De la crise financière à la stagnation: entretien avec Thomas Palley réalisé par Philip Pilkington et publié le 18 Avril 2012 par Yves Smith
Philip Pilkington: Au début de votre livre "De la crise financière à la stagnation" vous vous référez à la crise de 2008 comme une "crise de mauvaises idées". Pourriez-vous s'il vous plaît expliquer brièvement pourquoi vous vous référez à la crise de cette façon?
Thomas Palley: Un élément central et essentiel de mon livre est l'accent mis sur le rôle des idées économiques dans la génération de la crise. Cette caractéristique la distingue fondamentalement des explications traditionnelles qui tendent à représenter la crise en termes d'événements imprévus et de chocs économiques (par exemple, les cygnes noirs).
Mon livre commence avec l'idée fondamentale que les économies sont construites, et non pas naturelles. La façon dont les économies sont organisées et fonctionnent est de manière significative le résultat de choix sociaux, et non le produit de la nature. Au cours des trente dernières années, nous (la société) avons adopté un ensemble d'idées économiques qui ont façonné les modalités économiques - y compris le modèle de répartition des revenus, le pouvoir des entreprises et de la finance par rapport à la main-d'œuvre, et la façon dont l'économie génère la demande.
Cette mise en forme des modalités économiques a manifestement était déterminé par les forces politiques qui agissent au nom des intérêts des élites patronales et financières, mais les idées économiques ont également joué un rôle crucial. Tout d'abord, les idées des économistes conventionnels ont fournis une justification pour le reformatage de l'économie suivant les intérêts de l'élite. Deuxièmement, les économistes classiques ont mis en avant des idées supplémentaires qui ont été récupérées et incorporées dans le projet politique des élites patronales et financières. Troisièmement, la capture monopolistique du discours économique par la science économique dominante a servi à exclure d'autres idées économiques concurrentes, les empêcher d'apparaître à la table de la politique, dans les salles de cours, et dans le débat public.
L'implication de ce point de vue c'est que, la crise est profondément le produit d'un paradigme de politique économique erroné provenant d'un ensemble d'idées économiques erronées. Échapper à la crise passe par le remplacement de ce paradigme et des idées dont il dérive. C'est un énorme défi impliquant à la fois un concours politique et un concours intellectuel. Nous devons gagner les deux. L'un sans l'autre sera inutile. Cela ne sert à rien de gagner la bataille politique si vous remplacez simplement "Bonnet Blanc" (Les néolibéraux purs et durs) avec "Blanc Bonnet" (Les néolibéraux plus souples). De même, cela ne sert à rien [It is not good] de gagner la bataille intellectuelle si vous ne gagnez pas la bataille politique pour mettre en œuvre des idées différentes quant à la politique économique.
PP: Dans le livre vous distinguez deux sortes d'approches alternatives de la crise. L'une que vous appelez le «keynésianisme des manuels d'économie» et l'autre que vous appelez le «keynésianisme structurel». Pourriez-vous délimiter brièvement les différences entre les deux approches? Aussi, faut-il comprendre que les deux approches se chevauchent avec différentes écoles de pensée économique?
TP: le «keynésianisme des manuels d'économie» et le «keynésianisme structurel» soulignent tous deux l'importance de la demande totale (agrégée) pour la détermination de l'activité économique. C'est ce qu'elles ont en commun.
Cependant, le «keynésianisme des manuels d'économie» voit la structure microéconomique de l'économie comme intrinsèquement en bonne santé. Si la demande diminue, tout ce qui est nécessaire, c'est que le politique intervienne et comble temporairement le déficit de demande jusqu'à ce que la demande du secteur privé reprenne vie. C'est la logique derrière la relance budgétaire temporaire et la politique monétaire accommodante temporaire.
le keynésianisme structurel soutient que ce processus générateur de la demande et des revenus sous-jacents de l'économie peut être structurellement défectueux. Par exemple, la répartition des revenus peut devenir trop fortement asymétrique, créant un déficit permanent de la demande. Dans ce cas, la demande du secteur privé ne sera pas réanimée; et la solution est une refonte structurelle du processus de génération des revenus et de la demande.
le «keynésianisme des manuels d'économie» peut être identifié avec le néo-keynésianisme (ce que Joan Robinson appelait moins poliment le keynésianisme salopard). Il identifie le principal problème macroéconomique comme étant celui de la rigidité des prix et des salaires. Progressivement, cette façon de penser s'est transformé en ce soi-disant Nouveau keynésianisme, ce qui signifie que le «keynésianisme des manuels d'économie» et le Nouveau keynésianisme se chevauchent. Cependant, nous devons nous rendre compte que ce Nouveau keynésianisme a peu de rapport avec la logique originelle de Keynes, c'est plus une théorie des imperfections du marché dans l'esprit d'Arthur Pigou, le grand rival de Keynes.
Le keynésianisme structurel rejoint le travail de Michael Kalecki qui lui-même relie les idées de Keynes sur la demande globale avec les idées de Marx sur la lutte des classes et la répartition des revenus. Cela signifie que le keynésianisme structurel recoupe l'analyse sociologique et économique marxiste. Cependant, le marxisme classique considère les économies capitalistes comme destinées à la crise à cause de la baisse du taux de profit. Le keynésianisme structurel ne voit pas les choses ainsi.
PP: Dans le livre que vous traitez les diverses théories dominantes de l'effondrement récent. Sans entrer dans trop de détails peut-être que vous pourriez dire quelque chose sur les explications dominantes de la crise?
TP: En principe, il y a deux alternatives se concurrençant dans les explications majoritaires sur la crise. La première est la perspective néolibérale dure, qui peut être désigné comme l'«hypothèse de l'échec de l'Etat". Aux États-Unis, elle est identifiée avec le Parti républicain et avec les départements d'économie des universités de Stanford, de Chicago et du Minnesota. La seconde est la perspective néolibérale "douce", que l'on peut appelé l'«hypothèse de l'échec du marché". Aux États-Unis, elle est identifié avec l'administration Obama et avec la moitié du Parti démocrate. En Europe, elle est identifié avec la troisième voie [???]. Parmi les départements d'économie, qui s'y rattachent il y a Harvard, Yale et Princeton.
L'«hypothèse de l'échec de l'Etat" soutient que la crise est enracinée dans la bulle immobilière américaine et son effondrement. Cette bulle est due à des défaillances de la politique monétaire et à l'intervention du gouvernement fédéral dans le marché immobilier. En ce qui concerne la politique monétaire, la Réserve fédérale a poussé les taux trop bas pendant trop longtemps dans la récession avant d'intérêt. En ce qui concerne le marché immobilier, l'intervention du gouvernement par l'intermédiaire de la loi sur le réinvestissement communautaire [Community Reinvestment Act] et de Fannie Mae et Freddie Mac, fit grimper les prix de l'immobilier et encouragea l'accession à la propriété au-delà des moyens financiers des ménages. La perspective néolibérale caractérise donc la crise comme un phénomène essentiellement américain.
L'hypothèse de la défaillance du marché soutient que la crise est due à la réglementation financière insuffisante. Tout d'abord, les organismes de réglementation ont permis une prise de risque excessive de la part les banques. Deuxièmement, les organismes de réglementation ont permis des structures perverses de rémunération incitatives au sein des banques qui ont encouragé les équipes dirigeantes dans du crédit agressif plutôt que dans du «sage crédit» [good lending]. Troisièmement, les régulateurs ont poussé la déréglementation et l'autorégulation trop loin. Ensemble, ces échecs ont contribué à une mauvaise allocation des fonds, y compris une mauvaise allocation de l'épargne étrangère fournie par le déficit commercial. L'hypothèse de la défaillance du marché est donc légèrement plus globale que l'hypothèse de l'échec gouvernemental, mais elle considère la crise comme un phénomène purement financier.
PP: Votre interprétation de la crise actuelle est un peu différente, n'est ce pas ? Pourriez-vous l'expliquer brièvement ?
TP: Oui, mon interprétation est différente, très différente. Je l'appelle la destruction de l'hypothèse de prospérité partagée. Ce point de vue n'est pas représenté dans les discussions économiques majoritaires, car il remet en question les fondements théoriques fondamentaux de la science économique dominante qui sont partagées par les écoles néolibérales de Chicago (les durs) et du MIT [Massachussets Institute of Technology] (les doux).
Mon argument est le suivant : vers 1980 les Etats-Unis adoptèrent un modèle économique fondamentalement erroné. De 1945 jusqu'au milieu des années 1970, l'économie américaine avait été caractérisé par un modèle keynésien de croissance de type "cercle vertueux" fondé sur le plein emploi et la croissance des salaires liée à la croissance de la productivité. Le triomphe politique de Ronald Reagan entérina un nouveau paradigme économique qui abandonna le plein emploi et rompu le lien entre les salaires et la croissance de la productivité.
Le nouveau paradigme était fondamentalement vicié. Son premier défaut c'était qu'il s'appuya sur la dette et l'inflation du prix des actifs au lieu des salaires pour alimenter la croissance. Le second défaut était que le modèle de la mondialisation créa une béance économique sous la forme d'une fuite des dépenses en importations (le déficit commercial), une fuite des dépenses d'investissement à l'étranger, et une fuite des emplois manufacturiers à l'étranger. Ces défauts jumeaux créèrent un écart croissant de la demande.
C'est là que la finance entre dans le processus : son rôle ayant été de combler le déficit de la demande. La déréglementation financière, la tolérance de la régulation, l'innovation financière, la folie financière et la fraude financière pure ont soutenu l'économie en rendant disponible de plus en plus de crédit, cependant, comme l'économie se cannibalisait elle-même en transformant la répartition des revenus et en accumulant de la dette, elle eu besoin de toujours plus de bulles spéculatives pour croître. La bulle des prix immobiliers fut tout simplement la dernière et la plus grande bulle et fut effectivement la seule façon de contourner la stagnation qui autrement se serait développée en 2001.
La bulle des prix immobiliers retarda le début de la stagnation mais cela eu un coût. Quand elle éclata, elle créa une crise financière en raison de l'ampleur des excès financiers. En outre, elle rendu plus difficile le fait d'échapper à la stagnation aujourd'hui à cause de l'ampleur de la charge de la dette et l'étendue de la destruction de la solvabilité.
PP: Votre interprétation semble faire beaucoup plus sens que les théories concurrentes, qui me paraissent réductionnistes. Pourquoi pensez-vous que vos collègues - surtout vos collègues gauchisants - ratent la vue d'ensemble?
TP: Merci, Philippe. C'est une très bonne et difficile question. Il est essentiel de comprendre pourquoi la crise a généré à ce jour si peu de changements dans l'économie et la politique économique.
Il existe de nombreux économistes classiques (orthodoxes) qui ont des valeurs progressistes, mais ils ratent la vue d'ensemble parce que leur théorie ne peut pas la recevoir. En outre, ils ne peuvent pas abandonner leur théorie pour une foule de raisons psychologiques et sociologiques. Au niveau psychologique, il s'agirait d'un aveu dévastateur du fait qu'ils ont eu tort; qu'ils ont enseigné beaucoup de bêtises à leurs étudiants depuis trente ans. Au niveau sociologique, cela signifierait renoncer aux attributs du pouvoir et de la rémunération qui vont avec leur monopole intellectuel actuel parce que les payeurs du système les remplaceraient alors rapidement avec d'autres.
Cela dit, de nombreux économistes traditionnels commencent à admettre que la répartition des revenus a joué un rôle dans la gestation de la crise (vous devez être volontairement aveugle pour ne pas le voir). Par conséquent, ils essaient d'intégrer la distribution des revenus dans leur récit. Cependant, ils le font sans changer leur théorie de base quant aux marchés efficients. Malheureusement, les journalistes et le grand public ne peuvent pas s'en rendre compte et sont pris dans cette tactique. L'un des apports du livre, c'est qu'il démasque ces faux-fuyants en montrant comment ces histoires ne tiennent pas debout et sont incompatibles avec les preuves dont nous disposons.
Enfin, cette discussion montre pourquoi il est très important que le grand public soit capable de distinguer entre les «valeurs» et les «analyses». Sinon, les gens risquent d'être dupé par une rhétorique de valeurs progressistes qui offre une couverture à des politiques qui sont en fait conservatrices.
PP: Dans le livre vous fournissez une description très claire de ce qui s'est réellement passé sur le marché financier en 2008. En la lisant, j'ai pensé que beaucoup de gens - moi y compris - n'ont jamais vraiment relier les morceaux du puzzle ensemble. Peut-être que vous pourriez résumer les événements clés brièvement?
TP: Les mécanismes de la crise du le système financier américain sont en fait assez simples et peuvent être compris comme un processus en six étapes. La première étape fut l'accumulation de prêts toxiques sur plusieurs années. La deuxième étape fut lorsque les prêts ont commencé à se dégrader avec l'éclatement de la bulle des prix des logements en 2007, causant des pertes sur les prêts. La troisième étape a été la destruction des fonds propres des banques [capital] causée par l'accumulation des pertes sur les prêts. Ce processus a commencé dans le «système bancaire parallèle", puis s'est transmis aux banques d'investissement de Wall Street et au secteur des banques commerciales. La quatrième étape a été la menace, en résultant, de faillites bancaires déclenchées par la destruction de capital. La cinquième étape a été la ruée vers le cash [trésorerie, monnaie] stimulée par la menace des défauts de paiement. Cela a provoqué un piège de liquidation car les agents ont essayé de vendre des actifs financiers pour récupérer du cash, ce qui a aggravé l'étendue de la baisse du prix des actifs financiers et causé des pertes supplémentaires en capital. L'étape six fut une course sur le marché des effets de commerce (billet de trésorerie, escompte) immédiatement après l'effondrement de Lehman Brothers (septembre 2008) et les banques et les institutions financières devinrent donc peu disposées à se prêter entre elles. Cela mit toutes les banques (y compris Goldman Sachs) au bord de la faillite, ce qui incita la Réserve fédérale à intervenir et à prendre de facto le contrôle du marché des billets de trésorerie en agissant en tant que prêteur en dernier ressort.
PP: Dans le livre, vous mentionnez souvent la bulle des matières premières qui a explosé pendant la crise financière de 2008. De nombreuses matières premières - pétrole inclus - sont presque revenues à leurs niveaux de 2008. Pensez-vous que cela pourrait être dû à la spéculation? Si oui, pourquoi le gouvernement américain permet cela?
TP: Je crois fermement que la spéculation est une partie importante de l'escalade du prix des matières premières, notamment du pétrole. Au cours de la dernière décennie, il y a eu d'énormes changements dans le caractère des acteurs du marché des matières premières. Dans le passé, le marché se composait de producteurs, et de consommateurs finaux, et de traders servant d'intermédiaire entre ces deux groupes. Maintenant, le marché a été envahi par des investisseurs financiers comme les fonds de pension, les gestionnaires de fonds de dotation, les fonds spéculatifs agissant pour le compte de particuliers fortunés, les départements de banque d'investissement tradant en compte propre, et les fonds négociés en bourse (ETF) pour les parieurs ordinaires voulant spéculer sur les matières premières. Cette transformation représente la «financiarisation» des marchés des matières premières et il en a résulté un tsunami d'argent chassant les matières premières pour en faire des supports d'investissement spéculatif. Après avoir causé une bulle et un effondrement en 2008, ce phénomène a de nouveau fait grimper les prix du pétrole.
Les empreintes de la spéculation sont partout sur le marché du pétrole: il y a de gros pics et plongeons journaliers qui ne peuvent pas être expliqué par des changements dans les fondamentaux économiques; des prix élevés alors que les stocks sont importants et croissants; du stockage dans des formes non conventionnelles comme des super-tankers qui avancent au ralenti; et des banques d'investissement comme Goldman Sachs qui achètent des capacités de stockage de pétrole dans des endroits comme Cushing, en Oklahoma.
Pourquoi le gouvernement fédéral et le Congrès ont fait si peu à ce sujet? Pour deux raisons. Tout d'abord, Wall Street, les banques et les compagnies pétrolières sont les grandes bénéficiaires de ces développements et ils sont (comme chacun sait) parmi les plus puissants intérêts politiques d'influence [vested interest]. L'argent sert en politique et ils ont de l'argent. Deuxièmement, les économistes ont été désastreux sur cette question, niant en permanence le rôle de la spéculation. La profondeur de ce déni est attestée par le fait que même le critique et souvent perspicace Paul Krugman a toujours nié le rôle de la spéculation. Cela montre encore un autre exemple du rôle des mauvaises idées économiques dans la destruction de la prospérité partagée.
PP: De nombreux économistes et politiciens tiennent la Fed pour responsable de la bulle immobilière et de la crise financière. Dans votre livre, vous dites que cela est trompeur. Pourquoi pensez-vous cela?
TP: A mon avis, pour la crise, la Fed est à la fois coupable et non coupable.
La Fed est à blâmer parce qu'elle a soutenu fermement le programme économique néolibéral qui est la cause ultime de la crise. Son soutien au programme néolibéral est le plus évident dans son appui à la déréglementation financière, à l'autorégulation, et son opposition à la réglementation des innovations financières tels que les dérivés. Si la Fed n'avait pas conservé ces croyances et fait son travail correctement, les excès du marché des subprimes et de la bulle des prix immobiliers auraient probablement été considérablement évité. Alan Greenspan a été le partisan en chef, mais presque tous les membres du conseil des gouverneurs et les économistes qui travaillent à la Fed méritent un blâme. Ils ont tous claironné la même chanson et ont été sourds à ceux affirmant que le ciblage de l'inflation n'était pas suffisant et avaient besoin d'être accompagné par une surveillance et une réglementation des bilans serrées.
Cependant, la Fed n'est pas à condamner pour avoir pousser les taux d'intérêt trop bas et de les avoir maintenu à ce niveau trop longtemps, ce qui est l'accusation portée par les économistes néolibéraux comme John Taylor, de l'Université de Stanford. Après la récession de 2001, l'économie a été bloqué par une reprise du chômage et a montré des signes de rechute dans la récession. Et ce, malgré un stimulus important fourni par les réductions fiscales de Bush et la guerre en Irak. Dans l'objectif d'échapper à la stagnation, la Fed a fait ce qu'il fallait.
Malheureusement, l'essentiel du débat public a mis l'accent sur la politique de taux d'intérêt de la Fed après la récession de 2001. Il devrait plutôt se concentrer sur la pensée économique néolibérale qui imprègne encore la Fed. Bien qu'il y ait eu un changement d'attitude envers la réglementation, la pensée fondamentale de la Fed sur l'économie reste inchangée. Cette incapacité à avancer après les échecs profonds de compréhension est une partie du mécanisme qui protège l'ordre politique établi, et cela explique pourquoi les responsables de la Fed (et d'autres banques centrales comme la Banque d'Angleterre et la Banque Centrale Européenne) sont les mêmes personnes qui ont échoué de manière aussi désastreuse avant la crise.
PP: En ce qui concerne la réflexion économique sur les causes plus larges de la crise, vous êtes particulièrement critique de l'hypothèse de «surabondance d'épargne » qui est devenu populaire, particulièrement avec le gouverneur de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Mon impression à la lecture de l'ouvrage c'est que vous voyez cela comme une pensée économique ad hoc qui cherche à éviter les vraies questions. Ais-je raison de dire cela et pourriez vous décrire brièvement ce qui est faux concernant l'hypothèse d'excès d'épargne - qui, à ce que je comprends, est aussi omniprésent à gauche qu'à droite?
TP: A mon avis, l'hypothèse de l'excès d'épargne est une absurdité de la science économique. En regardant cela avec de la hauteur, du recul, on se rend compte que c'est juste une explication de plus du déficit commercial américain par les économistes classiques. Mon livre montre clairement comment ces explications évoluent pour s'adapter à la conjoncture politique plutôt que d'expliquer le phénomène. Et la caractéristique commune et durable de toutes ces explications c'est qu'ils évitent de blâmer la mondialisation comme étant la cause du problème ou ils évitent les inconvénients.
C'est absolument renversant. Les économistes orthodoxes se cachent à eux-mêmes l'explication la plus évidente, et c'est un motif qui se répète encore et encore dans d'autres domaines de l'économie. Et parce que l'explication est si évidente et si simple, vous ne pouvez jamais écrire sur ce sujet dans les revues académiques qui sont centrées sur la complexité. L'histoire des "nouveaux habits de l'empereur" s'applique vraiment pour beaucoup de la science économique moderne.
En ce qui concerne l'hypothèse de la surabondance de l'épargne, il ne tient pas compte du fait que le déficit commercial des États-Unis a augmenté depuis 30 ans, bien avant que la Chine a émergé sur la scène. Et il y a beaucoup d'autres preuves et d'arguments contre elle - mais c'est dans le livre.
PP: Le livre se termine sur une note un peu pessimiste. Il semble que, compte tenu des paradigmes établis de la politique dominante, les états ne sont pas susceptibles de commencer le processus de rééquilibrage économique. Voyez-vous la lumière au bout du tunnel? Y a t-il des forces sociales ou politiques qui, pensez-vous, pourraient faire avancer le débat politique, à la fois aux États-Unis et dans le monde?
TP: Vous avez raison. Je suis pessimiste c'est la raison pour laquelle le livre prédit une stagnation. D'ailleurs cette prévision a été faite en 2010, lorsque le livre a été écrit, donc elle a déjà été prouvé juste. J'ai eu beaucoup de difficulté à trouver un éditeur parce que 2010 a été le temps de l'addiction au dollar [green shoots] «doses vertes» et la reprise «en forme de V» et il y avait un déni généralisé de la nature systémique de la crise. Les presses de l'université de Princeton ont refusé de publier mon livre.
Je suis guidé par l'aphorisme de Gramsci concernant le pessimisme de la raison et l'optimisme de la volonté. Ma raison me dit qu'à l'heure actuelle il n'y a aucune force politique importante pour un changement progressif qui déplace le débat politique dans la direction que je voudrais voir. Au mieux, nous allons nous débrouiller d'une manière qui conserve la crise économique à son niveau actuel. En outre, si il y en a, les risques sont la contraction en Europe, des troubles en Chine, un ralentissement de la croissance économique dans les pays émergents, et la perspective d'un resserrement budgétaire aux États-Unis.
À bien des égards les dés "économiques" ont été jetés. Nous entrons maintenant dans la phase où le risque politique commence à assumer un rôle plus important. Je commence mon livre avec des comparaisons concernant les années 1930 et je crois que ces comparaisons restent valables. Mark Twain a parlé de l'histoire qui rime plutôt que de répéter, et aujourd'hui rime nettement avec les années 1930.
Cela dit, je suis un optimiste de la volonté. Sinon, pourquoi écrire un livre qui contient un plan pour le changement de la science économique, de la politique et de la politique économique. Il faut être optimiste si l'on croit en la démocratie constitutionnelle, et j'y crois.
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