Résumé du rapport « Impact de mesures non pharmaceutiques pour réduire la mortalité du Covid-19 et la demande de soins »
Selon le journal “Le Monde” en date du dimanche 15 mars, « l'équipe a été sollicitée par plusieurs gouvernements européens pour établir différents scénarios de progression de l’épidémie. »
« Il existe des incertitudes quant aux hypothèses retenues et au comportement du virus – pourcentage d’asymptomatiques, transmissibilité, impact des mesures de quarantaine – mais, « même en divisant par deux, trois ou quatre, c’est une situation très sérieuse », insiste Simon Cauchemez, l’épidémiologiste de l’Institut Pasteur qui a présenté ces modélisations. « S’il y a une situation où je serais heureux que les modèles se trompent, c’est celle-là », ajoute le scientifique, en insistant sur le fait que les observations de terrain coïncident avec les prédictions du modèle et ont tout autant concouru au processus de décision. »Pour une information complète et correcte, se référer au rapport.
Introduction
Le paramètre clé d’un modèle épidémiologique est le taux de reproduction noté R0. Il indique le nombre moyen d’individus contaminé par une personne infectée[1]. Le virus SARS-Cov-2 est récent. Il peut évoluer et beaucoup reste à comprendre quant à sa transmission.Pour construire le modèle, les chercheurs ont du faire de nombreuses hypothèses sur le modèle de transmission, la progression de la maladie et la demande de soins, elles sont issues des données chinoises et italiennes.
Estimations actuelles de la gravité des cas par tranche d’âge. |
L’étude se concentre sur la faisabilité de différentes politiques en ciblant particulièrement la capacité de charge des unités de soins intensifs hospitaliers ; le principal enjeu final est le nombre de morts. Le dossier étudie l’impact de mesures non pharmaceutiques (MNP) c’est-à-dire qui ne relèvent pas de la médecine. Les résultats des politiques peuvent varier grandement en fonction des pays et des communautés.
Les impacts éthiques et économiques des mesures ne sont pas étudiés, ils peuvent eux-mêmes influencer, par rétroaction, la santé à court et moyen terme.
Mesures étudiées :
- Isolement des cas à la maison : un cas symptomatique reste chez lui pendant 7 jours;
- Quarantaine volontaire à la maison : Tous les membres de la famille d’un cas symptomatique restent à la maison pour 14 jours;
- Distanciation sociale des personnes plus de 70 ans : elles réduisent leurs contacts sociaux de 75 %;
- Distanciation sociale de toute la population : réduction des contacts sociaux de 75 % pour tout le monde;
- Fermeture des écoles et des universités.
Quatre scénarios :
- Ne rien faire
- Atténuer : l’objectif est de freiner l’augmentation du R0 puis de le diminuer sans toutefois réussir à ce qu’il passe sous la barre de 1 ; ici on ne stoppe pas la transmission, mais on réduit l’impact sanitaire et l’on développe l’immunité de la population dans le temps pour finalement avoir une baisse du nombre de cas et une transmission faible ;
- Supprimer : l’objectif est de diminuer le R0 pour qu’il passe sous la barre de 1, il s’agit de supprimer au maximum la transmission entre personnes et donc d’avoir au final un nombre de cas très bas ;
- Adapter : c’est-à-dire faire varier les mesures en vigueur au cours du temps en fonction de l’évolution du nombre de nouveaux contaminés quotidiens pour que les capacités hospitalières ne soient pas dépassées.
Résultats :
Scénario « Ne rien faire » :
Pour un R0 de 2,4, 80 % de la population est finalement infecté, le pic de mortalité (nombre de morts par jour) est atteint au bout de trois mois d’épidémie approximativement et environ 500 000 personnes meurent en Grande-Bretagne. La capacité en soins intensifs est dépassée dès la deuxième semaine d’avril et le pic de demande en soins intensifs dépasse de plus de 30 fois les capacités.Scénario « Ne rien faire ». Nombre de morts par jour pour 100 000 personnes (RU = Grande-Bretagne) |
Scénario d’atténuation :
L’objectif ici, est d’aplatir les courbes d’infection, d’hospitalisations et de mortalité, si il est atteint cela signifie également que l’épidémie dure plus longtemps qu’en ne faisant rien. Les MNP mises en place durent trois mois et sont déclenchées par un dépassement du nombre de cas critiques (entre 100 et 3000 suivant les hypothèses). Dans ce scénario toutes les MNP sont considérées à l’exception de la distanciation sociale pour toute la population.La combinaison la plus efficace de MNP est : l’isolement des cas + les quarantaines à la maison + la distanciation sociale des plus de 70 ans.
Dans ce cas, par rapport au scénario « ne rien faire », le pic de demande en soins intensifs est réduit de deux tiers et la mortalité de moitié (environ 250 000 morts). Le pic de demande en soins intensifs dépasserait tout de même de 8 fois les capacités.
Scénarios de stratégie d’atténuation pour la Grande-Bretagne montrant les besoins en lits de soins intensifs. |
- la ligne noire montre le scénario « ne rien faire » ;
- la ligne verte montre une stratégie d’atténuation où il y a seulement fermeture des écoles et des universités ;
- la ligne orange indique le résultat pour l’isolement des cas ;
- la ligne jaune indique le résultat pour l’isolement des cas et la mise en quarantaine des ménages ;
- la ligne bleue indique l’isolement des cas plus la quarantaine à domicile plus la distanciation sociale des personnes âgées de plus de 70 ans ;
- la ligne rouge est la capacité en lits de soins intensifs ;
- La zone grisée indique la période de 3 mois pendant laquelle ces mesures sont supposées rester en place.
Scénario de suppression :
Les MNP sont mis en place pendant 5 mois, deux stratégies ont été évaluées :- Isolement des cas + Quarantaine à la maison + distanciation sociale pour toute la population;
- Isolement des cas + Fermeture des écoles et des universités + distanciation sociale pour toute la population.
Une fois que les politiques s’interrompent, l’épidémie se redéveloppe. Plus la stratégie de suppression est temporairement efficace plus l’épidémie est importante plus tard à cause d'une moindre immunité collective et en l’absence de vaccin.
Scénarios de stratégie de suppression pour la Grande-Bretagne montrant les besoins en lits des unités de soins intensifs. |
- la ligne noire montre le scénario « ne rien faire » ;
- la ligne verte présente une stratégie de suppression comprenant la fermeture d’écoles et d’universités, l’isolement des cas et la distanciation sociale à l’échelle de la population à partir de la fin mars 2020 ;
- la ligne orange indique une stratégie de confinement intégrant l’isolement des cas, la mise en quarantaine des ménages et la distanciation sociale pour toute la population ;
- la ligne rouge correspond à la capacité en lits de soins intensifs estimée en Grande-Bretagne ;
- la zone grisée indique la période de mois pendant laquelle ces mesures sont supposées rester en place ;
- (B) montre les mêmes données que dans le panel (A) zoomé sur les niveaux inférieurs du graphique.
Scénario d’adaptation :
Les politiques de suppression doivent être maintenues de nombreux mois jusqu’à l’apparition d’un vaccin. Le groupe de chercheurs a donc examiné une politique adaptative où les mesures de distanciation sociale et/ou de fermeture des écoles sont déclenchées en fonction d’un seuil défini d’incidence hebdomadaire de cas confirmés chez les patients en soins intensifs et sont arrêtées quand ce nombre de cas rebaisse sous un autre seuil, l’isolement des cas et la quarantaine des familles restant en place tout le temps.Une telle politique est robuste aux incertitudes liées au taux de reproduction R0 et à la sévérité du virus.
Le nombre de morts et la proportion du temps où ces mesures sont mises en place varient en fonction du R0 choisi, du seuil de cas en soins intensifs déclencheurs des mesures et du type de mesures mises en place. Le nombre de morts oscille suivant les hypothèses de 5 600 à 120 000. La proportion du temps où ces mesures sont misent en place varie de 56 % à 96 %.
Discussion
Qu’il s’agisse de suppression ou d’atténuation, la superposition de plusieurs mesures est nécessaire. La suppression nécessite des mesures bien plus perturbatrices, les choix dépendent de ce qu’il est possible de faire et de l’efficacité des mesures en fonction des contextes sociaux.La Chine en hospitalisant d’office tous les malades (même les cas non graves) a implémenté une forme de politique d’isolement des cas, couplée à une distanciation sociale de toute la population, plusieurs études considèrent que les Chinois ont fait passé le taux de reproduction R0 sous 1. Les mesures commencent à y être assouplies. Dans les semaines à venir, il faut suivre ce qui se passe en Chine pour adapter les stratégies dans les autres pays.
La distanciation sociale totale couplée à l’isolement des cas et à la fermeture des écoles a le potentiel de diminuer la transmission pour que le nombre de cas diminue. Pour éviter un rebond, ces politiques doivent être maintenues pendant au moins 18 mois. Une politique d’adaptation où les mesures sont déclenchées en fonction d’un certain seuil de cas en soins intensifs offre une plus grande robustesse à l’incertitude que les mesures à durée fixe et peut être réalisée régionalement pour plus d’efficacité. Lors d'une politique d'adaptation, la distanciation sociale devra être en place pour au moins 2/3 du temps jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible. Cependant il y a tant d’incertitudes qu’il est difficile d’être définitif sur la durée des mesures, elles devront tout de même être de plusieurs mois.
Une fois que le nombre de cas diminue, il devient possible d’adopter un dépistage intensif, une traçabilité des contacts et donc des mesures de quarantaine comme réalisé en Corée du Sud. Les applications mobiles qui suivent les interactions individuelles pourraient permettre qu’une telle politique soit efficace et extensible si les inquiétudes concernant la vie privée peuvent être dépassées. Cependant si l’ensemble des mesures de suppression n’est pas maintenu, la transmission pourrait rebondir à une échelle comparable à celle d’un scénario « ne rien faire ».
Une politique de suppression de long terme pourrait ne pas être une option faisable dans beaucoup de pays. Les résultats montrent qu’une politique d’atténuation de trois mois pourrait réduire le nombre de morts de moitié. La combinaison d’isolement des cas, de quarantaine familiale et de distanciation sociale de ceux qui ont un risque plus important d’issue grave (personnes âgées et personnes avec comorbidité[4]) est la politique la plus efficace en terme d’atténuation.
La fermeture des écoles est plus efficace pour soutenir une politique de suppression qu’une politique d’atténuation.
Pour l’atténuation les mesures doivent se situer dans une fenêtre de trois mois autour du pic de l’épidémie. Pour la suppression, une action précoce est nécessaire, il y a un décalage de 2 à 3 semaines entre le début des mesures et leur impact sur le nombre de cas hospitalisés. Dans le contexte britannique, cela veut dire que les mesures doivent être en place avant que le nombre d’admissions en soins intensifs dépasse 200.
La conclusion la plus importante est peut-être que l’atténuation ne sera probablement pas possible sans un dépassement des capacités de soins intensifs du système de santé britannique de manière importante. Dans la stratégie d’atténuation la plus efficace examinée, qui conduit à une seule épidémie relativement courte (isolement des cas, mise en quarantaine des familles et distanciation sociale des personnes âgées), les capacités en lits des unités de soins intensifs seraient dépassées d’un facteur huit dans le cadre du scénario le plus optimiste que nous avons examiné. En outre, même si tous les patients pouvaient être traités, nous prévoyons qu’il y aurait encore environ 250 000 décès en Grande-Bretagne.
En conclusion, la politique de suppression de l’épidémie est la seule stratégie viable à l’heure actuelle. Les effets sociaux et économiques des mesures nécessaires pour atteindre cet objectif politique seront profonds. De nombreux pays ont déjà adopté de telles mesures, mais même les pays qui en sont à un stade plus précoce de leur épidémie (comme le Royaume-Uni) devront le faire de manière imminente.
L'analyse permet d’évaluer à la fois la nature des mesures nécessaires pour supprimer le COVID-19 et la durée probable de leur mise en place. Les résultats de ce document ont éclairé l’élaboration des politiques au Royaume-Uni et dans d’autres pays au cours des dernières semaines.
Cependant, il n’est pas du tout certain que la suppression réussira à long terme ; aucune mesure de santé publique avec de tels effets perturbateurs sur la société n’a déjà été tentée pendant une période aussi longue. La manière dont les populations et les sociétés vont réagir reste incertaine.
Notes :
1. Wikipedia : Le R0 est nécessairement basé sur des simplifications et il dépend de très nombreux facteurs, en partie imprédictibles (ex : conjonction d’un tremblement de terre, d’un évènement météorologique, socioéconomique ou d’une crise politique ou d’une guerre dans un contexte d’épidémie).Le choix des modèles (et des paramètres qu’on y entre) influe sur les résultats. Ainsi, en un mois (entre le 1er janvier 2020 et le 7 février 2020), 12 équipes scientifiques ont cherché à calculer le R0 de la COVID-19, en utilisant différentes modèles et données. Leurs résultats s’étalaient entre 1,5 et 6,68. Selon Bauch & al. (2020) un tel manque de concordance est normal et peut avoir 3 raisons :
- Les variables considérées diffèrent ;
- Les méthodes de modélisation diffèrent ;
- Les procédures d’estimation diffèrent.
2. Mortalité vs. létalité : le taux de mortalité se définit par rapport à une population totale alors que le taux de létalité s’établit par rapport aux nombres de personnes infectées.
3. Dans une étude du Centre de contrôle des maladies chinois basée sur plus de 70 000 personnes les taux de létalité chez les personnes âgées sont plus élevés : Table 1
The Novel Coronavirus Pneumonia Emergency Response Epidemiology Team. The Epidemiological Characteristics of an Outbreak of 2019 Novel Coronavirus Diseases (COVID-19) — China, 2020[J]. China CDC Weekly, 2020, 2(8): 113-122.
4. maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires chroniques, hypertension, diabète, The Novel Coronavirus Pneumonia Emergency Response Epidemiology Team (2020).
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