Violences policières : deux hauts fonctionnaires disent leurs vérités

Maintien de l’ordre : du terrain au politique

« On enfonce le coin de la démocratie et de la liberté d’expression. » Laurent Bigot

Présentation par Régis Portalez, polytechnicien et gilets jaunes :

« Le 2 octobre, une conférence intitulée “Maintien de l’ordre : du terrain au politique” était organisée à l’initiative de X-Alternative, une association de polytechniciens formée à la suite des gilets jaunes. Elle a pu avoir lieu grâce à un partenariat avec le Dissident Bar, lieu d’expression des dissidents de tous pays, et avec Le Média TV, qui l’a filmée. Et la restitue ici. Deux intervenants étaient à l’honneur : Laurent Bigot, ancien sous-préfet et Bertrand Cavallier, général de gendarmerie ayant quitté le service actif, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier.

La conférence s’est ouverte sur une citation : « Je pardonne à celui qui a tiré, que celui-ci l’ait fait accidentellement ou intentionnellement, mais je ne peux pas pardonner à ceux qui ont donné les ordres ». Une phrase prononcée par un mutilé dans le film « Un pays qui se tient sage », de David Dufresne. Elle montre un homme qui a toutes les raisons d’en vouloir aux policiers, et qui au final n’en veut qu’à la hiérarchie.

Comment se mettent en place les ordres, justement ? En polarisant le débat, sous l'influence du pouvoir, sur la question des bavures, on prend le risque de commettre une erreur : exempter les politiques pour ne charger que les fonctionnaires sur le terrain.

Ce serait une double faute. On laisserait filer les coupables, et ces coupables ont des noms : Castaner, Nunez, Lallement, et au-delà Valls ou Sarkozy. Par ailleurs on continuerait d'enfermer la police dans un syndrome obsidional.

Ceci n'aurait pour effet que de contribuer à la cantonner à un rôle de force au service d’institutions délégitimées. On céderait ainsi à la thèse des « deux camps » du préfet Lallement. En posant la question de la hiérarchie politique et des relations de commandement, on questionne au contraire un système.

Ceci n’exonère pas les policiers de toute responsabilité individuelle mais désigne un responsable “structurel” : celui qui laisse pourrir les commissariats tout en envoyant castagner du manifestant. Manifestant qui, d’ailleurs, manifestent à cause de la politique de ce même responsable.

Nos invités étaient donc appelés à nous expliquer ces rapports de force entre commandement, syndicats, ministères, préfecture, qu’on ne voit pas souvent et qui se gardent bien de se montrer au grand jour.

Cela s'articule aussi avec la nature de X-Alternative, une association de diplômés souvent au cœur d’une autre machine ultra violente : l'économie. De même que le manifestant ne voit pas Castaner mais seulement le CRS en face de lui (et inversement), l'ouvrier viré ne voit que le patron de site, et pas le milliardaire qui, en bout de chaîne actionnariale, fait pression sur toute la chaîne managériale pour augmenter les dividendes.

Explorer ces chaînes de pouvoir, c'est rendre au peuple les moyens de compréhension des choses qui l'oppressent. »

Introduction des intervenants :

Laurent Bigot, ancien sous-préfet directeur de cabinet de préfet délégué à la sécurité et gilets jaunes:

« En tant que manifestant j'ai vécu une violence inouïe, une très nette différence de comportement entre la police et la gendarmerie qui elle est beaucoup plus professionnelle. Les policers ne sont plus dans une mission professionnelle mais en font une affaire personnelle, le symbole étant le tutoiement alors que dans le code de déontologie de la police celui-ci est interdit. Les policiers considèrent les manifestants comme des ennemis. Ma fille et moi avons subi des blessures (trait de fracture, balle de LBD dans le bras, bille de grenade de désencerclement sous l’œil, matraquage du cuir chevelu). Nous sommes des manifestants, pas des casseurs, nous ne constitutions pas un danger pour les forces de l'ordre. Nous sommes arrivés dans l'arbitraire où des gens décident de châtier alors que le boulot des force de l'ordre est de faire cesser une infraction ou d'interpeller des gens qui commettent des infractions, c'est à la justice de sanctionner. On enfonce le coin de la démocratie et de la liberté d'expression. Les images du saccage de l’Arc de triomphe tournent en boucle dans les médias, mais ne tournent pas en boucle les images de mutilés à vie. Cela donne une idée de la hiérarchie des valeurs de la société médiatique en France. »

Bertrand Cavallier, général de gendarmerie ayant quitté le service actif, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier:

« Le maintien de l'ordre permet en cas de crise de pouvoir faciliter le retour à une situation normale pour privilégier une solution politique. Quand il y a un usage excessif de la force vous compromettez ce retour à la normal vous suscitez un esprit de revanche. Il doit, à la fois, permettre l'expression des libertés fondamentales et permettre de gérer ces montées de violence qui font partie de la vie de toute société. Le gendarme a pour fonction d'absorber la violence et d'utiliser la force strictement nécessaire. (…) Le système économique est violent, totalement financiarisé, trouve ses limites, et oublie l'homme.

Trois principes du maintien de l’ordre :

  •  utiliser des unités spécialisées [pas de brigade anti criminalité (BAC)]
  •  emploi gradué de la force 
  • maintien à distance, éviter la confrontation [pas de nasse] »

« Un pays qui se tient sage » documentaire de David Dufresne :

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