Traduction de « What does it profit ...? », Georges Mobus, 4 mars 2008
Un regard psychologique sur le profit
Les individus tenteront toujours de satisfaire leurs besoins en énergie. Pour la plus grande partie de la nature, cela signifie trouver un environnement à la bonne température, suffisamment de nourriture et d’eau, et, le moment venu, procréer pour prolonger la croissance. Pour les humains, cela signifie essentiellement la même chose. Il n’y a qu’avec les humains que les degrés de liberté sont si étendus à tel point qu’il n’est pas toujours possible de voir les liens entre le flux d’énergie, le stockage [d’énergie] et tous les comportements et pensées des êtres humains. Nous sommes devenus tellement convaincus de notre extériorité à la nature qu’il est difficile de réaliser que le travail que nous faisons, les maisons que nous achetons, les églises que nous fréquentons ne sont que des décisions basées sur le flux d’énergie ! Il vous faudra peut-être un certain temps pour vous faire à cette idée. Et je sais qu’au départ, cela ressemble à du déterminisme biologique. Je suppose que c’est vraiment une sorte de déterminisme biologique, mais pas celui auquel vous pensez normalement du type « mes gènes m’ont poussé à le faire » !
Tout ce que vous ou moi faisons a un seul but, celui d’obtenir, de stocker et de retenir l’énergie. C’est tout. Si vous trouvez que je ne tiens pas compte des émotions humaines, de la culture, etc., vous n’avez pas compris la nature de la nature. Bien sûr, chaque être humain (vous, moi) a des objectifs qui lui sont propres, qui sont personnels. Mais ce n’est pas une question d’alternative. Le déterminisme biologique (sous forme d’énergie) et les choix personnels peuvent être totalement compatibles. Voici un test simple pour voir si ce que je prétends est vrai ou non. Arrêtez de manger. Vous pouvez choisir de le faire, et, en effet, de nombreuses personnes se sont tuées en le faisant. Vous pouvez le faire. Mais le fait est que vous mourrez si vous le faites. Vous ne pouvez pas juste vous contenter du libre arbitre. Votre vie est biologiquement déterminée par rapport au flux d’énergie. Autant l’accepter et y adhérer.
Ce qui m’amène à la psychologie du profit. Quand est-ce que qu’il y en a assez ? Réponse : jamais.
La vie, y compris la vie humaine, a pour mandat d’obtenir autant d’énergie que possible. Si vous ne pouvez pas tout utiliser vous-même, transmettez-la à votre progéniture et elle fera de même. La vie est programmée pour maximiser l’énergie nette stockée. Est-il donc surprenant que des êtres humains fassent des choix qui conduisent à l’accumulation de ce qu’ils perçoivent comme de l’énergie ? Croyez-le ou non, même les jouets et les divertissements sont liés à l’accumulation d’énergie. Le jeu est un moyen pour les individus d’apprendre à rivaliser et à gagner, ou à devenir plus efficace (le record personnel). Tout ce que nous faisons, y compris les décisions concernant nos partenaires, est orienté vers cette seule motivation : acquérir plus d’énergie.
Les choses que nous possédons sont le résultat de l’énergie dépensée pour former des outils nous permettant d’exploiter au mieux le flux d’énergie. Tout est un outil. Votre maison est un outil qui vous garde au chaud et vous permet d’organiser vos activités. Votre voiture est un outil de transport. Votre télévision est un outil pour vous divertir et vous informer (ce dernier point est de plus en plus mis en doute). Les outils permettent aux individus de tirer plus d’énergie de l’environnement (et l’épicerie fait partie de cet environnement). Le bon outil pour le bon travail ! Maintenant, la question est de savoir si le travail que vous faites vaut la peine d’être fait dans le cadre d’un projet plus vaste. Avez-vous vraiment besoin de faire 160 km pour assister à cette course automobile ?
Voici le problème fondamental et la raison pour laquelle nous sommes en difficulté. Nous avons découvert comment puiser dans la plus grande réserve d’énergie imaginable. La terre a accumulé de l’énergie pendant des millions d’années sous la forme de matière organique morte piégée dans le sol et transformée en pétrole, en gaz et en charbon. Il s’agit d’une énergie stockée, capturée à partir de la lumière du soleil du passé lointain. Et elle est puissante. Les combustibles fossiles sont des sources à fort potentiel, ce qui signifie qu’ils peuvent faire beaucoup de travail.
Que se passe-t-il donc lorsqu’une espèce intelligente, dont il a déjà été prouvé qu’elle est capable d’exploiter des ressources énergétiques provenant de sources multiples (et de concurrencer d’autres espèces dans le processus), découvre une source apparemment infinie de puissantes réserves énergétiques ? Elle fait ce qu’elle fait le mieux. Elle fait des bénéfices. Elle se développe. Elle convertit des matériaux en outils permettant de capturer encore plus d’énergie. En bref, l’homme fait ce pour quoi son cerveau est programmé (déterminisme biologique).
La psychologie du profit n’est pas vraiment mystérieuse. À son époque, Adam Smith avait raison, au fond, sur le fait que, toutes choses étant égales par ailleurs, les individus poursuivent leurs propres besoins (ou désirs) égoïstes et les marchés peuvent organiser le flux d’énergie de manière assez efficace.
Mais à l’époque d’Adam Smith, les sources d’énergie puissantes commençaient tout juste à émerger de notre habile ingénierie. Il y avait, et il y avait eu dans toute l’histoire humaine passée, des contraintes sur le profit de l’espèce humaine simplement parce que les sources d’énergie étaient solaires et en temps réel (vent, hydrologie, combustion du bois, et travail des animaux à partir de la photosynthèse). Cela mettait une limite à ce qui pouvait être fait, du point de vue du travail. Puis vinrent le charbon, puis le pétrole, et le reste est de l’histoire économique. Le ciel était la limite. Ou il semblait qu’il n’y avait pas de limite.
Tout au long de l’histoire de l’humanité, au moins depuis l’avènement de l’agriculture, le profit de l’espèce provenait strictement de ce qui pouvait être volé aux autres espèces. S’approprier des terres pour les cultures et les pâturages était à peu près le pire que nous pouvions faire à la nature. Le profit de chaque individu provenait de la combinaison de sa part de profit confisqué aux espèces, et de ce que l’on pouvait soutirer de la réserve de ressources des espèces. Ainsi, même si le gâteau se développait aux dépens d’autres parties de l’environnement et que la part de chaque individu était théoriquement plus importante, il a toujours été possible pour certains individus vraiment intelligents de profiter d’autres, moins intelligents, pour confisquer une partie de leurs bénéfices. Je parie que les barons voleurs sont parmi nous depuis le moment où la première moisson a été récoltée.
Avec la découverte d’énormes quantités d’énergie sous forme de combustibles fossiles, et avec le développement d’autres types d’outils pour aider à utiliser cette énergie, les êtres humains ont fait ce qu’ils étaient censés faire. Ils ont profité de la situation exactement comme leur biologie le leur dictait. Mais ce n’était pas seulement de l’égoïsme. C’était juste une acquisition naturelle basée sur un accès relatif. Les humains sont des animaux sociaux et leur capacité à juger de leur propre « valeur » est basée sur leur statut social. Tout est relatif. Si tout le monde autour de vous a un écran large, un écran plat, une télévision murale, alors vous vous sentez pauvre (statut inférieur) si vous n’en avez pas. Il s’agit moins de la qualité des images que vous regardez que de votre conviction que vous êtes aussi bien loti que vos pairs. Vous n’êtes pas égoïste en soi. On est égoïste quand on prend sciemment des ressources qui devraient être partagées (la tragédie des biens communs d’Hardin). Vouloir plus de choses, c’est juste, eh bien, vouloir.
Les apports massifs d’énergie ont rendu possible la demande massive. Et fidèles à notre caractère, nous voulions. Une fois dans ma vie, j’ai rêvé de posséder un grand bateau à moteur pour pouvoir faire de la plongée sous-marine. Je voulais être riche si je le pouvais parce que tout le monde voulait être riche et que les riches pouvaient acheter plein de trucs sympas. Et pourquoi pas ? Tout autour de moi, je voyais des gens devenir riches et acheter plein de choses. Je voyais de plus en plus d’objets être produits. Qui n’aurait pas pensé que la richesse était là pour être saisie ? Mais c’est l’afflux d’énergie qui a rendu cela possible. Cela et le fait que personne ne pensait stratégiquement.
Presque personne. Il y a eu beaucoup de personnes lucides dans l’histoire qui ont pu voir l’illusion de la richesse, qui ont pu voir que le profit ne venait pas d’un jeu à système ouvert, mais d’un jeu à ressources limitées. Mais au moment où ces personnes plus sages ont pu exprimer en langage moderne quels étaient les problèmes, les économistes (ceux qui souffrent d’être jaloux de la physique) avaient construit le cadre théorique de ce qu’était la richesse, d’où elle venait et comment il était bon d’aller en chercher de plus en plus. C’est ainsi que la plupart des gens ont aimé le message : « C’est bon, prenez la vôtre et ne vous en faites pas, le marché s’occupera de tout ». C’était plus facile, plus rapide et plus amusant à accepter sans remettre en cause cette position idéologique. La croissance, selon ce point de vue, est toujours bonne et jamais mauvaise.
Et ils n’ont pas écouté les sages. C’est encore le cas aujourd’hui.
Les personnes qui consomment et se gavent d’aliments riches en calories ne sont pas de mauvaises personnes. Elles ne sont pas vraiment égoïstes. C’est pour elles la bonne façon de vivre. Elles sont gâtées, et comme des enfants gâtés, elles ne peuvent pas comprendre pourquoi, tout d’un coup, ce qu’elles font est mauvais.
Pourquoi le profit est-il mauvais ? Pourquoi est-il mauvais de vouloir une vie plus facile, la richesse, le bonheur ? La réponse est que tout cela est basé sur une fausse prémisse. La croissance ne peut que pousser un système vers un état stable. Cela implique qu’il y a une quantité fixe d’énergie qui entre dans le système en premier lieu et que cette énergie sera distribuée par la compétition et la coopération entre toutes les composantes de variantes possibles (espèces et individus). Enlevez cette contrainte et vous avez un cancer. Une croissance incontrôlée et non coordonnée. Nous sommes maintenant coincés avec un paradigme problématique de la théorie économique qui n’est pas conforme à la réalité physique à un moment où notre flux d’énergie est sur le point de ralentir (pic pétrolier) et où dans notre consommation effrénée d’énergie, nous avons modifié les propriétés chimiques, biologiques et physiques de la planète de telle sorte que notre existence même en tant qu’espèce est menacée.
Nous avons eu des sages, mais aucune réflexion stratégique ni aucun système de contrôle stratégique n’a été mis en place pour reconnaître le problème et réguler le niveau de contrôle tactique et logistique, surtout à l’échelle mondiale.
L’ironie de la mondialisation est qu’elle nous fait prendre de plus en plus conscience que nous avons besoin de systèmes cybernétiques[1] hiérarchiques à l’échelle mondiale. La Première et la Deuxième Guerre mondiale nous ont montré la nécessité d’un système de coopération à l’échelle mondiale. Les marchés mondiaux nous ont montré des mécanismes primitifs de coopération et de coordination minimale, mais ont également créé d’énormes schismes dans la répartition des richesses entre les États et les individus. La mondialisation non réglementée a détruit les rêves des anciens riches et a donné de l’espoir aux anciens pauvres. Mais elle est chaotique et désordonnée. Elle n’a pas d’objectif global autre que la vague croyance de ses partisans selon laquelle, d’une manière ou d’une autre, tout ira mieux.
Nous voici donc, en tant qu’espèce et en tant que « force » globale, au bord du désastre, alors même que les lueurs d’un système cybernétique hiérarchique, un système de gestion de la terre, commencent à apparaître. Nous continuons à croire que nous devrions faire des bénéfices, même si la véritable source de rentabilité diminue. Nous ne pouvons pas laisser tomber l’apparente prospérité dont nous avons bénéficié, pas plus que ceux qui considèrent que c’est à leur tour de profiter de cette prospérité ne peuvent laisser tomber ce rêve, même si l’on peut maintenant considérer que la réalisation de la prospérité menace notre propre existence. Notre situation est vraiment précaire. Allons-nous basculer dans la crevasse de l’extinction ou apprendre à gérer nos affaires (rapidement) afin de continuer en tant que participants à l’évolution de la sentience[2] ?
Telle est la question, aujourd’hui.
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[1] Cybernétique (système) : la cybernétique vient du grec « Kubernêsis ». Étymologiquement, elle désigne « l’action de gouverner ou de manœuvrer un bateau ». Selon Couffignal, « La cybernétique est l’art de rendre l’action efficace ». Le mathématicien Norbert WIENER a décrit la cybernétique, en 1948, comme une science permettant de contrôler des systèmes qu’ils soient vivants ou non-vivants. En effet, le monde se compose entièrement de systèmes en interaction. Le système cybernétique est composé d’échanges d’énergie, d’information ou de matière constituant une communication. Cela est considéré comme un ensemble d’éléments en interaction. Les termes clés de la cybernétique sont l’information, la communication, la rétroaction et le signal. Séparément, les éléments ne possèdent pas les même propriétés que lorsqu’ils sont organisés dans un système cybernétique. L’approche cybernétique d’un système se compose d’interactions et des éléments du système même. Le « feedback » ou rétroaction figure aussi parmi les termes clés de ce système. Un élément en action suscite une réponse et vice versa, on parle ici de boucle de feedback. Lorsque cette boucle augmente l’effet de l’action, elle est dite « positive ». Le feedback « négatif » est, en revanche, caractérisé par la diminution de cet effet. Dans l’approche cybernétique, il faut assez de boucles de feedback négatifs pour balancer l’effet de l’action afin d’améliorer un système. Le système cybernétique peut s’auto-réguler tout en présentant une stabilité forte dans le temps. Parmi les systèmes auto-régulés au niveau de la nature, nous pouvons compter : l’organisme, l’écosystème ou la cellule. (Wikiversity)
[2] Sentience : la sentience est la faculté d’éprouver subjectivement (L’Éthique Animale). Un être « sentient » est capable : d’évaluer les actions des autres en relation avec les siennes et de tiers ; de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences ; d’en évaluer les risques et les bénéfices ; de ressentir des sentiments ; d’avoir un degré variable de conscience (The Conversation).
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