Mariages et crimes de guerre

Dans une guerre, le mal est toujours dans le camp d'en face. Nous sommes prompts a dénoncer les crimes de l'ennemi tandis que nous oublions les nôtres, ceux que nous avons commis et ceux que nous commettrons, au nom du bien!

Crimes de guerre américains

« Vous avez vu les images macabres. Vous avez lu les rapports déchirants. Les preuves sont partout et elles sont aussi effrayantes qu'irréfutables. Il y a eu ce jeune garçon battu et abattu de sang-froid, cet homme utilisé comme cible pour s'entraîner, ce vieil homme jeté du haut d'une falaise, et ce groupe de 19 femmes et enfants rassemblés et abattus, leurs corps abandonnés en plein air dans leur village.

Cette semaine, la Chambre des représentants a voté à une écrasante majorité pour demander une enquête sur les crimes de guerre commis par les Russes en Ukraine. “Nous nous levons aujourd'hui non pas en tant que républicains, démocrates, mais en tant qu'Américains, en tant que Congrès uni, au nom du peuple américain, pour condamner ces atrocités”, a déclaré le représentant Michael McCaul, un républicain du Texas. (…)

Mais la Chambre ne recueillera jamais d'informations sur ce jeune garçon, ce vieil homme ou ces 19 civils déchiquetés par des tirs, car ces crimes ont été commis fin 1967 et début 1968 par des soldats américains au Sud-Vietnam. Les preuves dans ces affaires ont été recueillies par des enquêteurs criminels militaires il y a des décennies. Elles ont étayé des accusations de meurtre dans cinq incidents contre neuf suspects, mais personne n'a jamais été traduit en cour martiale, et encore moins condamné.

Ces dernières semaines, les Américains ont été indignés à juste titre par les crimes horribles commis par les troupes russes contre les civils ukrainiens - massacres, meurtres et viols, entre autres. Au cours des deux dernières décennies, cependant, beaucoup ont à peine réagi aux rapports de massacres, de meurtres et de viols commis par des Américains sur les champs de bataille de la guerre mondiale contre le terrorisme. Bien que la couverture de ces conflits sanglants n'ait jamais été de l'ampleur que nous connaissons aujourd'hui, de nombreuses preuves étaient disponibles pour quiconque voulait bien regarder. Pendant des années, pour ne citer qu'un exemple, TomDispatch a suivi l'évolution d'une niche particulièrement sinistre : l'anéantissement de fêtes de mariage par les frappes aériennes américaines.

Si l'on découvrait que la Russie a massacré des mariés ukrainiens, des officiants, des musiciens et des membres de la famille lors de huit incidents distincts, les chaînes d'information et les chaînes câblées pourraient suspendre toute autre couverture pendant le mois suivant. Mais lorsque la puissance aérienne américaine a détruit à plusieurs reprises des fêtes de mariage en Afghanistan et au moins une fois en Irak et au Yémen, il y a eu à peine un murmure, même si le New York Post a fait sa première page sur le dernier de ces événements sous le titre horrible : “Bride and Boom !” » [jeu de mots indécent avec “bride and groom” (la mariée et le marié)] Washington’s Wedding Album From Hell, Tom Engelhardt, 10 avril 2022


« C'est une enquête édifiante sur l'armée américaine que le New York Times publie ce samedi 18 décembre. Selon les rapports du Pentagone révélés par le quotidien américain, les frappes de drones, privilégiées depuis 2014 dans les conflits en Afghanistan, en Irak et en Syrie, ont coûté la vie à au moins 1 600 civils, sans doute beaucoup plus. Ces derniers auraient été tués par une institution « acceptant que des dommages collatéraux soient inévitables ».

L'armée américaine présente souvent ses frappes de drones comme une manière de mener une guerre « propre ». Avec des « frappes de précision », elle engage moins d'hommes directement au combat et assure gagner en efficacité. Toute cette image est balayée par l'enquête publiée par le New York Times, ce samedi.

Dans le cadre de la loi sur la transparence dans les administrations, le quotidien américain a obtenu 1 300 rapports du Pentagone sur des incidents ayant fait des victimes civiles. Et après plus de cinq années d'enquêtes, les conclusions du New York Times sont claires : « La guerre aérienne américaine a été marquée par des renseignements défaillants, des tirs de missiles hâtifs et imprécis, et la mort de milliers de civils, dont de nombreux enfants. » (…)

En cinq ans, l'armée des États-Unis a mené plus de 50 000 frappes aériennes en Afghanistan, en Irak et en Syrie. Elle a admis avoir tué accidentellement 1 417 civils depuis 2017 en Syrie et en Irak. En Afghanistan, le chiffre officiel est de 188 civils tués depuis 2018. Et encore, le New York Times, qui a épluché les rapports et enquêté sur le terrain, affirme que le nombre de victimes civiles reconnues par le Pentagone est « nettement sous-estimé ». » «Des milliers de civils morts»: une enquête accable les tirs de drones de l'armée américaine, RFI, 19 déc. 2021

 

Crime de guerre français

« Le 3 janvier 2021, deux avions de combat français Mirage 2000D ont effectué une frappe aérienne près du village de Bounti, dans le centre du Mali.

Selon des militants locaux et un rapport de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la frappe a touché une fête de mariage. Vingt-deux personnes ont été tuées, dont 19 civils. La plupart des morts étaient des hommes âgés de plus de 40 ans.

Bien que le rapport de la MINUSMA indique que cinq des 100 personnes présentes à la fête de mariage étaient probablement des membres du groupe islamiste armé Katiba Serma, ses enquêteurs n'ont pu trouver “aucun élément matériel sur les lieux attestant de la présence d'armes”.

Malgré cela, la ministre française des Armées, Florence Parly, a rejeté les conclusions du rapport, affirmant lors d'une conférence de presse pendant une visite officielle à Bamako en avril 2021 que les hommes visés par la frappe aérienne étaient des terroristes et que “tous les principes fondamentaux visant à préserver les civils ont été appliqués”. (…)

Une bataille de récits

Le lendemain de la frappe aérienne, des mentions de ce qui s'était passé à Bounti ont commencé à apparaître sur les médias sociaux.

La version du gouvernement français de l'événement a été partagée dans un communiqué de presse le 7 janvier. Selon ce communiqué, plus d'une heure avant la frappe aérienne, un drone MQ-9 Reaper effectuait une mission de collecte de renseignements au-dessus de la région de Douentza, dans le centre du Mali, lorsque le drone a détecté une moto avec deux individus, juste au nord de la RN16. La moto a fini par rejoindre un groupe d'environ 40 autres hommes à un kilomètre de Bounti.

“L'ensemble des éléments de renseignement et de temps réel a alors permis de caractériser et d'identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [Groupe Armé Terroriste]”, note le communiqué. Après une heure et demie d'observation, l'armée française déclare ne pas avoir détecté de femmes ou d'enfants et ordonne une frappe.

Deux jets Mirage 2000D déjà en vol ont été priés de frapper l'endroit à 15 heures, heure locale. Environ 30 hommes ont été touchés. Le communiqué de presse fournit les coordonnées militaires (…) du lieu de la frappe aérienne. (…)

Toutes les parties sont à peu près d'accord sur les événements décrits par le ministère français des Armées : la chronologie, le nombre de victimes, le lieu et le sexe des victimes.

Cependant, le rapport de l'ONU diffère des affirmations françaises sur un certain nombre de points clés.

Les enquêteurs de la MINUSMA qui l'ont compilé disent avoir mené des entretiens individuels en face à face avec plus de 115 personnes, avoir eu des conversations de groupe avec 200 autres, et une centaine d'entretiens téléphoniques supplémentaires.

Selon leur rapport, la grande majorité des hommes ciblés n'étaient pas des insurgés en train de se regrouper, mais s'étaient en fait réunis pour un mariage à Bounti.

Selon le rapport de la MINUSMA, les hommes et les femmes participant au mariage ont été séparés pendant les célébrations “selon les traditions locales”.

Les hommes se sont rassemblés à environ un kilomètre du village, dans une zone couverte de petits arbres et d'arbustes. C'est là que l'attaque aérienne devait frapper.

Les personnes interrogées par la MINUSMA ont suggéré que cinq hommes armés, qu'ils supposent appartenir à Katiba Serma, un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda, se sont également joints au rassemblement. Le reste des personnes présentes étaient des civils, ont-elles déclaré.

La frappe a eu lieu à 15 heures, heure locale, et 19 personnes ont été tuées sur le coup. Trois autres personnes ont succombé à leurs blessures lors de leur transport vers la clinique la plus proche. Parmi les 22 personnes tuées, trois ont été identifiées par la MINUSMA comme étant des membres de Katiba Serma.

“Cette frappe soulève d'importantes préoccupations quant au respect des principes de conduite militaire”, conclut le rapport de la MINUSMA dans sa section sur la légalité de la frappe aérienne et l'identité de ses cibles. Le rapport recommande une enquête malienne et française urgente, transparente et indépendante sur les circonstances de la frappe, ainsi que sur les critères utilisés pour distinguer l'appartenance à un groupe armé. » France Targeted ‘Terrorists’ with a US-Made Bomb in Mali. Witnesses Say They Hit a Wedding, Bellingcat, April 11, 2022

 

« Suite aux allégations faisant état de la mort de plusieurs civils suite à une frappe aérienne à proximité du village de Bounty le 3 janvier 2021, la MINUSMA, à travers sa Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP), a déployé une mission spéciale d’établissement des faits du 4 janvier au 20 février 2021, avec l’appui de la Force et le soutien de la police scientifique des Nations Unies et de l’information publique en vue de faire la lumière sur les informations et allégations reçues.

L’équipe de la mission composée de quinze (15) chargés des droits de l’homme, avec le soutien de deux (2) experts de la police scientifique des Nations Unies et de deux (2) chargés de l’information publique a effectué ses travaux à Bamako, Mopti, Sévaré, Douentza et Bounty.

Dans le cadre de cette enquête spéciale conduite conformément à la méthodologie du Haut- commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, l’équipe a observé des règles strictes de collecte d’information et de témoignages afin de s’assurer non seulement du respect des plus hauts standards en la matière, mais également de la crédibilité, la pertinence et fiabilité des éléments collectés. L’équipe a organisé des entretiens présentiels individuels avec au moins 115 personnes et avec au moins 200 personnes lors des réunions groupées et réalisé plus d’une centaine d’entretiens téléphoniques. Elle a également analysé au moins 150 publications, notamment des communiqués et déclarations officiels, des articles de presse, des déclarations et positions d’autres acteurs et des sources ouvertes ainsi que des photographies et vidéos concernant la frappe de Bounty. Le 25 janvier 2021, avec l’appui et la couverture aérienne de la force de la MINUSMA, l’équipe s’est rendue à Bounty et visité le lieu de la frappe aérienne, l’endroit présumé d’enfouissement des dépouilles des personnes tuées par la frappe ainsi que le village.

Au terme de l’enquête, la MINUSMA est en mesure de confirmer la tenue d’une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma.

Au moins 22 personnes, dont trois des membres présumés de la Katiba Serma présents sur le lieu du rassemblement, ont été tuées par la frappe de la Force Barkhane survenue le 3 janvier 2021 à Bounty. Sur les 22 personnes tuées, 19 l’ont été directement par la frappe dont 16 civils tandis que les trois autres civils ont succombé des suites de leurs blessures au cours de leur transfèrement pour des soins d’urgence. Au moins huit autres civils ont été blessés lors de la frappe. Les victimes sont tous des hommes âgés de 23 à 71 ans, dont la majorité habitait le village de Bounty. » Rapport sur l’incident de Bounty du 3 janvier 2021, MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), mars 2021

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