À quoi cela sert-il ...? Le profit (1/2)

À quoi cela sert-il ?... (What does it profit ...?), Georges Mobus, 4 mars 2008

« For what does it profit a man to gain the whole world, and forfeit his soul ? »
« Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? »

Marc, chapitre 8, verset 36.

(...) Je veux examiner les hypothèses sous-jacentes qui régissent le mécanisme du marché. La plus importante d’entre elles, me semble-t-il, est la motivation pour le profit. J’aimerais aborder cette question sous deux angles apparemment différents et montrer ensuite comment ils en arrivent réellement au même point. Le premier est un concept très théorique (en économie écologique) du profit ou du surplus d’énergie disponible mis en réserve dans un système. Le second est psychologique. Il s’agit d’examiner ce que les gens « pensent » du profit et pourquoi ils pensent qu’ils veulent le profit et - voici la phrase clé - le méritent.

Un regard théorique sur le profit

La nature a déjà compris ce que cela signifie. Suivez-moi. Cela implique un peu de physique basique, mais je vais essayer de rendre cela peu technique. Cela concerne le flux d’énergie, la réalisation du travail et le rôle de l’effet de levier.

Tous les systèmes réels de cet univers sont ouverts au flux d’énergie, qui y entre, les traverse et en sort à nouveau. Le flux d’énergie de la terre provient principalement du soleil. (...) La lumière du soleil pénètre dans notre atmosphère puis est absorbée dans plusieurs sous-systèmes. Elle évapore l’eau pour former des nuages et de la pluie, dont une partie tombe dans les lacs et les bassins versants des montagnes, nous donnant de l’énergie stockée qui peut être convertie ultérieurement en énergie de travail, par exemple par un barrage et un générateur hydroélectriques. Le cycle hydrologique représente du travail dans la mesure où de l’énergie a été utilisée pour « déplacer » l’eau contre la force de gravité vers un état potentiel plus élevé.


Une bonne partie de la lumière du soleil est absorbée par les plantes grâce à la photosynthèse, qui effectue un travail chimique et stocke l’énergie dans des liaisons entre l’hydrogène, l’oxygène, le carbone, l’azote et de nombreux autres éléments. La vie végétale convertit la lumière du soleil en énergie stockée que les animaux peuvent utiliser lorsque les herbivores mangent les plantes et les carnivores mangent les herbivores. L’énergie traverse la biosphère terrestre de niveau trophique[1] en niveau trophique. Finalement, les carnivores et omnivores supérieurs, comme nous, meurent et la décomposition de notre corps en des formes plus élémentaires (de poussière à poussière !) libère le reste de l’énergie [qui se retrouve] stockée dans l’atmosphère sous forme de chaleur inutilisable (c’est-à-dire [une énergie] de mauvaise qualité pour effectuer un travail utile).

Dans tous ces processus, chaque fois que l’énergie est convertie d’une forme à une autre, une bonne partie est perdue sous forme de chaleur de mauvaise qualité. C’est pourquoi aucun processus physique ne peut être efficient à 100 %, ni même en être proche. C’est une loi de la nature qui, pour autant que quiconque ait pu le constater, est inviolable. Toutes sortes de conséquences découlent de cette perte naturelle d’énergie (pour toujours), comme le dit le dicton « il n’y a pas de repas gratuit ». Cela explique aussi pourquoi, lorsqu'aucune nouvelle énergie entre dans un système, les choses s’effondrent - elles ne s’améliorent jamais spontanément. C’est ce qu’on appelle la deuxième loi de la thermodynamique, également connue sous le nom de loi de l’entropie.

Si l’on considère les systèmes vivants comme un excellent exemple de profit, le profit peut être défini comme une augmentation nette de l’énergie stockée au fil du temps. Cela signifie qu’à mesure qu’un organisme vivant se développe, en absorbant l’énergie disponible de son environnement (ainsi que les matériaux pour construire la structure), il se développe. Il augmente en volume jusqu’à une certaine limite naturelle. Mais le profit ne s’arrête pas à cette limite. L’organisme se reproduit et la progéniture poursuit sa croissance. La population s’accroît alors.

Mais là encore, tout comme il existe une limite naturelle à la taille d’un seul organisme, il existe une limite naturelle à la taille d’une population. Cette limite est déterminée par de nombreux facteurs dans l’environnement de cette population, qui définissent collectivement ce que nous appelons la capacité de charge. Une autre façon de voir l’effet de ces facteurs est qu’il s’agit de taxes sur les individus et les populations. Ils imposent des coûts qui sont liés à un processus d’équilibre qui assure le bien à long terme de l’ensemble du système. L’évolution produit des mélanges d’espèces de plantes, d’animaux, de microbes, de champignons, etc., qui interagissent les uns avec les autres pour faire circuler l’énergie dans tout le système. La lumière du soleil entre en jeu, l’énergie est stockée dans la biomasse, puis elle est finalement libérée sous forme de chaleur qui se dissipe dans l’atmosphère et finit par rayonner dans l’espace noir et froid. Sur une échelle de temps vraiment long, l’ensemble du flux finit par s’équilibrer dans ce que l’on appelle un équilibre dynamique ou un état stable. Dans cet état, les taxes égalent les bénéfices. (...)

Dans ce modèle, le profit est mesuré en énergie stockée qui peut être reconvertie en une forme cinétique capable d’effectuer un travail supplémentaire (plantes mangées par les animaux pour former une nouvelle biomasse animale). Quand un écosystème est pauvre en énergie stockée, s’il y a une surabondance d’énergie entrante, alors il y aura une augmentation nette de l’énergie stockée par unité de temps. Une plus grande partie de l’énergie entrante peut être convertie en nouvelle biomasse au lieu d’être utilisée pour le simple entretien du système. Le système sera rentable. Cependant, il peut arriver un moment où un écosystème est saturé d’énergie stockée compte tenu des matériaux disponibles. À ce stade, le système entre dans un état stable dans lequel autant d’énergie est finalement libérée sous forme de chaleur que celle qui est entrée sous forme de lumière solaire. Il n’y a plus de profit à faire. Ou du moins, pas pour le système dans son ensemble.

Les espèces individuelles et les individus peuvent encore se concurrencer pour se positionner. Lorsque la taille du gâteau est figée dans un état stable, nous avons un jeu à somme nulle lorsqu’il y a des concurrents. Certains éléments du système gagneront et d’autres perdront. Sur le plan biologique et évolutif, les concurrents qui sont plus efficaces dans leur utilisation de l’énergie stockée auront tendance à faire mieux et à reproduire plus de descendants et donc à surpasser les autres. Ainsi, certains composants sembleront profiter de la situation, mais ce n’est qu’au détriment d’autres composants. (...)

Aujourd’hui, nous parlons du profit sous la forme d’un excédent de revenus après dépenses. Nous avons transformé l’énergie en monnaie [monétisé]. Autrement dit, nous suivons désormais les flux d’énergie par le biais de messages d’information spéciaux appelés monnaie. L’argent n’est que la mesure de notre contrôle sur le flux et les utilisations de l’énergie dans l’accomplissement du travail (...). L’argent est plus facile à voir, à toucher, à sentir, à compter que l’énergie. Chaque coupure (pièce de monnaie ou billet de papier) est juste un signe représentant une quantité de travail qui pourrait être effectuée. Lorsque vous achetez quelque chose, vous signalez en fait que le travail effectué pour [produire l’objet] devrait l’être plus à l’avenir. La monnaie, ou du moins ce que les économistes appellent M1, est un facilitateur de l’échange de travail. Rien de plus.

Ainsi, lorsque les entreprises font des bénéfices, elles peuvent réinvestir les restes dans la croissance ou même l’évolution (en se lançant dans une nouvelle activité). C’est vraiment la même chose qu’en biologie. Cela semble juste différent si vous n’êtes pas si familier avec le flux d’énergie en biologie. En tout cas, le lien entre le flux d’énergie et la monnaie nous aide à nous concentrer sur l’autre composante majeure de cette histoire : la psychologie humaine. (deuxième partie)

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[1] Niveau trophique : en écologie, le niveau trophique ou maillon trophique est le rang qu’occupe un être vivant dans un réseau trophique. Il se mesure en quelque sorte par la distance qui sépare cet être du niveau basique qui est celui de la production primaire autotrophe (capable d'élaborer sa propre substance à partir des minéraux, ex. les végétaux chlorophylliens). Un réseau trophique est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d’un écosystème et par lesquelles l’énergie et la biomasse circulent (échanges d’éléments tels que le flux de carbone et d’azote entre les différents niveaux de la chaîne alimentaire, échange de carbone entre les végétaux autotrophes et les hétérotrophes). (Wikipedia)

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