Expliquer la continuité des sociétés par la théorie du bouc-émissaire

Alexander X. Douglas, philosophe,  qui semble avoir beaucoup étudié Spinoza et vient de publier "la philosophie de la monnaie", nous rappelle les idées principales de René Girard pour mieux réfuter celles de Hayek.

[traduction abrégée de l'article, les accentuations sont miennes]

Accepter la pensée de René Girard c'est comprendre pourquoi les politiques économiques échouent à résoudre les problèmes économiques


"Girard a commencé par étudier le désir humain. et il en est arrivée à la conclusion qu'au-delà de la satisfaction des besoins de base, le désir était mimétique. Pour lui, chaque personne désire la même chose qu'une autre que l'on peut alors considérer comme un modèle pour la première. Peut importe qu'il existe d'autres biens même s'ils sont équivalents en termes d'utilité ou en dehors des désirs du modèle lui-même.
Quand deux sujets désirent la même chose cela mène invariablement à la violence.

Les économistes expliquent les ruptures de stock par l'incapacité du prix à monter jusqu'à ce que la demande égale l'offre. La convergence des désirs selon Girard explique les pénuries. Girard montre que le désir augmente tellement que la pénurie est convertie en une rivalité obsessionnelle qui en devient violente.
La rareté au milieu de l'abondance [la viande est de plus en plus chère et les machines numériques le sont de moins en moins], l'incapacité des groupes humains à faire les meilleurs choix qui se révéleraient positifs pour la société prise dans son ensemble [lutte contre le réchauffement climatique par ex] sont des énigmes pour les économistes. A l'inverse, la théorie de Girard nous permet de les comprendre. Les modèles économiques partent de l'hypothèse que le système tend à l'équilibre. En se basant sur la pensée de Girard on comprend bien que le système social économique est dans une dynamique non linéaire ; les points importants sont les points d'attraction non les points d'équilibre.

Mais si le désir nous emmène invariablement vers la violence, comment alors les sociétés ont-elles pu survivre?

Girard nous propose une réponse : les sociétés ont développé un mécanisme qui concentre la violence sur un groupe restreint d'individus: le phénomène du bouc-émissaire. "Enivrés" par cette violence les gens perdent vite le sens des réalités, ils deviennent facile à convaincre qu'il y a un groupe minoritaire responsable de leur frustration. Ce groupe bien entendu, est généralement composé de "sous-citoyens". Là encore la théorie de Girard explique très bien que le remède choisi pour sortir d'une dépression économique c'est souvent la violence envers une minorité: les immigrés, les minorités raciales, les sans-abris, etc...

Girard n'est bien sur pas partisan de ce remède, il s'est d'ailleurs converti au christianisme au cours de sa vie. Il n'a jamais proposé une alternative cohérente. Son seul conseil est que chacun de nous doit résister à la tentation de désigner des bouc-émissaires.

Accepter la théorie de Girard c'est se libérer de deux conceptions erronées qui ont envahi les sciences sociales au XXe siècle via des penseurs comme Hayek.

La première est que le phénomène d'ordre social spontané est admirable. Certes, le fait que les sociétés humaines montrent un comportement auto-organisateur, forment des schémas complexes d'organisation sans planification centralisée et consciente est impressionnant. Cependant la forme historique la plus commune d'ordre spontané c'est des communautés humaines qui s'accordent régulièrement pour verser leur frustration violente sur un sous-groupe sans défense. Tout le travail de Girard a consisté à exposer les origines violentes de la plupart des institutions humaines.

La seconde est cette idée que le capitalisme a réussi car il a accepté nos vices pour ce qu'ils sont. Il est communément admis que le capitalisme se conçoit comme un système où l’égoïsme de chacun sert au bénéfice de la société. Mais les humains ne sont pas égoïstes au sens premier. Ils sont prêts à faire des sacrifices dans leur bien-être matériel pour autant qu'ils constatent de plus grandes souffrances chez leur bouc émissaire [ici ça va pas, mais là-bas c'est pire... alors tout va bien]. Par exemple, les américains pourraient apprécier un meilleur niveau de vie s'ils recherchaient le plein emploi plutôt que de maximiser l'incarcération de leurs minorités raciales. Mais dans ce cas, beaucoup d'entre eux n'auraient pas le soulagement de leur frustration; du fait de savoir que d'autres souffrent de violence et d'humiliation et que ces autres ne sont pas eux-mêmes et surtout pas des personnes "comme eux".

Ce n'est pas le capitalisme qui est cause de la stabilité de nos sociétés c'est le mécanisme du bouc émissaire."

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Le personnage du bouc-émissaire existe probablement depuis la nuit des temps, du moins depuis que l'homme offre des sacrifices aux dieux. De là, à considérer que la théorie de Girard explique le monde, je suis dubitatif. Il a en tout cas mis des années à la produire. Sa nécrologie  m'a fait découvrir un ovni dans le paysage académique. Je connais des libéraux chrétiens  pour qui la pensée de Girard parait fondamentale  mais c'est sûrement la réfutation de Hayek par Douglas qui leur paraîtrait spécieuse.

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