Baisse des émissions de gaz à effet de serre vs activité économique, l'exemple de la pandémie

[rédigé mi-octobre, ce post est plutôt une longue litanie des méfaits des décisions prises pour lutter contre la pandémie et n’est pas à jour des effets de la deuxième vague]

Lutter efficacement contre le réchauffement climatique est une chimère ou alors il faudrait faire le deuil de notre monde, deuil littéral de milliards d’habitants, deuil économique de niveau de vie et donc de façon de vivre.

Baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2020

Selon un rapport du programme des Nations-Unis pour l’environnement publié le 26 novembre 2019 (page 10), le monde devrait chaque année réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’environ 7 % pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C (réduction de 3 % pour limiter la hausse à 2 °C).

Dans un article publié le 14 octobre dernier dans Nature Communication, une équipe de scientifique du climat évalue la baisse mondiale des émissions de CO2 pour le premier semestre 2020 à 8,8 % (par rapport au premier semestre 2019), baisse du aux mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

Émissions quotidiennes mondiales de CO2 2019-2020 (Liu et al. 2020)

Pendant les six premiers mois de l’année, le monde a donc fait beaucoup pour réduire les émissions de CO2. Une efficacité fortuite, par inadvertance, puisqu’il s’agissait de lutter contre la pandémie de covid-19. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 il faudrait chaque année, répéter cette baisse des émissions d’environ 7 %, c’est-à-dire appliquer l’équivalent économique des mesures prises pendant le premier semestre 2020, mais ce, en repartant du niveau atteint après la réduction annuelle. Je répète : refaire à peu près le même effort (on parle en pourcentage et non en valeur absolue) chaque année en repartant du seuil atteint l’année précédente.

Vous pourriez ne pas être d’accord avec ces chiffres, mais on resterait dans le même ordre de grandeur ; Jean-Marc Jancovici parle d’une réduction nécessaire des émissions de 4 %.

[Vidéo ajoutée le 10 janv. 2021]

Depuis, l’activité économique a repris certes de manière très inégale et hormis la Chine et la France les émissions de CO2 sont toujours plus faibles chaque mois…

[la deuxième vague de la covid-19 va probablement pérenniser cette baisse des émissions pour l’année 2020, faisons le point dans quelques mois]
Émissions quotidiennes de CO2, Chine, 2019-2020. (Liu et al. 2020)
Les effets de la pandémie COVID-19 sur les émissions quotidiennes de CO2 sont reflétés par les différences ombrées entre le 1er janvier et le 30 juin 2019 et 2020.

Émissions quotidiennes de CO2, France, 2019-2020. (Liu et al. 2020)
Les effets de la pandémie COVID-19 sur les émissions quotidiennes de CO2 sont reflétés par les différences ombrées entre le 1er janvier et le 30 juin 2019 et 2020.

Moins de Gaz à effet de serre c’est moins de richesse

Baisser les émissions de GES, c’est diminuer la production de richesse (Produit Intérieur Brut) d’autant (moins l’efficacité énergétique ~1 %). C’est donc moins de production, moins de biens, moins de services, moins de revenus, plus de chômage, des fermetures d’entreprises, des faillites et plus de pauvreté. Dit autrement c’est moins de confort, moins de « puissance » pour chacun.

Qui est prêt à perdre 2 à 4 % de son revenu, et ceci à répétition chaque année ? Personne de manière volontaire, à part peut-être quelques saints… ( -2 % annuellement et au bout de 10 ans il reste 81 %, au bout de 20 ans il reste 67 % ; -3 % : 73 % et 54 % respectivement)

Lutte contre la Covid-19 égal récession économique - des chiffres

Si vous n’avez pas vécu personnellement le ralentissement économique, voici des chiffres :

[la deuxième vague de la covid-19 va probablement pérenniser cette récession/dépression pour l’année 2020, faisons le point dans quelques mois]

PIB

Au deuxième trimestre 2020 voici les baisses du PIB (par rapport à l’activité du premier trimestre) : Inde 23,9 %, Royaume-Uni 20,4 %, Espagne 18,5 %, France 13,8 %, Italie 12,8 %, Zone Euro 12,1 %, Allemagne 9,7 %, Brésil 9,7 %, États-Unis 9,5 %, Russie 8,5 %, Japon 7,8 %, Australie 7 %.

« Le PIB du deuxième trimestre 2020 se situe, suivant les pays, entre 81 % et 90 % de son niveau d’avant la crise. En guise de comparaison, le PIB à la fin de la crise financière de 2007-2008 se situait à 96 % de son niveau pré-crise. » Olivier Blanchard, 23 sept 2020

Chômage

L’organisation internationale du travail (OIT) annonce des pertes d’heures de travail estimées à près de 400 millions d’emplois à temps plein au deuxième trimestre 2020 (OIT, page 5).

En Amérique latine, le nombre de personnes au chômage est passé de 26 millions avant la pandémie à 41 millions.(OIT). Selon la Banque inter-américaine de développement (BID), l’augmentation du chômage pour l’Amérique latine est plutôt de l’ordre de 24 millions.

Au sein de l’Union européenne, la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont de nouveau connu une forte augmentation du chômage des jeunes depuis le début de la pandémie. La Grèce a connu une hausse de 31,7 % en mars à 39,3 % en juin, tandis que l’Espagne et le Portugal ont connu des augmentations similaires, passant respectivement de 33,9 % à 41,7 % et de 20,6 % à 27,4 % (Vice).

« Pour les États-Unis, le chômage a explosé, le taux de chômage passant de 4,4 % en mars à 14,7 % en avril. En ce qui concerne les chiffres plutôt que les pourcentages, le nombre de travailleurs sans emploi est passé de 7 millions en mars à 23 millions en avril » Olivier Blanchard, 23 sept 2020.

Faillites

En France le nombre de faillites d’entreprises est moindre qu’en 2020 pour deux raisons :

« l’État a pourvu les entreprises d'une forme d'immunité juridique en gelant les situations de cessation de paiement. Ce mécanisme a rendu impossible la convocation des patrons en banqueroute devant un tribunal de commerce.

L'autre explication est à rechercher du côté des aides du gouvernement, comme les prêts bancaires garantis par l’État (PGE), le chômage partiel ou les exonérations de charges. Mis bout à bout, ces dispositifs ont placé l'économie dans une sorte de coma artificiel. Au point d'épargner même les entreprises mal en point en dépit de la crise liée à l'épidémie de Covid-19. (…) [Cependant], l'immunité juridique donnée aux entreprises, au début du confinement, est arrivée à son terme le 7 octobre. » Francetv Info

En juin l’Observatoire français des conjonctures économiques prévoyait une hausse de 80 % des défaillances d’entreprises d’ici 2021.

« 30 à 35% de nos entreprises seront rayées de la carte d'ici la fin de l'année estime le représentant de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Francetv Info).

Quelques articles sur les faillites :

Les municipalités ne sont pas en reste :

« Une ville sur dix en Italie est au bord de la banqueroute. Aux États-Unis, plusieurs municipalités, déjà en mauvaise santé avant la crise sanitaire, viennent de déposer le bilan. En France, la facture s'avère également salée pour les communes. Partout à travers le monde, les villes, qui ont été en première ligne face au Covid-19, sortent très fragilisées par la pandémie. Or, si les communes s'écroulent, l'onde de choc social et économique sera retentissante dans tout le pays. » Novethic, 15 juin 2020

« C'est une des plus grandes villes au monde et elle traverse une crise financière historique. New York, lourdement impactée par le Covid-19, peine à se relever. Alors qu'une “avalanche” de faillites touche les entreprises, 22 000 fonctionnaires pourraient être licenciés si l'État fédéral n'enclenche pas une aide. Éducation, transport, santé … tous les secteurs sont impactés. » Novethic, 30 sept 2020

Licenciements

En France, « Sur les deuxième et troisième trimestres (d’avril à septembre), la Dares dénombre ainsi 411 plans de sauvegarde de l’emploi contre 230 en 2019 sur la même période » (Francetv Info). Vous remarquerez au passage la novlangue pour évoquer les licenciements : plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « Du 1er mars au 27 septembre 2020, le nombre de suppressions de postes envisagées lors de PSE est de 65 000. Soit plus de trois fois plus que sur la même période en 2019. » (Francetv Info)

Voici une liste non-exhaustive d'entreprises qui ont lancé ou annoncé un plan social dû à la crise du Covid-19, et le nombre d'emplois concernés :

  • Aéronautique : Airbus : 15 000 postes, dont 5 000 en France, Air France : 7 580 postes, Daher : 1 300 postes, Aéroports de Paris : 700 postes, Figeac Aero : 320 postes, Assistance Aéronautique et Aérospatiale : 719 postes, Latécoère : 475 postes

  • Automobile : Renault : 15 000 postes, dont 4 600 en France, Valeo : 12 000 postes, dont 2 000 en France (un accord serait signé moyennant gel des salaires qui permettrait d’éviter le plan social), Bridgestone : 863 postes en France

  • Autres secteurs : Elior : 1 888 postes, Nokia : 1 200 postes, NextRadioTV (BFMTV et, Auchan Retail France : 1 475 postes, TUI France (voyagiste) : 317 postes, Booking.com : plusieurs milliers de postes en France, La Halle : 2 500 postes, Alinea : 1 000 postes, Camaïeu : 400 postes Euronews, 3 oct. 2020

Valérie Boned, secrétaire générale des entreprises du voyage : « On est sur une perspective de 30 % de licenciements. »

Pauvreté

« 1,2 million de personnes supplémentaires ont été aidées par le Secours populaire de mi-mars à fin août, soit une augmentation de 50 % par rapport aux années précédentes. Au total, ce sont plus de 5 millions de Français, selon une estimation du ministre de la Santé, Olivier Véran, qui ont désormais recours à l’aide alimentaire. » France 24, 10 oct 2020

« Globalement les statisticiens estiment qu’un million de français sont passé sous le seuil de pauvreté monétaire (1063 euros par mois et par unité de consommation) et s’ajoutent aux 9,8 millions existants, 14,8% des ménages (chiffres de 2018). » Olivier Galland, 7 oct 2020

« Trussell Trust, un organisme de bienfaisance qui œuvre pour mettre fin au besoin de banques alimentaires au Royaume-Uni, prédit qu’au moins 670 000 personnes supplémentaires deviendront démunies au cours des trois derniers mois de l’année. Ce niveau de pauvreté les rend incapables de subvenir aux besoins de base en nourriture, en abri ou en vêtements – si le gouvernement retire le soutien financier aux ménages à faible revenu.

Au total , plus de 100 000 personnes ont utilisé les banques alimentaires pour la première fois entre avril et juin. Trussell Trust a déclaré que la fin du congé payé en octobre déclencherait une augmentation de l’utilisation des banques alimentaires d’au moins 61%, soit l’équivalent d’un an de bons alimentaires – augmentation annuelle de 300 000 colis. » Issues, sept 2020

Un rapport de la Banque mondiale du 7 octobre estime qu’entre 88 et 115 millions de personnes seront poussés sous le seuil d’extrême pauvreté (1,9 dollar par jour!) à cause du Covid-19 alors que les années précédentes ce nombre baissait. (Banque Mondiale, p. 35, 2020)

Pauvres supplémentaires sous le seuil de pauvreté de 1,90 dollar par jour en 2020, selon le scénario de base et le scénario de dégradation (Banque mondiale, p.35, 2020)

Famines

Le Programme alimentaire mondial et l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation identifient 27 pays menacés de famine soit 138 millions de personnes. UN News, 17 juillet 2020

Contraints et forcés

Vous l’avez compris, je pourrai multiplier les chiffres et les statistiques ; la situation est alarmante et c’est peu dire. Évidemment, des mesures d’atténuation du climat ne seraient peut-être pas aussi ponctuellement dramatiques puisqu’il ne s’agirait de diminuer le PIB que de 2 à 4 %, mais comme cette baisse devrait se renouveler chaque année les conséquences seraient finalement bien pires.

La taille du gâteau diminuant, on pourrait décider de le répartir plus équitablement soit de manière autoritaire soit plus ou moins démocratiquement. Néanmoins, cela ne changerait pas le fait que la décroissance est synonyme de baisse de niveau de vie radicale. Ainsi, je ne vois pas comment des décideurs politiques pourraient entreprendre de véritables politiques d’atténuation du changement climatique au vu de l’ampleur de la pauvreté nécessaire. Par ailleurs, « la volonté de puissance » fait partie des caractéristiques de l’espèce humaine tant au niveau individuel que des groupes humains ; ainsi le premier pays à décider d’une décroissance volontaire le ferait au profit de ses concurrents.

Donc notre évolution suivra son cours plus ou moins comme avant, malgré quelques envolées lyriques, malgré quelques localismes réussis, malgré quelques décisions prises. Probablement, ce qui nous fera véritablement décroître, ce sera la contrainte, le fait accompli, les limites de ressources, les déchets qui nous envahissent. Ce sera -exemple parmi de nombreux possibles- une production céréalière mondiale en baisse de 30 % quelques années de suite du fait de sécheresses records et prolongées.

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