développement national qui ont terriblement mal tourné. Dans le cas de l’Allemagne, la stratégie a été mise en place par cette élite du sud-ouest de l’Allemagne, orientée vers l’exportation, qui se débattait avec les conséquences de la guerre froide.

Il y a deux pays générateurs d’excédents, la Chine et l’Allemagne, avec des factions de classe et des stratégies de développement qui les poussent dans des positions macroéconomiques déséquilibrées, qui génèrent des excédents de la balance courante et les flux de capitaux correspondants.


Les États-Unis

Du côté des bénéficiaires, on trouve les États-Unis. L’Amérique ne contrôle pas son compte courant ; elle ne contrôle pas son solde net d’épargne macroéconomique globale.

L’histoire du double déficit est fausse. La balance des comptes courants de l’Amérique ne fluctue pas avec le déficit du secteur public parce que l’excédent du secteur privé compense largement [le déficit fédéral]. C’est l’afflux de capitaux étrangers qui comble [le solde négatif des comptes courants].

Ce qui implique que ce sont les guerres de classes en Chine et en Allemagne qui sont à l’origine des déséquilibres mondiaux. Curieusement, les guerres de classes aux États-Unis sont neutres par rapport au compte courant américain. Pourtant l’inégalité aux États-Unis est le moteur de la narration du livre à travers la notion que Wall Street est le médiateur du capital étranger.

Ce qui s’est passé aux États-Unis ressemble beaucoup à ce qui s’est passé en Allemagne pendant la même période [fin des années 90]. Qu’il s’agisse de la réforme de l’aide sociale, de la crise technologique qui a entraîné l’effondrement des investissements des entreprises et le sous-investissement dans les infrastructures, il y avait beaucoup de similitudes. La question est de savoir pourquoi les choses se sont passées différemment.

Un article récent avance que la surabondance d’épargne des riches aux États-Unis est responsable de la moitié de l’augmentation de la dette privée intérieure aux États-Unis dans les années 2000 [5]. L’autre moitié, bien sûr, est venue de l’étranger. Une partie de cette surabondance d’épargne des riches est partie à l’étranger depuis les États-Unis, et une autre partie a été réinvestie à l’intérieur du pays. C’est différent de ce qui s’est passé en Allemagne, par exemple, où il n’y avait pas vraiment de dette ou d’investissement intérieur.

En ce qui concerne les marchés financiers [Wall Street], il y avait une complémentarité d’intérêts entre les riches des États-Unis et ceux des autres pays. La stratégie de développement de la Chine consistait à attirer les investissements étrangers dans le domaine de la technologie. Cette stratégie a été adoptée avec beaucoup d’enthousiasme par les entreprises américaines, européennes et japonaises. Si vous devenez un producteur net d’actifs financiers, alors les personnes qui sont dans l’activité de produire et vendre des actifs financiers dans le reste du monde seront naturellement enthousiastes à l’égard de ce système.

L’un des moments déconcertants du livre est précisément le positionnement des États-Unis presque comme une victime. Structurellement, les États-Unis se trouvent dans la position du monde colonisé du système d'Hobson (c’est-à-dire en tant que bénéficiaire de l’épargne excédentaire produite dans les économies avancées). On pourrait lire cela comme une excuse pour la tournure protectionniste de la politique américaine au cours des dernières décennies. Il y a une logique macroéconomique cachée dans le désir des décideurs politiques américains de se prémunir contre les déséquilibres des autres pays.

C’est un argument très simple de la balance des paiements. Si l’argent afflue aux États-Unis, alors les États-Unis enregistrent un excédent du compte de capital et un déficit du compte courant. Par définition, il doit y avoir un écart entre les investissements américains et l’épargne américaine. Ce que nous entendons toujours dans le cadre de l’argument du double déficit, c’est que cet écart sert à financer les investissements américains. Mais quand on regarde le monde, il est assez clair que les États-Unis, et en fait toutes les économies avancées, n’ont pas vraiment besoin de capitaux étrangers pour financer leurs investissements. Nous sommes inondés de capitaux. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas de toute l’histoire. Les entreprises américaines avant la COVID-19 étaient assises sur d’énormes tas de liquidités et ne les investissaient pas.

La raison est la suivante : les entrées de capitaux aux États-Unis n’ont pas eu d’impact sur les investissements américains, contrairement au XIXe siècle, où les capitaux britanniques ont en fait provoqué une hausse des investissements américains. [Si les investissements n’augmentent pas], il faut donc que l’épargne diminue. Il fallait trouver ce qui faisait baisser l’épargne américaine, et les mécanismes identifiés peuvent être divisés en deux groupes : ceux qui provoquent une augmentation du déficit budgétaire, et ceux qui font augmenter le taux de chômage.

Si les États-Unis étaient comme d’autres pays, l’augmentation des inégalités internes aurait forcé une augmentation de l’épargne américaine, ce qui aurait entraîné un excédent de la balance courante américaine. Cela ne s’est pas produit en raison du rôle très particulier que les États-Unis jouent dans les équilibres mondiaux. Les États-Unis sont automatiquement le bénéficiaire net de l’excédent d’épargne du reste du monde et, par conséquent, ils ne peuvent pas contrôler leur compte courant. Le corollaire est que les États-Unis n’ont aucun contrôle sur leur taux d’épargne. Le taux d’épargne est fonction de plusieurs facteurs, mais si l’épargne étrangère afflue aux États-Unis ou si l’épargne des riches augmente en raison de l’inégalité croissante des revenus, ces deux facteurs ne peuvent pas accroître l’épargne totale aux États-Unis, car l’épargne aux États-Unis est égale à l’investissement moins l’excédent de la balance courante. Quelque chose d’autre doit se produire : une augmentation de la dette des ménages, une augmentation du déficit budgétaire ou une augmentation du chômage.


Que faire ?

La question se pose à deux niveaux : d’abord, quelles sont les prescriptions techniques qui découlent de cette analyse ? Et d’autre part, quelle est la force sociale, la coalition d’idéologie, d’intérêts et de dynamique institutionnelle qui pourrait de façon réaliste nous faire sortir de la situation ?

Les suggestions pour le contexte chinois : améliorer la qualité de l’assurance sociale ou modifier le système d’enregistrement des ménages[6] sont des choses que le gouvernement [chinois] s’est déjà engagé à effectuer.

Dans le contexte européen, récemment, une coalition du sud de l’Europe a émergé et a plaidé pour que la Commission européenne emprunte au nom de tous les autres,et pour que les dépenses soient proportionnelles aux besoins et non à la taille de chaque économie. Cela pourrait être le début de quelque chose d’intéressant. Dans le secteur privé allemand, jusqu’en 2008, nous avons constaté un déséquilibre extrême entre la rentabilité croissante des entreprises et la stagnation des revenus des travailleurs. Mais le contexte de faible croissance après 2008 semble très différent, et il y a un certain rééquilibrage dans le secteur privé qui est compensé par des impôts relativement élevés et des dépenses relativement faibles. Dans la mesure où ce rééquilibrage du secteur privé se poursuit, il pourrait également faire énormément de bien.

Quelles sont les perspectives de transformation intérieure aux États-Unis ? Pourrait-on modifier l’équilibre de la lutte des classes, et par là même modifier le déséquilibre ? Dans l’environnement actuel, l’argument contre l’augmentation des salaires est trop fort : des salaires plus élevés réduisent la compétitivité et font que les bénéfices de salaires plus élevés se propagent à l’étranger. Si vous payez plus vos travailleurs, les consommateurs de votre pays consommeront plus de l’étranger (importations), car les prix doivent augmenter. Si vous pensez que le problème est une sorte de problème protectionniste [« beggar thy neighbour » problem ; chacun pour soi au dépens des autres] [7] - dans lequel chaque pays améliore sa position relative en exerçant une pression à la baisse sur les salaires, soit directement, comme l’Allemagne l’a fait dans le cadre des réformes Hartz, soit indirectement, par le biais de devises faibles et de subventions - alors il est très difficile d’augmenter les salaires. En fait, vous obtenez une situation dans laquelle chaque pays profite de la baisse des salaires. Il me semble que pour résoudre le problème des salaires, nous devons empêcher la circulation sans entrave des capitaux. Nous avons besoin d’une sorte de protection. Mais plutôt qu’une protection commerciale, nous devons entraver les flux de capitaux.

Il faut trouver un compromis entre la gestion du déficit des comptes courants et l’inégalité intérieure. Les États-Unis auraient pu s’attaquer à l’inégalité des revenus, mais ils auraient augmenté leurs dépenses en biens étrangers.

Une solution consisterait à canaliser l’afflux de capitaux étrangers vers une dette publique sûre, qui aurait pu être utilisée pour un vaste programme d’infrastructures et pour améliorer les qualifications de la main-d’œuvre américaine.

La dette ne serait pas un problème. Les États-Unis ont des besoins en infrastructures, et s’ils investissaient de manière productive, la dette augmenterait, mais le fardeau de la dette diminuerait. Le problème est politique. Il est difficile de justifier un programme de dépenses d’infrastructure pour la raison que les étrangers ont un excès d’épargne. Les États-Unis devraient le faire pour des raisons intérieures.

À l’arrière-plan se trouve un ensemble d’hypothèses sur la position du dollar dans le système mondial. En fin de compte, il est difficile d’échapper à cette structure instable difficile à échapper, car les États-Unis sont le fournisseur d’actifs financiers sûrs pour le monde entier.

Oui, c’est bien le cas. Le dollar est devenu prédominant après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la production économique des États-Unis était équivalente à celle du reste du monde. Aujourd’hui, les États-Unis sont toujours la première économie mondiale, mais leur position relative est trois fois moins importante que celle qu’ils occupaient lorsque le dollar est devenu la pierre angulaire du système financier mondial. Le coût relatif de l’absorption des déséquilibres mondiaux a triplé. Et il n’est pas évident que le système politique américain soit capable de réagir. Il serait bon d’avoir des alternatives. Si nous mettons en place une architecture à plusieurs monnaies ou si nous imposons des limites plus strictes aux flux financiers transfrontaliers, la charge qui pèse sur les États-Unis s’allégera.

Est-il concevable qu’une coalition en faveur de ce projet institutionnel puisse émerger au sein des États-Unis ? Il y a eu des moments dans l’histoire ou la politique progressiste américaine s’est impliquée dans la question monétaire, le rôle de la banque centrale et de la position de Wall Street. Dans un sens, ce livre est comme un manifeste pour ce genre de politique.

La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à ce problème. Parmi les périodes importantes d’inégalité de revenus aux États-Unis, on peut citer les années 1830, 1860, la période précédant la Première Guerre mondiale et les années 1920. Dans chaque cas, souvent de manière très chaotique, les États-Unis ont pris les mesures politiques nécessaires pour redistribuer les revenus. Nous revivons peut-être ce processus. Nous avons atteint les limites de notre capacité à absorber l’inégalité croissante des revenus.


1. Épigraphe : Citation placée en tête d’un écrit pour en suggérer le sujet ou l’esprit CNRTL

2. « Lorsque la répartition des revenus est telle qu’elle permet à toutes les classes de la nation de convertir leurs désirs ressentis en une demande effective de produits de base, il ne peut y avoir de surproduction, de sous-emploi du capital et de la main-d’œuvre, et il n’est pas nécessaire de se battre pour les marchés étrangers… La lutte pour les marchés, l’empressement plus grand des producteurs à vendre que celui des consommateurs à acheter, est le couronnement d’une fausse économie de distribution. L’impérialisme est le fruit de cette fausse économie… La seule sécurité des nations réside dans la suppression des revenus non gagnés des classes possédantes, et dans leur ajout aux revenus salariaux des classes ouvrières ou aux revenus publics, afin qu’ils soient dépensés pour élever le niveau de la consommation ». John A. Hobson, Imperialism : A Study (1902)

3. Atavisme : Transmission à l’intérieur d’une communauté humaine, d’une façon de vivre, d’un savoir-
faire. CNRTL

4. Taux d’intérêt réel ~= taux d’intérêt nominal - inflation, Wikipedia. Avec un taux d’intérêt réel négatif, les prêteurs/épargnants doivent payer pour prêter, et les emprunteurs sont rémunérés pour 
emprunter.

5. Atif Mian, Ludwig Straub, and Amir Sufi. Working Paper. “The Saving Glut of the Rich and the Rise in Household Debt”.

6. Le système d’enregistrement des ménages (hukou) en Chine, qui classe chaque personne comme un résident rural ou urbain, est un moyen important de contrôler la mobilité de la population et de déterminer l’éligibilité aux services et à l’aide sociale fournis par l’État. Chan, K.W. (2010), The Household Registration System and Migrant Labor in China: Notes on a Debate. Population and Development Review.

7. En économie, une politique « beggar thy neighbour » est une politique économique par laquelle un pays tente de remédier à ses problèmes économiques par des moyens qui tendent à aggraver les problèmes économiques des autres pays. Wikipedia

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