La liberté de circulation n'est plus respectée par l'Etat et sa police

Paris, dimanche 10 avril au soir, une petite dizaine de "gilets jaunes" - sans gilets jaunes - sortants d'un bar et accompagnés d'une journaliste sont verbalisés pour manifestation illégale. 

 

«Tout me pose question, au-delà de ma propre personne, au-delà de l’atteinte à liberté d’informer, il y a aussi la liberté de circuler. Il n’y avait aucune atteinte à la sécurité publique dans tout ça.» Emmanuelle Anizon

« 10 avril, premier tour de l’élection présidentielle. Il est environ 18 heures. Pour un futur article dans « l’Obs » sur le risque du vote « tout sauf Macron », je rejoins six ou sept « gilets jaunes » qui se sont réunis dans un café, près de la chic place de la Madeleine. Je les interviewe pour savoir quelle est leur stratégie de vote, eux qui rêvent de sortir le président de la République du jeu. Parmi eux, des piliers discrets du mouvement, des « liveurs » , un avocat, David Libeskind. En dehors de l’un d’eux qui explique avoir voté blanc, ils disent tous avoir voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Ils espèrent ardemment sa victoire, pour battre ce président sortant qu’ils détestent et combattent depuis quatre ans. On discute du deuxième tour. En cas d’un face à face « Emmanuel Macron/Marine Le Pen », que feront-ils ? Certains évoquent un vote blanc, d’autres expliquent qu’ils sont prêts à voter Marine Le Pen au nom du « tout sauf Macron ». Ils parlent, avec fièvre, je prends des notes sur mon ordinateur. Depuis le temps qu’ils attendent cette élection.

Il est 19h30 environ, la tablée se lève, marche quelques mètres dans la rue. On continue d’échanger, quand soudain, des sirènes, des motos vrombissantes, et une trentaine de policiers qui, vêtus de noirs, casqués, nous encerclent. « Contrôle d’identité, s’il vous plaît ! » Le petit groupe, surpris, obtempère. Certains protestent.

Les policiers indiquent au petit groupe qu’ils vont les verbaliser, pour « participation à une manifestation illégale ». Les « gilets jaunes » protestent, en colère mais pas surpris. Cette amende est devenue leur réalité banale, sous ce quinquennat. Et ce quartier de la Madeleine, où ils viennent de prendre un verre, n’est pas loin de l’Elysée, ni même du QG d’Emmanuel Macron. (…) » Journaliste, j’ai été verbalisée le soir du 1er tour pour avoir interviewé des « gilets jaunes » dans la rue, L'Obs, 11 avril 2022

« Emmanuelle Anizon a reçu une amende pour participation à une manifestation non déclarée ce dimanche, alors qu’elle était en reportage auprès de gilets jaunes et venait de présenter sa carte de presse. Après publication de son récit dans «l’Obs», le préfet de police Didier Lallement s’est excusé personnellement auprès de la rédaction. (…)

Comme le montre la vidéo, aucun d’entre eux ne porte de signe distinctif pouvant laisser penser qu’ils sont en manifestation. «Il n’y avait pas d’appel à manifestation, ils étaient calmes, il n’y avait rien d’excité dans leur attitude», souligne Emmanuelle Anizon. Au bout de quelques minutes seulement, «il y a deux fourgons de gendarmerie qui sont passés devant nous», raconte David Libeskind, avocat et gilet jaune. Quelques dizaines de policiers de la Brav (Brigade de la répression et de l’action violente), une trentaine selon les estimations de la journaliste, arrivent et contrôlent le groupe.

Ils les encerclent et leur demandent leur identité : «C’était complètement centré sur ce groupe, très clairement», remarque Emmanuelle Anizon, car les autres passants ne sont pas contrôlés. L’examen des pièces d’identité prend un long moment, comme en témoigne la vidéo. On y voit la journaliste attendre que le contrôle se termine, jusqu’à ce qu’elle comprenne soudainement qu’un policier lui réclame plus d’informations que d’habitude (à partir de 22′20 dans la vidéo). Elle lui demande pourquoi il a besoin de son adresse. «C’est là qu’il me répond qu’il me verbalise. J’ai presque ri tellement c’était énorme. Je lui ai reposé la question et il me dit : “Oui, je verbalise.”»

Emmanuelle Anizon rétorque immédiatement et retire ses papiers des mains du policier. Au moins deux d’entre eux la saisissent et l’emmènent hors du cercle, sur le côté du bâtiment, où ils la plaquent contre un mur. «Il me presse vraiment le bras pour m’immobiliser», se souvient la journaliste. Elle proteste et répète à plusieurs reprises qu’elle est journaliste (…)

Emmanuelle Anizon estime néanmoins qu’il y a «un problème de fond sur tout ça. Je suis d’un magazine national qui a du poids, on est en période électorale, on a des excuses. Mais quand on est un média indépendant, un journaliste pas connu, que se passe-t-il ? On se prend les 135 euros.»

D’après David Libeskind, les autres membres du groupe n’ont pas vu leur amende annulée pour manifestation non déclarée. De son côté, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu sur les circonstances plus générales de ce contrôle. Emmanuelle Anizon reste préoccupée par cet événement : «Tout me pose question, au-delà de ma propre personne, au-delà de l’atteinte à liberté d’informer, il y a aussi la liberté de circuler. Il n’y avait aucune atteinte à la sécurité publique dans tout ça.» » Que sait-on de la verbalisation d’une journaliste de «l’Obs»?, Libération, 14 avril 2022

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