Politique climatique et élections

La décarbonation est le sujet le plus important car il conditionne et oriente tous les autres. Il s'agit donc de savoir quelles politiques doivent et peuvent être mises en place pour que la décarbonation soit effective.

Avoir en tête les orientations de la Stratégie Nationale Bas Carbone de l’État est un bon prérequis.


Trois mesures pour accélérer la transition

Passons par le monde de l'entreprise pour commencer car sans les entreprises rien ne se fera. Les grands entreprises ont toutes des directeurs du développement durable. Depuis quelques temps, leur travail me semble plus sérieux, ils délaissent de plus en plus la propagande de l'éco-blanchiment (repeindre les murs en vert) et viennent de publier une tribune :

« (…) appeler le futur locataire de l'Élysée et tous les porteurs de mandats électoraux à considérer les limites planétaires en tant que données d'entrée de leurs programmes politiques. (…) nous devons changer notre façon de produire la valeur. Nous ne pouvons plus continuer à valoriser la seule performance financière, sans évaluer objectivement les conséquences délétères des externalités négatives associées à la production. (…)

Trois mesures phares à inscrire d'urgence dans tous les programmes (…) reconfigurer une économie compatible avec la crise climatique qui s'exacerbe (…)

[1.] La première mesure concrète consiste à imposer le déploiement d'un nouveau système comptable qui permettra de maximiser le capital financier, tout en tenant compte de l'essentiel : la préservation du capital naturel et du capital humain. (…)

[2.] La seconde consiste à reconfigurer les modèles économiques des entreprises par l'intermédiaire d'une fiscalité incitative et de régulations adaptées. Il s'agit de dissuader la fabrication de quoi que ce soit, si l'on ne s'est pas auparavant préoccupé a minima de la fin de vie des produits. La collectivité n'a plus, depuis longtemps, les moyens de réparer les inconséquences des modèles linéaires dominants, qui consistent à extraire toujours plus de matières premières, à fabriquer et vendre des produits à durée de vie éphémère, qui finissent en tant que déchet le plus souvent dans la nature. Pour produire sans détruire et sans altérer les écosystèmes, nous n'avons pas d'autres choix que de privilégier l'adoption de modèles dits de fonctionnalité, basés sur la commercialisation des usages des produits en favorisant par tous les moyens le réemploi.

[3.] Enfin, la troisième mesure et sans doute la plus importante : flécher la majorité de nos flux financiers en faveur de la rénovation de nos logements et de nos systèmes de transports (l'ensemble représentant plus de 50% des émissions de CO2), mais aussi pour réimplanter en France une industrie de l'essentiel (alimentation, énergie…), basée sur la sobriété et les circuits courts (…)

Ces mesures sont difficiles à présenter dans un programme : on parle bien de plus de régulation et de changements. Mais il est temps d'avoir le courage de dire la vérité. La première est que non, la main invisible du marché ne sera pas capable de corriger les dérèglements qu'elle a elle-même engendrés. La seconde est qu'il y aura de moins en moins d'énergie pour alimenter le système économique et qu'elle sera de plus en plus chère. Au lieu de perpétuer les mêmes fausses croyances d'arbres qui montent au ciel, sachons réinventer les promesses politiques en définissant des plans structurels pour restaurer notre souveraineté alimentaire et énergétique.

Nous ne pourrons pas adresser l'urgence climatique sans accepter avec humilité la finitude des ressources, non pas comme un risque, mais plutôt comme une opportunité pour améliorer le bien-être de tous. Ainsi loin de condamner nos entreprises dans une mondialisation déshumanisée, l'adoption de ces mesures phares adossées à un mécanisme ambitieux d'ajustement carbone aux frontières européennes, confèrerait à la France une plus grande résilience, y compris sur le front de l'emploi, et plus de sécurité. (…) » Présidentielle : les responsables développement durable proposent trois mesures pour accélérer la transition, La Tribune, 30 mars 2022

Climat et présidentielle

Clement Jeanneau lui, fait la liste des analyses des programmes climatiques des candidats et nous partage ce qu'il en retient, extraits :

« Le changement climatique n'est pas qu'un problème scientifique et encore moins technique. Il est fondamentalement politique. (…) Le nier et ne pas aborder ses enjeux de manière transverse et systémique est une prison intellectuelle qui conduit dans le mur » (…)

vous trouverez ici un récapitulatif d’analyses des programmes des candidats, puis les trois grands éléments que je retiens de cette présidentielle vis-à-vis de l’enjeu climatique. (…)

Une non-campagne qui nous prive de débat sur le sujet (…) « malgré la forte attente de la population, il y a une forme de déni de débat démocratique sur le climat » (…) frustrés de cette campagne (…) La frustration est double : elle concerne le manque de débat de fond sur le climat ET l’offre politique sur le sujet. Entre les partis démagogiques sur les questions énergétiques, le refus d’une large partie d’entre eux de sortir de la logique du productivisme et de considérer sérieusement le levier de la sobriété, l’absence quasi-générale de plan sérieux pour respecter l’accord de Paris année après année (…)

Pour être guidé dans son choix

En attendant, le premier tour approche. Pour nous aider dans notre choix, plusieurs analyses sont disponibles :

  • Le think tank I4CE a analysé et comparé les programmes des 7 principaux candidats, en particulier en termes de budget pour le climat : lire ici la synthèse ; et ici l’analyse par candidat.

  • Le Réseau Action Climat, qui fédère de nombreuses ONG, a proposé une analyse sectorielle intitulée « Que valent les candidats sur le climat ? ». Greenpeace a également proposé son propre décryptage par candidat. Reporterre a publié de son côté un comparateur des programmes sur l’écologie.

  • Le compte Twitter « Après l’effondrement » a réalisé un travail pédagogique et d’utilité publique qui compare les mix électriques proposés par chaque candidat à l’horizon 2050.

  • (…) Les Shifters ont analysé les programmes des candidats sur la décarbonation : à retrouver ici sur le site de FranceInfo. (…)

  • Voir ici le comparatif des programmes climat des candidats réalisé par les ONG de l'Affaire du Siècle, l'association Data for Good et le collectif d'experts climat Éclaircies.

  • Les candidats ou leurs représentants ont répondu ici aux questions de la Convention des entreprises pour le climat.

Globalement les analyses convergent dans le même sens, vers 2, ou 3 candidats, même si le sujet du mix électrique rend la lecture un peu moins limpide (ainsi un grand nombre d’observateurs critiquent le sérieux des positions de JL Mélenchon sur le nucléaire). Pour trancher entre ces candidats, le choix dépend de sensibilités personnelles (sur l’international, sur l’ambition de lutte contre les inégalités, etc.) et de l’envie ou non de voter « tactiquement » (par exemple pour que les questions écologiques soient au 2nd tour à la place des idées d’extrême droite, ce qui changerait la nature du débat d’entre-deux-tours et des débats politiques post-élection). (…)

Ce qu’on peut retenir de cette présidentielle (…)

1/ Un clivage droite – gauche très net

« L’écologie fait apparaître un clivage entre droite et gauche, en termes d’ambition, bien plus clair que par le passé » considère le politologue Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof, cité dans un article du Monde mi-mars. (…)

Les réponses à la crise écologique constituent la colonne vertébrale des projets portés par Y. Jadot, J-L. Mélenchon (…)

LR et LRM proposent une « réponse technologique sans remise en cause des modes de vie » (…)

« Le lien de causalité entre un système économique basé sur les énergies fossiles et la crise climatique est escamoté par tous les candidats de Macron à Zemmour » (…) Y. Jadot et J-L. Mélenchon montrent « une volonté de réarticuler l’ordre économique et social autour de l’impératif climatique, plutôt que d’en faire une réflexion annexe ou une case à cocher en bas du programme » (…)

Les renouvelables sont incontournables pour électrifier nos usages rapidement, puisque le nucléaire nouveau ne sera pas livré avant 2035 ; (…) Maintenir notre production nucléaire actuelle sera déjà un défi technique en tant que tel, et les 14 EPR prévus par Emmanuel Macron pourraient bien ne servir qu'à ça. (…)

« Tous les scénarios de systèmes énergétiques 100 % décarbonés impliquent de véritables paris industriels, voire des ruptures technologiques inédites. (…) [Par exemple] les partisans d’un non-renouvellement du parc nucléaire existant devront préciser quelles sont les options retenues pour rendre neutres en carbone les centrales à gaz et autres moyens de flexibilité nécessaires à la sécurité de l’approvisionnement » (…)

2/ Il existe maintenant un plan pour décarboner le pays

Il faut saluer le travail colossal réalisé par l’association The Shift Project pour aboutir à son Plan de Transformation de l’Economie Française (PTEF) : un plan secteur par secteur pour expliquer « comment la France peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 5 % par an » (voir le site ilnousfautunplan.fr). Ce plan est bien sûr certainement encore améliorable, et contestable puisqu’il repose sur certains hypothèses et privilégie certaines choix de société, mais il a déjà le mérite d’exister : jamais un tel travail n’avait été réalisé de façon aussi développée. (…)

est-il normal que ce travail n’existe que grâce à la bonne volonté d’une association et aux dons de citoyens et d’entreprises (un grand crowdfunding a été organisé en 2020, ayant permis de récolter plusieurs centaines de milliers d’euros), et qu’il ne soit pas mené par les services de l’Etat chargés de la prospective, que ce soit France Stratégie ou le Haut-Commissariat au Plan (…)

Bref, pour respecter l’accord de Paris et mener les transformations que cela implique, il va falloir changer de braquet et ne plus considérer comme optionnelle l’atteinte des objectifs climatiques dans les scénarios d’emplois. Dans cette optique, en attendant qu’une autre institution propose mieux, le plan du Shift constituera une précieuse base de travail après la présidentielle. (…)

3/ Le mot PLANIFIER n’est plus un gros mot (…mais reste encore à l’assumer dans les faits)

Le troisième et dernier élément que je retiens de cette présidentielle est le changement de regard sur la notion de planification. Ce n’est plus un tabou. Plus encore : les acteurs économiques eux-mêmes se disent en demande d’un plan pour la transition bas carbone (…)

« L’arme fatale des économistes – la taxe carbone et des permis —n’est pas dosée pour l’urgence [climatique]. Ces dispositifs fonctionnent certes. Mais à la marge. (…) Prendre le tournant climatique, c'est agir de front sur les prix, la demande, les structures productives, l’aménagement du territoire, dans un délai incroyablement court. Et mettre en mouvement tous les étages de la société. Difficile d’imaginer, disons-le, qu’un tel mouvement soit possible autrement que dans le cadre d’une planification impérative » (…)

François Lenglet: « Un mot incroyable dans [l]a bouche [de Macron] a été prononcé : la planification. Soulignons que la planification écologique est le cœur du programme économique de Jean-Luc Mélenchon. Macron vient braconner sur les terres de l’extrême-gauche parce que cette idée est en phase avec l’esprit des temps. Pendant nos deux crises, l’épidémie et la guerre russe, nous avons touché du doigt les limites du système de marché. Avec les pénuries, les ruptures d’approvisionnement, les désordres engendrés par les fluctuations des prix du pétrole et des matières premières. Parce que la demande de souveraineté est désormais la pulsion politique principale, dans nos pays, et que pour la satisfaire, il n’y a guère que l’État. Parce que la transition écologique ressemble aux grands plans d’équipements de la reconstruction de la France après-guerre. » (…)

« Chaque secteur doit intégrer les enjeux énergie-climat au cœur de ses travaux prospectifs sur les compétences. On observe que ce type de travail est rarement engagé à l’heure actuelle, hormis dans les (trop rares) secteurs considérés comme ceux de la transition énergétique : énergie, bâtiment et transport. Les autres se sentent trop peu concernés », et « en particulier l'agriculture, l'agroalimentaire et l’industrie, grands absents des projections à l’heure actuelle. »

Deux secteurs sont emblématiques et sources de possibles graves crises sociales à l’avenir si une planification sérieuse n’est pas entreprise : l’aérien, et l’automobile. Je reviendrai sur l’aérien plus tard : le sujet est encore tabou car il vient toucher à la croyance d’un « avion vert » possible dans les horizons de temps compatibles avec l’accord de Paris.

Pour l’automobile, les esprits se préparent déjà : l’Observatoire de la métallurgie envisage, si la dynamique reste la même, la disparition de plus de 50 % des emplois industriels automobiles d’ici à 2035. (…) » Climat et présidentielle : numéro spécial (partie 1), Clément Jeanneau, 27 mars 2022

J'ai récupéré les infographies de France Info et des Shifters qui offrent un tableau récapitulatif de l'adéquation des programmes climatiques des candidats avec les objectifs climatiques de la France.

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