La crise de mai 58 [revue de web] 1/6

La fin de la IVe République et le retour au pouvoir du général De Gaulle - présentation, contexte, déroulement des évènements

 

Exergue

« L’histoire n’est pas ce qui s’est passé, mais une histoire de ce qui s’est passé. Et il y a toujours différentes versions, différents récits, sur les mêmes événements. Une version peut tourner principalement autour d’un ensemble spécifique de faits, tandis qu’une autre version peut les minimiser ou ne pas les inclure du tout.

Comme les contes, chacune de ces différentes versions de l’histoire contient des leçons différentes. Certaines histoires nous disent que nos dirigeants, au moins, ont toujours essayé de bien faire pour tout le monde. D’autres remarquent que les empereurs n’ont pas à cœur l’intérêt des esclaves. Certaines nous enseignent que c’est à la fois ce qui a toujours été et ce qui sera toujours. D’autres nous conseillent de ne pas confondre une domination passagère avec une supériorité intrinsèque. Enfin, certaines histoires brossent un tableau où seules les élites ont le pouvoir de changer le monde, tandis que d’autres soulignent que le changement social est rarement imposé d’en haut.

Quelle que soit la valeur de ces nombreuses leçons, l’histoire n’est pas ce qui s’est passé, mais les récits de ce qui s’est passé et les leçons que ces récits contiennent. Le choix même des histoires à enseigner dans une société façonne notre vision de la façon dont ce qui est, est arrivé et, à son tour, de ce que nous comprenons comme possible. Ce choix de l’histoire à enseigner ne peut jamais être « neutre » ou « objectif ». Ceux qui choisissent, soit en suivant un programme établi, soit en étant guidés par des préjugés cachés, servent leurs intérêts. Leurs intérêts peuvent être de poursuivre ce monde tel qu’il existe actuellement ou de créer un nouveau monde. » History is a weapon

 

Présentation

Cette revue de web a été suscitée par la vidéo de Patchwork : « Le coup d’État du général De Gaulle » publiée le 9 juin 2022 et basée sur le livre de l’historien américain Grey Anderson La guerre civile en France, 1958-1962 : du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS (La Fabrique, 2018). Le mois de mai 1958 marqua la fin de la IVe République et donc le début de notre Ve République, un moment important de notre histoire contemporaine donc.

C’est un gros dossier que j'ai donc découpé en six billets (publiés prochainement). Je vous conseille de vous familiariser avec la chronologie des faits ci-dessous. Un répertoire des “personnages principaux” est disponible pour être au fait de qui est qui et qui fait quoi. Pour chaque article, portez attention à qui écrit, qui parle, son statut et sa position en terme politique par exemple.

Les passages en gras sont ajoutés. Hormis les PDF intégrés (embedded), il n’y a que des extraits d’articles, je vous incite à lire en entier les papiers qui vous intéressent. En deuxième partie les historiens seront nos guides, à commencer par trois articles qui passent en revue la littérature, ceux de Pierre Girard, Grey Anderson et Bryan Muller. Par simplicité, j’ai classé les ouvrages des historiens de manière chronologique. La section consacrée à Grey Anderson est la plus conséquente. N’oubliez pas les productions décapantes des journalistes Christophe Nick et Rémi Kauffer. À la fin du dossier, vous retrouverez quelques témoignages d’acteurs, celui du général Jouhaud sur l’opération Résurrection achèvera de vous dessiller les yeux.

Manque à cette revue de web, le pan des relations internationales c’est-à-dire essentiellement l’influence des États-Unis — grand argentier des finances françaises— suite au bombardement de Sakiet Sidi Youssef et l’état de l’opinion publique métropolitaine.

Si les PDF intégrés ne s’affichent pas, vous trouverez au-dessus de chacun, un lien pour le visionner et le télécharger. Pour référence, vous pouvez télécharger tous les PDF et les documents audio à cette adresse La crise de mai 1958.

Le visionnage d’un documentaire vous donnera une vue d’ensemble. Celui de Patrick Rotman et Virginie Linhart, « De Gaulle, le retour, 13 mai 1958 » (2005) est incontournable.

« Depuis le 9 avril, la France n'a plus de gouvernement. Celui de Félix Gaillard, renversé, expédie les affaires courantes. On a fait appel à Georges Bidault, puis à René Pléven. Aucun n'a recueilli l'investiture de l'Assemblée. Les ultras à Alger, qui ne cessent de comploter, se sont assurés l'appui des hommes politiques partisans de l'Algérie française.

Le 13 mai, une gerbe est déposée au monument aux morts d'Alger, en mémoire de la fusillade par le FLN de trois soldats français prisonniers depuis 1956. L'immense foule qui a assisté à la cérémonie part à l'assaut de l'immeuble du gouvernement général à Alger, aux cris de « Vive Massu ! Vive l'Algérie française ! ». L'immeuble envahi, la mise à sac commence. Massu, constatant que le mouvement est impossible à maîtriser, sauf à tirer sur une foule désarmée, décide de le « coiffer ». Il se nomme président d'un comité de salut public.

A 20h45, il lit sur le balcon sa proclamation :« Moi, Général Massu, je viens de former un comité de salut public (…) pour qu'en France soit formé un gouvernement de salut public, présidé par le Général De Gaulle ». Le 29 mai, dans un message au Parlement le président de la République René Coty demande l'investiture du Général De Gaulle comme chef de gouvernement.Comment la « marmite algéroise » a-t-elle pu imposer par un coup de force militaire le retour au pouvoir du Général De Gaulle et précipiter la liquidation de la IVème République ?

C'est tout l'objet de ce documentaire, réalisé autour d'un témoignage exceptionnel : celui de Lucien Neuwirth, réserviste en uniforme, venu de la métropole, qui s'est associé avec Léon Delbecque, représentant de Jacques Soustelle, pour se déclarer organisateurs de la manifestation de l'après-midi du 13 mai à Alger. Ces gaullistes, en noyautant le comité de salut public issu de l'émeute, vont l'orienter en faveur du retour du Général De Gaulle au pouvoir. »

 

Planter le décor

Georgette Elgey et la fin de la IVe République [émission, 31'], France Inter, 5 oct 2018

« En 1962, Georgette Elgey, journaliste et historienne française [Wikipédia], s’est attelée à l’histoire d’un temps politique qui, alors, était encore très présent. La IVe République, qui ne datait que du lendemain de la Libération, venait de tomber.

Georgette Elgey avait mis au point une méthode qui, alors, n’était qu’à elle. Elle recueillait avec un bel esprit de système les témoignages des acteurs politiques contemporains. Lesquels, sur sa bonne mine, lui confiaient parfois leurs archives : la règle n’avait pas encore été établie de la collecte par les Archives Nationales des papiers des cabinets ministériels.

(…) Elle fit alors le même constat amer que pendant l’élaboration de son Histoire de la IVe République : raconter une seule journée prend bien plus longtemps que de la vivre. Georgette Elgey avait imaginé une scansion en trois périodes. - Première période : la IVe avait cultivé des illusions. On avait cru qu’avec la paix de 1945, les guerres seraient finies et ce furent l’Indochine et l’Algérie. - Elle nomma la période suivante : la République des contradictions. Les partis de gouvernement se sont combattu comme des chèvres qui emmêlent leurs cornes sur une passerelle tandis que, d’un côté, les guettaient les communistes et, de l’autre, les gaullistes. - Enfin s’est ouverte la période des tourments qui a mené à la fin, dans les convulsions de mai 1958.

Mais, à mesure qu’avançait la rédaction, les alluvions du fleuve débordaient. Le projet avait débuté en 1962 et l’ultime volume consacré à De Gaulle, dernier président du Conseil de la IVe, parut en 2012. Quand Georgette Elgey renonçait à poursuivre le livre, c’était le livre qui la poursuivait. Cinquante ans pour une République de treize ans ! Mais l’éditeur, Fayard, qui avait acheté sur plan ne fut pas déçu : il se retrouvait devant une maison, certes un peu monstrueuse, mais qui tenait bien davantage que ses promesses.

Et en 2018, en ces jours anniversaires de la Constitution de 1958, voici que la collection Bouquins chez Laffont prend le relais. Avec le secours de Matthieu Rey, Georgette Elgey propose une édition complètement restructurée, en deux volumes seulement mais serrés. »

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Les Unes des journaux du 14 mai 1958

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« Quoiqu’il en coûte aux sentiments que j’éprouve pour la personne et le passé du général De Gaulle, je ne voterai pas en faveur de son investiture; et il n’en sera ni surpris, ni offensé. Tout d’abord, je ne puis admettre de donner un vote contraint par l’insurrection et la menace d’un coup de force militaire ». (…) extrait du discours de Pierre Mendès France lors du débat d’investiture du général De Gaulle, le 1er juin 1958.

« Le référendum constitutionnel français du 28 septembre 1958, proposé sous la présidence de la République de René Coty et du gouvernement dirigé par Charles De Gaulle, demandait aux Français de ratifier le projet de Constitution préparé par le Comité consultatif constitutionnel et le Parlement sous l’égide de Michel Debré et du président du Conseil, le général De Gaulle. Ce texte de la Constitution pose les fondements de la Cinquième République. Confortée par plus des quatre cinquièmes des voix, la nouvelle constitution fut promulguée le 4 octobre 1958 et la Ve République proclamée le jour suivant. » (Wikipédia)

 

Voici une liste non-exhaustive des termes employés par les journaux, les acteurs et les historiens pour caractériser les évènements : coup d’éclat (Brigitte Gaïti), coup de force (L’Humanité), pronuciamento(1), sédition militaire (Mendès-France), chantage militaire (Henri Guillemin), coup d’État de velours et coup d’État damoclétien(2) (Michel Winock), coup d’État démocratique (Christophe Nick) [remarquez l'oxymore], coup d’État légal (référence ?), vrai-faux coup d’État (Hérodote), « entreprise d’usurpation et gouffre de la guerre civile » (De Gaulle cité par Gaïti), machination, mystification, complot, complot fasciste, mouvement populaire, émeute, insurrection. Sur la fin de la IVe République, les journalistes parlaient de suicide (Hubert Beuve-Méry), euthanasie (Jacques Julliard), meurtre, assassinat, mise à mort… Dans ses mémoires, De Gaulle s’est considéré comme un “Deus Ex Machina”. Pour l’historien Maurice Agulhon, le « coup d’État comme spectre ou comme mythe a figuré activement dans l’épisode » (Coup d’État et République, 1997, p. 79).

  1. Un pronunciamiento est un procédé par lequel l’armée se déclare contre le gouvernement en place dans le but de le renverser. (Wikipédia)
  2. « Damoclès, un orfèvre, est le personnage-clé d’un épisode de la mythologie grecque. (…) Damoclès est une figure présentée dans une allégorie morale dite de « l’épée de Damoclès ». Cette expression est utilisée pour signifier qu’un danger constant peut nous frapper. (…) Depuis le XIXe siècle, on parle d’une « épée de Damoclès » pour décrire une situation particulièrement dangereuse ou pénible qui peut se produire d’un moment à l’autre. » (Wikipédia)
 

Planter le décor II

Grey Anderson lors d’un entretien aux Inrocks:

« À l’époque, on parlait beaucoup de « complots », et de l’éventuelle complicité de De Gaulle dans le soulèvement qui aboutit à son retour aux affaires. L’ouverture des archives de la présidence n’a pas, à cet égard, apporté de nouvelles preuves probantes, en d’autres termes, il n’y a pas de « smoking gun » : les faits sont là, connus de tous – seul change l’interprétation qu’on leur donne. Ce qui est frappant c’est la permanence d’une grille de lecture déjà formulée par différents acteurs à l’époque. C’est le cas du journaliste français Christophe Nick qui présente l’action du général De Gaulle comme un coup démocratique.

Toujours est-il que soixante ans après circule le fantasme d’un machiavélisme gaullien, les uns insistant sur le côté autoritaire du Général, son scepticisme à l’égard de la légalité républicaine, d’autres qui voient en lui au contraire une sorte de sauveur, un « George Washington » français. Les deux tendances se rejoignent par l’importance qu’elles accordent à la personne de De Gaulle et à ses ambitions.

Ce n’est pas ma manière de considérer les choses. En suivant la politologue Brigitte Gaïti [De Gaulle : Prophète de la Cinquième République, 1946 – 1962, Paris : Presses de Sciences Po, 1998], je me suis beaucoup plus intéressé à la manière par laquelle divers protagonistes — De Gaulle et ses collaborateurs, bien sûr, mais aussi des militaires, des hommes politiques, des intellectuels — ont négocié une interprétation neutralisante de cette crise. On a créé la légitimité de la République gaulliste à partir d’une base a priori pas très favorable à l’interprétation légaliste qui aujourd’hui domine. »

Le gaulliste Raymond Triboulet : « si le “complot” n’a pas été conçu et ordonnancé par le Général, [celui-ci] a laissé grandir autour de lui une “opération” menée par des acteurs dont certains, et non des moindres, pouvaient se targuer de cet “accord tacite” qu’ [il] savait si bien donner » (cité par Odille Rudelle, Mai 1958, De Gaulle et la République, Plon, 1988, p. 118). (C6R-Paris)  

« (…) Michel Winock, qui a consacré une vingtaine de pages à cette question, préfère y voir un « coup d’État de velours » ou encore un « coup d’État “damoclétien” » Renaud Baumert, professeur de droit public, Jus Politicum revue de droit politique, déc. 2019

« la première solution, celle du “processus régulier”, l’arrivée au pouvoir en toute légalité, a sa préférence sans aucun doute. Mais il ne néglige pas un autre scénario : le débarquement des paras, une menace de guerre civile accrue et son intervention à lui, au bout de quelques jours, en arbitre ». (Michel Winock, L’agonie de la IVe République, Gallimard, 2006, p. 260). cité par C6R-Paris

« voici ce qu’écrit M. Winock, (...) professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, dans L’Agonie de la IVe République, éd. Gallimard, 2006, pp. 346/348 : « Le principal acteur reste bien entendu De Gaulle […]. Dans un premier temps, le 15 mai, il relance un mouvement insurrectionnel plus ou moins en panne par un simple communiqué. […] C’est l’insurrection d’Alger et la complicité des militaires qui lui offrent sa chance de revenir au pouvoir ; il se garde donc de toute condamnation à leur endroit. […] Si ce n’est pas un coup d’État, cela ressemble bien à un quasi-coup d’État. […] Comparée au coup d’État du 2 décembre [1851], la journée du 13 mai et ses suites n’ont aucun caractère sanglant, mais, comme au 18 Brumaire, l’armée y a joué un rôle majeur sans tuer personne. Privé de la menace des armes, le général De Gaulle eût été condamné à ruminer son chagrin […] dans le silence bucolique de Colombey-les-Deux-Églises. » » cité dans Wikipédia : Discussion:Charles De Gaulle/Archive 1


L’art du coup d’État, de Napoléon à la Junte birmane, Dominique Pinsolle, Le Monde diplomatique, juin 2021

« [C]ertains pays développés occidentaux, insiste-t-il, peuvent devenir des cibles de choix en cas de crise économique prolongée, de défaite militaire ou diplomatique ou d’instabilité politique chronique.

En 1958, c’est le cas de la France, enlisée dans la guerre menée en Algérie après avoir connu une défaite en Indochine. Accusant le président de la République René Coty de les abandonner, les partisans les plus radicaux de l’Algérie française s’insurgent à Alger. L’armée se rallie au mouvement : un Comité de salut public civil et militaire, dirigé par le général Jacques Massu, est formé le 13 mai 1958. L’objectif est de forcer le président à faire appel à Charles De Gaulle, qui a démissionné de la présidence du gouvernement en janvier 1946. Ce dernier ne trouve rien à redire aux conditions qui le font apparaître comme l’homme providentiel. Refusant de qualifier les officiers d’Alger de « factieux », il lance aux journalistes, le 19 mai : « Quant à l’armée, qui est normalement l’instrument de l’État, il convient qu’elle le demeure. Mais encore faut-il qu’il y ait un État. » Tout en respectant la procédure légale, Coty cède aux pressions des militaires, de plus en plus fortes (des parachutistes prennent le contrôle de la Corse le 24 mai). En permettant à De Gaulle d’être investi à la présidence du Conseil, le 1er juin, il lui octroie la possibilité d’opérer une refonte des institutions avec l’appui de la majorité des députés. Ainsi naît la Ve République, dont la Constitution est promulguée le 4 octobre 1958, au terme d’événements que les historiens ont encore du mal à qualifier. (…) »

 

Déroulement des évènements

Crise de mai 1958, Wikipédia

Coup d’État du 13 mai 1958, Wikipédia

France - Algérie - 1958 - chronologie des faits, Association des anciens combattants d’Afrique Française du Nord et des opérations extérieures

 

13 mai 1958 - Alger se révolte, Hérodote le média de l’histoire, 19 juin 2021

« Le 13 mai 1958, les Algérois d’origine européenne en appellent au général De Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France sur l’Algérie. L’insurrection va avoir raison de la IVe République… et inutilement prolonger la guerre d’Algérie en mettant fin aux espoirs nés quelques mois plus tôt. (...) »

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Mai-décembre 1958 : le retour de De Gaulle, Le Parisien, 21 déc. 2018

« En Algérie, une flambée de violence fait redouter un coup d’État militaire. Seul l’homme du 18 juin 1940 semble pouvoir restaurer l’ordre. Il consent à revenir aux affaires, à condition d’obtenir la peau de la IVe République. À la place, il a l’intention d’instaurer un régime qui musclera le pouvoir exécutif…

Ce 13 mai 1958 à Alger, les promesses de l’aube n’augurent rien de bon. Voilà trois jours que les indépendantistes algériens du Front de libération nationale (FLN) ont revendiqué l’exécution de trois militaires, des appelés du contingent. Trois jours que les Français d’Algérie sont à cran. Dans ce territoire où la guerre tait son nom depuis quatre ans, ils ont décidé d’honorer la mémoire de leurs morts.

Alors que la matinée s’étire, au cœur d’une ville gorgée de soleil et de rage, l’armée tricolore ne les en dissuade pas. Dans ce morceau de France en lambeaux, le vrai pouvoir est militaire. Exaspérés par les errements d’une IVe République trop instable pour mater la rébellion des « indigènes », les généraux se moquent des ministres parisiens comme de leurs premiers galons. S’il faut défier l’État pour conserver l’Algérie, ils n’hésiteront pas. (…) »

 

Présentations de professeurs de lycée

13 mai 1958 : la foule prend le pouvoir à Alger, M. Augris, 13 mai 2008

« Il y a tout juste cinquante ans, les partisans du maintien de l’Algérie Française s’emparaient du bâtiment du Gouvernement général à Alger. Des poujadistes (Lagaillarde) et des gaullistes s’allient avec des militaires pour renverser le pouvoir légal à Alger (le ministre socialiste Robert Lacoste) et mettent en place un Comité de salut public. L’homme de la bataille d’Alger, Jacques Massu, en prend la tête et fait réclamer le retour au pouvoir du Général De Gaulle. Pour la gauche, c’est un coup d’État, pour Pierre Pflimlin, qui vient d’être désigné Président du Conseil, c’est le signe que la situation algérienne est incontrôlable. Pour De Gaulle enfin, c’est l’occasion de revenir au pouvoir. La crise met fin à la IVème République. De Gaulle est finalement rappelé au pouvoir et met en place une Vème République. »

13 mai 58 : la naissance de la Vème République, Richard Tribouilloy, 13 mai 2008

« Alors que tout le monde se focalise sur l’anniversaire de mai 68, il ne faudrait quand même pas oublier qu’on célèbre aussi en ce moment des évènements autrement importants. Le cinquantenaire de la Vème République. On peut être étonné de l’absence d’écho politique ou médiatique autour d’une date pourtant majeure de l’histoire contemporaine. (…)

La Vème République est née dans des conditions très particulières. En effet l’arrivée de De Gaulle au pouvoir se fait dans une atmosphère insurrectionnelle de coup d’État militaire. Un coup d’État où le Général a joué un rôle encore mal éclairci… (…)

Le 13 mai alors que Pflimlin est investi [président du conseil, chrétien-démocrate] à Paris, se déroule à Alger une cérémonie en hommage à trois jeunes soldats capturés et exécutés par les rebelles, autour du monument aux morts des Glières, réunissant une foule immense, mêlant pieds noirs et musulmans. Les esprits s’échauffent, des cris fusent. “Algérie française ! ”, “ Pflimlin à la mer”, “L’Armée au pouvoir”. Très vite les manifestants sous la conduite d’une figure charismatique chez les ultras, Pierre Lagaillarde, brisent les grilles du gouvernement général d’Alger et mettent à sac les lieux. Ils font alliance avec les militaires présents sur place et notamment les officiers parachutistes à qui le gouvernement avait donné carte blanche pour écraser la rébellion indépendantiste, quels qu’en soient les moyens. Un gouvernement de salut public est créé sous la direction du général Jacques Massu, commandant militaire d’Alger et du général Raoul Salan, chef de l’armée en Algérie.

À Paris, c’est l’affolement, l’Algérie vient de vivre un véritable putsch. Malgré des propos fermes, Pflimlin ne convainc personne. Si l’armée suit massivement les putschistes, c’est carrément un coup d’État militaire qui pourrait balayer la République. Voire peut-être même une guerre civile qui se prépare. Dès le 24 mai, des troupes aéroportées venues d’Algérie débarquent en Corse et s’emparent des principales mairies sans effusion de sang. Une rumeur enfle, on commence à parler de l’Opération Résurrection : un raid parachutiste sur Paris pour s’emparer des lieux clefs de la capitale. Un homme apparaît alors comme un recours capable de calmer les esprits. Le général De Gaulle.

(…) ses amis et ses fidèles sont encore très actifs. Ils ont constitué des réseaux influents qui militent depuis le début de la guerre d’Algérie pour le retour du général considéré comme le seul capable de garder l’Algérie française de par son prestige et son statut de militaire. Le 10 mai 58, un éditorial de l’influent journal “l’écho d’Alger” titre «Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général…»

On retrouve d’ailleurs certains de ces gaullistes autour du comité de salut public d’Alger. Massu, ancien résistant, a toujours proclamé sa fidélité à De Gaulle. Lucien Neuwirth et Léon Delbecque, représentants du général en Algérie, sont présents aux côtés du comité de salut public d’Alger et jouent un rôle aussi discret que capital. Alors que les ultras sont partisans de radicaliser la révolte, ils préfèrent à s’appuyer sur les généraux, qui eux hésitent à rentrer dans une rébellion ouverte face au gouvernement. Le 15 mai Delbecque convainc le général Salan qui s’adresse aux Algérois (les habitants d’Alger) depuis le balcon du gouvernement général d’Alger, de terminer son allocution par un «Vive la France, vive l’Algérie française, vive le général De Gaulle !».

Le 19 mai, De Gaulle convoque les journalistes pour annoncer qu’il se tient prêt à assumer les pouvoirs de la République. À un journaliste qui s’inquiète de la tournure des évènements, il répond « Ai-je jamais attenté aux libertés publiques ? Je les ai rétablies ! Pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ? ».

Il engage des pourparlers avec le président de la République René Coty pour devenir président du Conseil. Mais il y met des conditions : il faudra changer la constitution. Alors que la Corse rallie le putsch et que la rumeur d’une intervention armée sur Paris enfle, De Gaulle négocie son arrivée au pouvoir. La gauche, persuadée que De Gaulle est en train de rééditer une prise de pouvoir comparable à celle de Pétain en 1940 tente d’empêcher l’arrivée du général par une grande manifestation qui reste sans effet.

Le 1er juin, De Gaulle est investi par René Coty comme président du conseil. Ce sera le dernier de la quatrième République.

(…) La Vème république est donc née dans une atmosphère étrange.Pour beaucoup d’historiens, la prise de pouvoir du Général a été une sorte de « coup d’État démocratique », celui-ci profitant des évènements pour s’emparer du pouvoir. Reste une question encore débattue par les historiens. Jusqu’à quel point les gaullistes ont-ils encouragé le putsch pour permettre à leur chef de reprendre le pouvoir. Le ralliement rapide de la Corse (où les gaullistes étaient très bien implantés) et le climat de peur qui régnait à Paris alors que De Gaulle négociait avec Coty sont-ils de simples coïncidences ? De Gaulle lui-même a-t-il donné des ordres à Delbecque et Neuwirth pour influencer le comité de salut public ou, comme à son habitude, a-t-il simplement laissé faire ses partisans sans se salir personnellement les mains. Autant de questions qui restent encore débattues, mais qui peuvent aussi expliquer pourquoi le cinquantenaire de la naissance de cette Vème république se fait dans une telle discrétion… »

 

A droite

La crise de 1958 et le retour au pouvoir, Fondation Charles De Gaulle

« L’impasse de la Guerre d’Algérie
Après avoir conduit à l’autonomie puis à l’indépendance la Tunisie et le Maroc, les gouvernements de la IVe République s’avèrent incapables de trouver une quelconque solution à la question algérienne. À compter de l’insurrection de la Toussaint 1954, les partisans de la négociation avec le FLN et ceux d’une politique de force se succèdent au gouvernement sans pouvoir imposer durablement leurs vues. Le gouvernement de Front républicain dirigé par le socialiste Guy Mollet, élu en 1956 sur un programme de dialogue en Algérie, mène ainsi une politique de force qui amène la démission de son ministre d’État, Pierre Mendès France. De même, la loi-cadre de Maurice Bourgès-Maunoury s’avère inopérante, la majorité gouvernementale abritant des forces politiques aux vues opposées sur l’Algérie, souvent divisées elles-mêmes sur la question. (…)

Le 13 mai 1958, les militaires d’Alger se révoltent et fondent un Comité de salut public présidé par le général Massu, réclamant un pouvoir politique fort et capable de les soutenir fermement dans la guerre contre les indépendantistes algériens. Seul le général De Gaulle, en retrait de la vie publique depuis la mise en sommeil du RPF en 1953, semble disposer de la légitimité suffisante pour faire face à la situation, et Massu fait appel à lui dès le 14 mai, tandis que des rumeurs de débarquement militaire en métropole se diffusent.

Le général De Gaulle, seul en mesure de sauver le régime républicain ?
Dès le lendemain, le 15 mai, le Général se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République », avant de développer son propos dans une conférence de presse le 19 mai, rassurant sur sa volonté évidente de maintenir la République souveraine (« Croit-on qu’à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? »). Cependant, il se refuse à désavouer officiellement le coup d’État militaire, ce qui le priverait de toute capacité à peser sur les évènements. Le 27 mai, De Gaulle annonce avoir « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ». Deux jours plus tard, avec l’accord des chefs des principaux partis politiques, Guy Mollet ou Antoine Pinay, le Président René Coty fait appel au Général pour former ce qui sera le dernier gouvernement de la IVe République : afin de pouvoir s’investir efficacement dans le règlement de la crise algérienne (dès le 4 juin, le Général est à Alger, où il lance à la foule le célèbre « Je vous ai compris »), le Général a obtenu la possibilité de rédiger une nouvelle constitution pour le pays, plus conforme à ses vues. »

Naissance de la Vème République, Gérard Petitpré, 11 janv. 2018

Gérard Petitpré, passionné par la Ve République, fut chargé de travaux dirigés en droit constitutionnel pendant 10 ans à l’université. Gérard Petitpré s'est inspiré de son ouvrage Les trente glorieuses de la Ve République (1958-1988) (Petitpré, L’Harmattan, avril 2014) pour rédiger le texte ci-dessous :

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Les journées de mai 1958, Association des anciens combattants d’Afrique Française du Nord et des Opex, 17 avril 2014

Sommaire :
- 13 mai 1958. Introduction
- 13 mai 1958. Le déclenchement
- La journée du 13 mai 1958
- Le 13 mai - Général Vanuxem
- La journée du 14 mai 1958
- La journée du 15 mai 1958
- Les journées des 16, 17 et 18 mai 1958
- La fraternisation
- L’opération “ Resurrection ”
- De Gaulle, l’unique recours possible
- Plus vite que son ombre
- Révélateur
- Radio-Algérie, un acteur méconnu de mai 1958
- La journée du 19 mai 1958 - le début de la fin
- Les derniers jours de mai 1958 - la messe est dite
- Juin 1958 - les pleins pouvoirs
- Le 4 juin 1958 - le pouvoir des mots 

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A gauche

Du 13 mai au 1er juin 1958 Le “Coup d’État démocratique” du général De Gaulle réussit puis installe la 5ème République, C6R, 13 mai 2006

« Rappelons les faits. Le 13 mai 1958 ont lieu à Alger une grève générale et une grande manifestation, en réaction à la fusillade par le FLN quelques jours plus tôt de trois soldats français. Parmi la grande masse des partisans de l’Algérie française, des activistes favorables à un gouvernement militaire réussissent à détourner ce mouvement, qui tourne à l’émeute et débouche sur la prise du Gouvernement général (GG). C’est que le 13 mai est aussi le jour où, à Paris, Pierre Pflimlin doit être investi par l’Assemblée nationale comme nouveau Président du Conseil, succédant à Félix Gaillard (démissionnaire depuis le… 15 avril). Or, des activistes aux pieds-noirs en passant par l’armée, personne à Alger ne veut de ce démocrate-chrétien « libéral », qui avait fait connaître son choix d’une solution négociée en Algérie.

Face à cette insurrection, l’attitude de l’armée française en Algérie est un mélange de complaisance, de complicité et de laisser-faire. Depuis de longs mois, les militaires ne supportent plus l’absence de ligne politique ferme du Gouvernement en métropole. Par télégramme secret du 9 mai adressé au Président de la République René Coty, le général Salan, chef des forces françaises en Algérie, avait d’ailleurs prévenu : « l’Armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national [i.e. : l’Algérie française]. On ne saurait préjuger sa réaction de désespoir ». (…) »

Comment De Gaulle a pris le pouvoir, Daniel Petri, 13 mai 2008

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Les Actualités Françaises commentées

Le 13 mai 1958 et ses conséquences à Paris et à Alger, Les actualités Françaises, 21 mai 1958

« À Alger, Français et Algériens manifestent pour l’Algérie française. Le général Salan déclare exercer le pouvoir. À Paris, Pierre Pflimlin forme son gouvernement. »

« Contexte historique
Les évènements du 13 mai 1958 mettent fin à la conception parlementaire de la République. Ce jour-là, à Alger, un comité de vigilance fondé par d’anciens combattants, des groupes de patriotes et des partis politiques, appelle à manifester contre le FLN. Au même moment, à Paris, le président de la République, René Coty, désigne au poste de président du Conseil le MRP Pierre Pflimlin. Il est investi avec une majorité confortable de 174 voix pour, 120 contre et 137 abstentions. À Alger, Pierre Pflimlin est soupçonné de vouloir abandonner l’Algérie française, si bien que sa désignation entraîne la manifestation sur un terrain politique, à un moment où Alger connaît une vacance du pouvoir : Robert Lacoste, représentant du gouvernement en Algérie, est parti sans attendre son successeur. La manifestation dégénère en émeute et les émeutiers s’emparent du siège du Gouvernement général.

Un comité de salut public est alors formé, où se retrouvent le gaulliste Léon Delbecque et le général Massu. Ce dernier fait nommer à la tête d’un Comité de salut public de l’Algérie française le général Raoul Salan, commandant en chef de l’armée d’Algérie. Pour ne pas sembler débordé, le gouvernement nomme également, le 13 mai, Raoul Salan au poste de Délégué général de l’Algérie. Salan gouverne donc l’Algérie, mais personne ne sait à quel titre, celui de chef de l’insurrection ou celui de représentant légal du gouvernement. Pierre Pflimlin décide également de former un gouvernement d’union nationale dans lequel il fait entrer les socialistes Guy Mollet et Jules Moch pour asseoir son pouvoir et montrer sa détermination à gouverner. Le 15 mai, Salan lance du balcon du bâtiment du Gouvernement général le slogan “Vive De Gaulle”. Le même jour, le général De Gaulle diffuse un communiqué de presse dans lequel il rend “le régime des partis” responsable de la situation et fait savoir qu’"il se tient prêt à assumer les pouvoirs de la République."

Pour le gouvernement et les parlementaires, De Gaulle est solidaire de la rébellion algérienne, qu’il encourage. Cette interprétation est renforcée par l’arrivée, le 17 mai à Alger, de Jacques Soustelle, qui vient activer les réseaux gaullistes et organiser des cortèges qui réclament le retour au pouvoir du général De Gaulle. Partout, la guerre civile est attendue avec crainte et des membres de l’état-major de Raoul Salan la préparent en concevant, du 16 au 19 mai, l’opération “Résurrection”, qui consiste à lâcher des parachutistes sur Paris pour prendre le pouvoir. L’État semble se désagréger. Le 19 mai, dans une conférence de presse, le général De Gaulle rassure la classe politique et l’opinion publique en précisant qu’il ne veut pas mettre en place une dictature : Antoine Pinay, Jacques Chaban-Delmas, puis Guy Mollet nouent des contacts avec De Gaulle pour préparer une transition politique qui s’éloigne de l’esprit et de la pratique des institutions de la IVe République. [Rioux Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, volume 2, L’expansion et l’impuissance, 1952-1958, Point Seuil, Paris, 1983] [Berstein Serge, Milza Pierre, Histoire de la France au XXe siècle, Complexe, Bruxelles, 1995]

Eclairage média
Ce document, qui couvre la semaine du 13 au 20 mai 1958, montre à quel point les Actualités françaises se font, dans des circonstances controversées, le fidèle relais du point de vue gouvernemental en lieu et place d’une information honnête et équilibrée. Les silences, d’abord, sont remarquables, malgré des images éloquentes. Silence sur l’appel lancé par le général Raoul Salan au général De Gaulle le 15 mai, alors que les caméras ont enregistré la présence bien visible dans la foule des banderoles avec le nom de De Gaulle, signe que la manifestation du 15 mai a bien été préparée par les gaullistes d’Algérie. Aucune explication n’est donnée. Silence également sur les deux interventions du général De Gaulle : aucune mention de son communiqué de presse du 15 mai, pas un mot sur sa conférence de presse du 19 mai.

Des trois forces en présence pendant la semaine, Pierre Pflimlin, Charles De Gaulle et Raoul Salan, le reportage ignore totalement le général De Gaulle, y compris dans l’extrait tourné le 17 mai qui signale la présence de Jacques Soustelle à Alger : les images montrent bien qu’une banderole dans la foule réclame “De Gaulle au pouvoir”, tandis que le commentaire est silencieux sur ce point et n’explique pas non plus les positions politiques défendues par Jacques Soustelle. La seule version gouvernementale des évènements est donc privilégiée. Elle se veut rassurante : quoi qu’il arrive, le gouvernement gouverne, et l’inquiétude d’une guerre civile est passée sous silence, tandis que les manifestations qui rapprochent Algériens et Français d’Algérie (ici qualifiés tous deux de race), sont saluées comme signifiant une ère nouvelle avec la nomination du nouveau président du Conseil. »

L’arrivée au pouvoir de Charles De Gaulle en 1958, Les Actualités Françaises, 4 juin 1958

« Après des manifestations insurrectionnelles en Algérie, une crise politique éclate : le président du Conseil Pierre Pflimlin présente sa démission le 28 mai. Le président de la République René Coty appelle le général De Gaulle au pouvoir. »

« Contexte historique
À l’occasion de l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, le Journal national des Actualités Françaises réalise une édition spéciale de 8 minutes qui résume les évènements et les interprète de façon favorable au nouveau détenteur du pouvoir exécutif. Sont ainsi passés sous silence des évènements qui ont permis aux opposants de parler d’un coup d’État.

En trois semaines, les faits s’enchaînent rapidement. Lors d’une manifestation en Algérie le 15 mai, le général Salan sort de son rôle et empiète sur les prérogatives du pouvoir civil : il fait appel au général De Gaulle pour sortir de la situation de crise, de l’instabilité politique, et pour conserver l’Algérie française. En Corse, des manifestants dans la rue condamnent la IVe République, Pascal Arrighi forme les 24 et 25 mai des comités de salut public qui sont nettement insurrectionnels. À Paris, beaucoup craignent une opération militaire, et le parachutage de soldats venant d’Algérie pour mener un coup d’État dans la métropole : c’est l’opération Résurrection qui est téléguidée depuis Alger par les Généraux.

À Paris, le général De Gaulle tonne contre “le régime des partis” dans une conférence de presse le 19 mai au Palais d’Orsay et pose le cadre de nouvelles institutions. Affaibli, le président du Conseil Pierre Pflimlin présente sa démission au président de la République René Coty le 28 mai. Ce dernier convoque les chefs de parti à l’Elysée (Antoine Pinay, Guy Mollet, Vincent Auriol) puis annonce à l’Assemblée nationale sa décision d’appeler le général De Gaulle à la présidence du Conseil. De Gaulle devient le dernier chef de gouvernement de la IVe République. À Alger, les manifestations se poursuivent sur la place du gouvernement général, contre les positions du FLN, et en faveur de l’Algérie française. La situation politique est tendue : ce même 28 mai, les adversaires du général De Gaulle, dont Pierre Mendès France, se rassemblent place de la République à Paris. Les partisans du général manifestent également à Paris : ils descendent en voiture les Champs Elysées où ils font retentir les klaxons, et se groupent devant l’Assemblée nationale faisant ainsi pression sur la représentation nationale.

Dans cette atmosphère politique difficile, René Coty affiche son soutien au Général qui consulte les représentants politiques à l’hôtel La Pérouse. À Alger, les manifestations de soutien au nouveau président du Conseil se multiplient, tandis qu’à Toulouse, les manifestants favorables aux institutions de la IVe République se retrouvent pacifiquement sur la place du Capitole. À Bordeaux, des heurts éclatent entre adversaires et partisans du Général. À Paris, les étudiants manifestent contre De Gaulle place de l’Etoile, qui se présente seul devant les députés réunis à l’Assemblée nationale le 1er juin : il obtient son investiture : par 329 voix pour et 224 contre. Il peut alors constituer son cabinet après consultation des chefs historiques des partis politiques.

Deux interprétations contradictoires de ces semaines s’affrontent : pour les uns, le général De Gaulle a pris le pouvoir en suivant seulement les apparences de la Constitution, pour les autres, c’est légitimement qu’il est investi, avec pour mission de sauver la République, y compris en changeant les institutions et en créant la Ve République. [Rioux Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, volume 2, L’expansion et l’impuissance, 1952 – 1958, Point Seuil, Paris, 1983][Berstein Serge, Milza Pierre, Histoire de la France au XXe siècle, Complexe, Bruxelles, 1995]

Eclairage média
Les huit minutes de ce document résument plusieurs semaines riches d’évènements. Les choix effectués épousent la vision des évènements que le pouvoir pourrait vouloir donner. Les oublis volontaires sont révélateurs d’une option politique : rien n’est dit de l’appel lancé par le général Salan au général De Gaulle, le silence est fait sur l’opération Résurrection, les manifestants corses sont présentés comme de simples citoyens descendus ordinairement dans la rue, tout comme les manifestants à Alger. Le temps réservé aux protagonistes des évènements est très déséquilibré : le point de vue de Pierre Plimflin n’est pas présenté, tandis que celui du général De Gaulle est longuement exposé, y compris quand il n’est encore investi d’aucun pouvoir légal. La présence de représentants de partis (Antoine Pinay, Vincent Auriol, Guy Mollet) auprès du Général est longuement mentionnée, tandis que les dirigeants de l’opposition ne sont pas nommés, même lorsqu’ils apparaissent en tête d’une manifestation (Pierre Mendès France, Edouard Daladier, François Mitterrand).

Le ton du commentaire est également significatif. Il débute de façon dramatique : la France est menacée dans son existence, puis à mesure que la sortie de crise est évoquée, et l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle assurée, le journaliste prend un ton plus mesuré et estime que le discours d’investiture de De Gaulle, seul à l’Assemblée nationale, est “un texte dur et lucide”. Le parti pris se manifeste également dans les images choisies : De Gaulle est filmé en conférence de presse seul assis à un bureau, comme pour insister sur son aspect calme et pondéré, sûr de lui et des solutions qu’il peut préconiser, tandis que le président du conseil Pierre Pflimlin, entouré de journalistes, semble débordé, sans ressources pour affronter les évènements. Les images deviennent familières avec les plans pris à Colombey-les-Deux-Eglises : la population locale, la France profonde est filmée à l’intérieur des foyers, écoutant la radio ( le plan évoque les Français écoutant clandestinement la BBC pendant la Seconde Guerre mondiale), lisant le journal. Cette population est rassurée par le retour au pouvoir du Général, posé en sauveur. En contrepoint, les images de manifestation à Alger sont menaçantes, la foule filmée de loin souligne le désordre encore possible. Les images se font de nouveau rassurantes quand elles montrent les manifestations des gaullistes en métropole : les forces de l’ordre sont souvent présentes ; gendarmes mobiles et policiers affichent des visages détendus et souriants aux manifestants. L’ordre est désormais maintenu. Symboliquement le reportage s’achève par une séquence d’archives : le général De Gaulle descendant les Champs Elysées lors de la libération de Paris en août 1944.

L’action du Général en 1958 est ainsi placée dans le prolongement de son rôle joué lors de la Libération de la France. Le journal filmé joue ici sur les imaginaires pour construire une continuité entre les actions du général De Gaulle pendant la guerre et en 1958. »

A suivre : La crise de mai 58 [revue de web] 2/6 - La fin de la IVe République et le retour au pouvoir du général De Gaulle - guide de lecture

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