Évaluation mondiale de la biodiversité

Évaluation mondiale de la biodiversité, les points marquants selon l'IDDRI (citations)

Laurans, Y., Rankovic, A. (2019). Observations issues d’une lecture de l’Évaluation mondiale de la Biodiversité et des services éco systémiques de l’IPBES. Iddri, Décryptage N°06/19

https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/image/Biodiversite/17/5/intergovernmentalscience_924175.54.gif 

« Sept ans après son lancement officiel, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), parfois surnommée « Giec de la biodiversité », a rendu publique le 6 mai 2019 son Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques.

Cela faisait près de 15 ans, depuis la publication de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (Millennium Ecosystem Assessment) en 2005, qu’une synthèse des connaissances sur l’état mondial de la biodiversité n’avait pas été produite. La gouvernance mondiale de la biodiversité arrive au bout de deux décennies d’engagements très ambitieux pour préserver la biodiversité, pris au niveau de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Le rapport de l’IPBES souligne, une nouvelle fois, que les tendances mondiales restent alarmantes ou s’aggravent. Alors que se négocie le futur cadre mondial post-2020 sur la biodiversité, qui devra être adopté fin 2020 à la COP 15 de la CDB à Kunming, en Chine, l’Iddri propose ici d’identifier et de faire ressortir quelques points qui lui paraissent particulièrement marquants dans l’Évaluation mondiale, et de pointer ce que ces résultats peuvent indiquer en termes d’action.

Messages Clés

  • Le rapport montre que l’effondrement de la biodiversité terrestre est en premier lieu dû aux changements d’utilisation des sols occasionnés par l’agriculture, en lien, notamment, avec l’augmentation de la consommation de produits animaux. Pour les océans, c’est la pression de la pêche qui est la cause principale de déclin. Cela suggère d’adopter des engagements concernant le système agroalimentaire.
  • Les progrès politiques enregistrés concernent surtout l’adoption de textes, dont l’application fait défaut, ce qui plaide pour transférer une partie de l’attention politique vers leur mise en œuvre concrète.
  • Une partie de la solution reposera sur les « peuples autochtones et les communautés locales », dont l’Évaluation mondiale démontre l’importance numérique et le rôle majeur dans le maintien de la biodiversité. Cela suggère de concevoir des modes de développement économique et social qui les protègent et s’appuient sur eux.
  • Les négociations à venir pour le renouvellement du cadre post-2020 de la CDB pourraient aborder la question d’objectifs ciblant, notamment, l’alimentation et l’agriculture. C’est aussi le cas des négociations de l’Organisation mondiale du commerce sur les subventions à la pêche, ainsi que les négociations sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.
 

1. Une tendance de fond

Une extinction possible de 500 000 à un million d’espèces dans les prochaines décennies. (...) L’Évaluation mondiale ne repère pas de tendance positive, à l’échelle globale. Cela indique que le problème de l’érosion de la biodiversité procède d’un processus général, à l’échelle de la planète. (...)

2. Une cause première et mondialisée : Le changement de l’utilisation des sols pour l’agriculture

L’érosion continue de la biodiversité a de nombreuses causes, parmi lesquelles les pollutions, l’urbanisation (qui représente 3 % des surfaces aujourd’hui, mais qui devrait tripler d’ici 2030), la surexploitation des ressources, notamment illégale, le changement climatique et les invasions d’espèces exotiques. Mais la cause principale, dans la plupart des analyses, et qui figure en haut de la liste des causes dans toutes les régions et tous les habitats, est la modification de l’utilisation de l’espace. Il s’agit soit de modifier la manière dont on utilise le sol et les ressources naturelles (par exemple, une culture plus ou moins intensive qui remplace une prairie humide ou des herbages, une plantation forestière qui remplace une forêt primaire), soit de remplacer un habitat naturel par un habitat radicalement différent (par exemple la forêt par des cultures). (...)

55 % de la progression de l’agriculture depuis 1980 se sont faits au détriment des forêts « intactes », 28 % au détriment des forêts secondaires (aménagées). (...) Plus de 50 % des mesures de concentration en insecticides dans le monde dépassent les seuils réglementaires. Depuis les années 1980, l’intensification agricole a doublé sa consommation en eau et en pesticides, triplé celle d’engrais, décuplé la densité en volailles. (...)

La responsabilité du changement climatique est aujourd’hui, principalement, d’aggraver les autres causes. (...)

La « cause structurelle », celle qui devrait faire l’objet de la plus grande attention, est celle du modèle de développement et de production agricole, ou plus exactement des choix entre modèles de développement agricole.

3. Pourquoi cette consommation d’espace ?

(...) Trois causes de fond qui se multiplient entre elles : (1) la croissance démographique ; (2) l’apparition de nouvelles classes moyennes, sorties de la pauvreté par centaines de millions, et qui accèdent à des niveaux de consommation accrus ; (3) la poursuite d’une consommation particulièrement utilisatrice de matières premières par tous. (...)

Au final, l’augmentation de la consommation jusqu’à des niveaux très élevés de calories par habitant, et en particulier de la part des produits animaux dans cet apport calorique total, apparaît comme l’explication la plus massive et universelle perte d’habitats, elle-même cause la plus générale de la perte de biodiversité, et la surexploitation des ressources, cause majeure de l’appauvrissement des océans

4. Les progrès notés par l’évaluation mondiale : surtout sur le papier ?

(...)

  • La protection de la biodiversité est améliorée dans les textes
  • La sensibilisation des opinions progresse.
  • La surface des forêts augmente.
  • Les volumes et les surfaces de production « sous label environnemental » croissent
  •  Le commerce des espèces menacées et protégées diminue

Pour tous les autres Objectifs d’Aichi, en particulier ceux qui concernent les usages durables de la biodiversité et de l’espace, la suppression des subventions néfastes, l’empreinte écologique de l’activité économique, la pollution et la restauration des écosystèmes, notamment, les indicateurs significatifs sont à la baisse. (...) Les forêts naturelles perdues étant surtout remplacées par des plantations
malgré la progression des labels bio, les volumes de pesticides utilisés augmentent dans le monde (...) 

L’essentiel des progrès réalisés se concentre sur ce que l’on pourrait appeler la « protection formelle », soit les textes. (...)

Ces textes peinent à entrer en vigueur et à être mis en œuvre, dans la mesure où cette application concrète supposerait de remettre en cause les politiques de développement des secteurs économiques telles qu’elles sont aujourd’hui conçues. Il est aussi frappant de constater que les difficultés de la conservation de la biodiversité, dans les espaces protégés notamment, tiennent beaucoup à la non-application du droit : pollutions non contrôlées, trafics illégaux, atteintes aux droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales, etc. (...)

5. Une dimension essentielle : L’habitat des peuples autochtones et des communautés locales

(...) Les peuples indigènes représenteraient environ 5 000 groupes, et entre 300 et 370 millions de personnes. Les communautés locales représentent des populations encore plus nombreuses et diverses, l’ensemble pouvant représenter jusqu’à 1,5 milliard de personnes, soit jusqu’à 20 % de la population mondiale. Or leurs pratiques de chasse, culture, élevage et pêche sont généralement favorables à la préservation de la biodiversité, voire en sont les garantes ; elles pratiquent souvent des formes d’agroécologie, de gestion durable des forêts ou de sélection des variétés traditionnelles pour protéger les sols. Symétriquement, une grande partie des problèmes des régions pauvres viendrait de la perturbation des stratégies ancestrales d’adaptation. Or, du fait de la perte de leurs habitats, et des politiques conduisant à leur normalisation (sédentarisation, etc.), ces peuples et communautés sont en déclin, et cela participe à celui de la biodiversité.

6. Et Après ? Négociations et processus politiques

(...) Le futur cadre international devrait, pour agir sur les causes profondes de l’effondrement de la biodiversité, trouver des moyens d’influencer les modèles agroalimentaires, ainsi que les autres facteurs clés de pression issus du développement économique. Cela pourrait plaider, notamment, pour des objectifs spécifiques concernant l’alimentation, et notamment la consommation de viande, et les politiques qui l’influencent. De même pour l’agriculture, avec des indicateurs adaptés d’une part aux différentes pressions dont les modèles intensifs sont responsables (pesticides, engrais de synthèse, évolution de la surface agricole, etc.), d’autre part aux différentes versions de l’agroécologie. (...)

Il sera crucial que les politiques de développement, et donc l’aide au développement, prennent la mesure de l’importance cruciale des peuples autochtones et des communautés locales, conçoivent des trajectoires de développement qui les protègent (notamment sur le plan foncier), leur permettent une amélioration des indices de développement humain adaptée à leurs besoins, et mettent véritablement en œuvre les principes existants à ce sujet. (...) La mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement
durable est clé pour la biodiversité, puisque le rapport souligne le rapport essentiel entre le mode de développement, notamment agroalimentaire, et la biodiversité. »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...