Un moteur à eau ? Pas vraiment !

J’ai reçu récemment un lien vers une société bretonne (eco-leau) qui commercialise un kit à installer sur un moteur thermique et permet d’économiser du carburant ; c’est essentiellement un système de vaporisation d’eau injectée dans l’admission d’air du moteur.

Je n’ai aucune formation scientifique, mais je sais que l’eau en tant que telle — la molécule H2O — n’est pas une source d’énergie. Les physiciens ne savent pas très bien définir l’énergie : ce qu’ils sont capables d’en dire c’est qu’elle permet un travail, c’est-à-dire une transformation physique. L’eau peut être un vecteur d’énergie c’est-à-dire un support pour le transport et la transformation de l’énergie comme dans une machine à vapeur ou une centrale thermique (fuel, charbon, gaz, nucléaire).

Sur le blog de l’entreprise on peut lire la phrase suivante : « Si l’eau n’est pas un carburant et que le moteur à eau relève de la chimère, l’injection d’eau a déjà été expérimentée par le passé. Les Allemands et les Américains y ont eu recours durant la Seconde Guerre mondiale sur les moteurs de leurs avions. »

Fonctionnement

Le système est en quelque sorte un boost pour le turbo.

D’après le schéma et les explications de l’entreprise, l’eau se gazéifie au contact de la chaleur de l’air à l’échappement. La vapeur d’eau crée est injectée à l’admission en amont de l’intercooler qui lui sert à refroidir l’air réchauffé par le turbo. Le rajout de vapeur d’eau dans le circuit refroidit l’air encore plus et donc le densifie encore plus : à volume équivalent, il y a plus d’oxygène (le comburant), qui rentre dans le moteur. Comme l’air est plus froid avec ce système, la combustion a lieu à une température plus faible. Pour un couple moteur donné, il y a moins besoin d’appuyer sur la pédale de l’accélérateur donc une moindre consommation de combustible/carburant. Également comme la combustion est plus efficace, il y a moins d’imbrûlés donc moins de pollution.

Le turbo transforme l’énergie cinétique (de mouvement) des gaz d’échappement alors que le système “eco-leau” utilise leur énergie calorifique. Les deux récupèrent une partie de l’énergie dissipée (perdue) dans la transformation effectuée par le moteur thermique — l’essence est un réservoir d’énergie chimique transformée en énergie thermique dans les cylindres par la combustion, qui elle déplace les pistons une énergie cinétique —, le rendement du moteur s’en trouve amélioré.

France Info a fait un point sur le sujet en novembre 2018 :

« L'eau n'est pas un carburant

Il faut d'emblée écarter l'éventualité d'un moteur qui ne tournerait qu'à l'eau. “C'est un non-sens scientifique. Là-dessus, il n'y a pas débat”, tranche Xavier Tauzia, ingénieur et maître de conférences à l'Ecole centrale de Nantes au sein du département Mécanique des fluides et énergétique, contacté par franceinfo. “L'eau est une molécule extrêmement stable. Si on veut la décomposer [pour créer de l'hydrogène, qui est un carburant], il faut lui apporter de l'énergie. Sauf qu'il faut beaucoup d'énergie et pas mal d'électricité”, confirme Laurent Castaignède, ingénieur Conseil Climat-Air-Energie, à France Culture.

Ainsi, si on cherche à se servir uniquement d'eau comme seul carburant, “le bilan global est catastrophique”. Car cela nécessite plus d'énergie en amont que la quantité d'énergie produite par le moteur à eau au final.

“Le moteur à eau est une chimère ou un palliatif qui ressort à chaque pic d'agitation autour des combustibles fossiles.” Gérald Pourcelly, enseignant-chercheur à l'Ecole nationale supérieure de chimie de Montpellier »

Du côté des clients

France Info :

« Un Lorientais qui a installé un équipement semblable sur sa voiture a assuré, début 2018, au quotidien régional Le Télégramme être ravi de son achat. Selon lui, la conduite est plus souple, l'accélération est la même et la voiture consomme moins.

« On était un peu sceptiques mais on a fait le test et il s'avère qu'on économise entre 10% à 15% de gazole par mois », racontait à France 3 Languedoc-Roussillon, en 2012, une chauffeuse dont le poids lourd est équipé d'un système Econokit, un autre acteur du milieu.

Mais tous les clients des systèmes Pantone ne sont pas aussi enthousiastes. En 2008, l'entreprise Ecopra a installé des systèmes sur des véhicules dans plusieurs villes. “Il s'avère que l'expérience fut un flop”, explique à franceinfo la mairie de Neuilly-Plaisance, qui n'a pas prolongé l'aventure.

“Cette technique a encrassé et endommagé les moteurs.” La mairie de Neuilly-Plaisance »

La lecture de la page Wikipédia sur le moteur Pantone ou du compte-rendu d’un essai du système Pantone sur le portail des chambres d’agriculture de Bretagne laisse sceptique :

« Dans le cadre notre essai, le système Pantone de type « Spad » n’a apporté aucun gain de consommation ou de puissance. Un autre essai, réalisé avec le même protocole dans la Sarthe, sur un tracteur dont le propriétaire était persuadé d’économiser, a abouti à la même conclusion. »

Pourtant, ça bouge un peu du côté des industriels

France Info :

« BMW a sorti, en 2016, un modèle à 700 exemplaires avec un moteur Bosch équipé d'un système d'injection d'eau. Une technologie qui permet de réduire la consommation de 13% et les rejets de CO2 de 4%, selon le constructeur allemand. »

En 2015, le système était installé sur la voiture de sécurité du MotoGP, une BMW M4 :

« Sur son modèle M4 MotoGP Safety Car, BMW innove en injectant de l’eau dans le tuyau d’admission et dans la chambre de combustion. L’injection directe d’eau confère au moteur plus d’efficience, avec un gain de puissance de 10 % et une baisse de la consommation de 8 %. « L’injection directe d’eau permet d’exploiter encore mieux le potentiel inhérent à la suralimentation par turbocompresseur. L’eau injectée dans le collecteur du module d’admission, sous forme de fine brume, abaisse la température de combustion d’environ 25 °C » explique le constructeur.

Pour alimenter le système d’injection d’eau, la BMW M4 MotoGP Safety Car dispose d’un réservoir de 5 litres logé dans le coffre à bagages. Dans le cadre d’une application série, BMW envisage de récupérer l’eau produite à bord, par la climatisation par exemple. Chaque fois que le moteur est coupé, l’eau est refoulée des conduites dans le réservoir pour éviter le givrage des composants. Le réservoir d’eau est logé dans un compartiment protégé contre le gel. »

 

Transcription/traduction de la vidéo :

« BMW a toujours été synonyme d’innovations technologiques et cette année, BMW est en mesure de présenter un autre nouveau produit phare. Dans un avenir proche, la division BMW M commencera la production d’un modèle à injection d’eau. L’injection d’eau est un système conçu pour augmenter les performances et réduire la consommation des moteurs à combustion. L’injection d’un fin jet d’eau dans le collecteur réduit considérablement la température de l’air de combustion. L’air suralimenté plus froid réduit la tendance du moteur à cogner, ce qui permet d’avancer le point d’allumage et de le rapprocher de la valeur optimale. Cela rend le processus de combustion plus efficace tout en réduisant la température de combustion. D’autre part, l’air frais a une densité plus élevée, ce qui augmente la teneur en oxygène dans la chambre de combustion. Il en résulte une pression moyenne plus élevée pendant le processus de combustion, ce qui optimise les performances et le couple. Enfin, le refroidissement interne efficace de la chambre de combustion réduit la contrainte thermique sur de nombreux composants liés aux performances. Cela permet non seulement d’éviter d’endommager les pistons, les tuyaux d’échappement et les convertisseurs catalytiques, mais aussi de réduire les contraintes sur le turbocompresseur qui est soumis à des températures d’échappement plus basses. Grâce à un taux de compression élevé, ce moteur est très efficace et affiche des chiffres de consommation faibles, notamment dans la plage de charge partielle. Le taux de compression maximal est limité par la tendance au cognement à pleine charge. L’injection d’eau est également très utile dans ce cas, car elle réduit la tendance au cognement du moteur tout en augmentant le taux de compression. De cette façon, le moteur turbo peut atteindre des performances optimales sur une large gamme de points de fonctionnement. BMW utilisera pour la première fois cette technologie dans la voiture de sécurité BMW M4 du moto GP pour la saison 2015.

Toujours sur France Info :

« Si les industriels montrent des signes d'intérêt pour le dopage à l'eau, l'application à grande échelle est encore un mirage. (…)

“Si le système à injection d'eau n'est pas plus investi, c'est que les gains ne sont pas assez importants pour justifier l'emploi de cette technologie”, répond Xavier Tauzia, ingénieur et maître de conférences à l'Ecole centrale de Nantes.

De son côté, le ministère de l'Ecologie pointe le manque de données sur le dopage à l'eau. “Les services du ministère n'ont à ce jour jamais eu connaissance de preuves formelles, d'études ou d'essais réglementaires prouvant les gains en termes de consommation de carburant et de réduction des émissions de gaz polluants”, écrit-il à France Info. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) affirme avoir expérimenté le dispositif. Mais les tests réalisés à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux “n'étaient pas assez probants en termes d'économie de carburant pour poursuivre les investigations”. »

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