Le Capitalisme, Pierre-Yves Gomez

« Qu’est-ce que le capitalisme ? Le mot est couramment utilisé, mais sait-on clairement ce qu’il signifie et ce qui le distingue d’autres systèmes économiques mais aussi politiques ? Car plus qu’un système économique, le capitalisme est une forme d’organisation de la société, un aménagement des liens sociaux et une croyance collective qui policent nos comportements. À partir d’une approche historique, Pierre-Yves Gomez met au jour la structure du capitalisme en la comparant à celle d’autres civilisations. Il montre en particulier l’importance qu’y joue l’État-nation, la place ambiguë du « marché », le rapport à l’environnement naturel qu’il impose et pourquoi la recherche du profit constitue la clé de voûte de sa culture. Une analyse décapante et rigoureuse qui permettra au citoyen éclairé de se faire sa propre opinion sur l’avenir de nos sociétés. » Éditions Que sais-je ? 

 

Le capitalisme  - Pierre-Yves Gomez [entretien, 8'], Xerfi, 14 mai 2022

« La caractéristique essentielle du capitalisme est l'inégalité sociale. Alain Cotta : « Une caractéristique essentielle du système : affirmer son existence et sa particularité sur la possibilité devenue rapidement une réalité d'un inégalité sociale majeure » (...)

Ce qui caractérise le capitalisme, sa structure, une forme de société fondée sur l'inégalité et qui accepte l'inégalité économique comme un fait de nature, puisque il y a propriété privée et accumulation de propriété. Ceux qui accumulent beaucoup vont avoir mécaniquement une puissance plus importante que les autres. (...) Le capitalisme a produit substantiellement des inégalités sociales (...)

Le capitalisme commence à naitre au XIIIe siècle et ce n'est qu'en 1902 que l'école allemande et Werner Sombart vont poser le mot. Le terme communisme apparaît avant... »

 

La naissance du capitalisme - Pierre-Yves Gomez [entretien, 8'], Xerfi, 8 juin 2022

« Le point de démarrage de l'histoire c'est la fin de l'éclatement politique en Europe. C'est la loi d'Elias. Elias avait montré que lorsque des systèmes politiques sont en concurrence, il y a une lutte pour les ressources et nécessairement il y a une tension vers le monopole. C'est ce qui se passe dans la seconde partie du Moyen-Âge. Dans différentes régions de l'Europe, on voit un système de concentration des pouvoirs, avec la naissance de ce qu'on va appeler les États-Nations. C'est vrai en Espagne d'abord, c'est vrai en France et en Angleterre et puis, un peu plus tard, en Allemagne et en Italie. Le point de démarrage du capitalisme c'est qu'en fait le pouvoir politique se concentre. Or, le système féodal était fondé sur l'éclatement du pouvoir politique et la concentration du pouvoir économique dans les communautés. En fait, l'usage des ressources était très largement géré de manière communautaire parce qu'il y avait une solidarité pour cultiver la terre, pour l'eau en particulier. Plus le pouvoir politique se concentre et s'empare du monopole de la violence légitime et plus il va laisser le pouvoir d'usage des ressources au particulier, au privé. On va inventer l'individu, invention moderne du XVIIe-XVIIIe siècle et la personne privée, maîtresse d'elle-même pour gérer ses biens. (..) À la fin du Moyen-Âge, on a une concentration du pouvoir politique et par vase communiquant une décentralisation très forte du pouvoir économique. En clair, le pouvoir politique arrive à se concentrer autour de l'État-nation - le roi - parce qu'il met en rivalité les particuliers en termes économiques. C'est la rivalité économique qui remplace la rivalité féodale. Et cette rivalité économique s'appelle le marché. Donc on va inventer une institution, le marché, qui n'est pas du tout naturel, c'est une trouvaille politique pour maintenir en compétition les acteurs. Étant en compétition, ils ne peuvent pas prendre l'ascendant sur les ressources et donc sur le pouvoir politique. Comme ça, par petites touches, se met en place un système qui devient ce qu'on appellera le capitalisme qui articule donc un état fort et une rivalité permanente entre des acteurs économiques qui ont une autonomie de décision quant à l'usage des ressources, dans la créativité, dans tout ce qu'on dit de positif sur le capitalisme et qui naît de cette tension, de cette compétition permanente. C'est la guerre de tous contre tous que Hobbes avait déjà théorisé au milieu du XVIIe siècle. »


Le capitalisme : comment sont apparus les entrepreneurs - Pierre-Yves Gomez [entretien, 8'], Xerfi, 21 juin 2022

« En France, le capitalisme naît des pouvoirs publics (...) Plus l’état se concentre et devient l’État-nation et plus il est obligé de gérer des ressources collectives. Sauf qu’il n’a pas les moyens de le faire puisque c’est un espace politique et non un espace économique. En tout cas ça ne s’est pas passé comme ça en occident européen. Donc, ne pouvant pas, par exemple, construire les routes pour assurer la sécurité des places fortes — le fameux fort de Vauban en France — il n’a pas les moyens de construire, il n’a pas d’ouvriers, il va faire appel à des acteurs qui sont les artisans, pour construire le fort par exemple. Faire appel à des acteurs qui sont les artisans des corporations. Sauf que ces artisans des corporations répondent à des logiques communautaires de l’ancien régime. C’est eux qui ont construit les cathédrales. Les cathédrales ont mis trois siècles à se construire, entre autres parce que la régulation ne se faisait pas, elle était pour le coup très communautaire. Et donc, une catégorie sociale va émerger d’acteurs qui vont être des entremetteurs, des entre preneurs, qui vont prendre le marché public. À charge pour eux de trouver, les ouvriers, les moyens, les ressources pour pouvoir réaliser le travail dans les temps. On est vraiment dans l’appel d’offres public. Là on est à la fin du XVIIe siècle. L’entrepreneur naît historiquement de ce besoin de l’État-nation d’assurer des fonctions économiques qu’il ne peut pas et ne veut pas assurer et, qu’il va déléguer à ces fameux entrepreneurs, qui sont au début des sortes de personnes qui connaissent les métiers, qui ont de l’entregent et qui donc, vont entre prendre.

Ces entrepreneurs ne sont rémunérés qu’aux résultats. (...) La notion de profit naît à ce moment-là. Le profit c’est ce qui reste à l’entrepreneur après qu’il a rémunéré l’ensemble des parties prenantes. Ce qui est encore aujourd’hui la définition du profit économique, dans un compte de résultat en entreprise c’est la même chose. Pragmatiquement ça naît de façon très politique. On a un état nation qui a besoin de forts, qui a besoin de routes, qui a besoin de canaux pour créer des moyens de communication qui assurent la centralité du pouvoir et donc délégation. C’est comme ça que naissent les entrepreneurs en France.

En Angleterre, c’est un peu différent parce que l’État-nation n’est pas aussi fort, les besoins économiques de l’État-nation ne sont pas les mêmes. En revanche après les guerres civiles anglaises, l’état distribue des terres aux grands féodaux qu’il a vaincu. Ils les rémunèrent de cette façon. Or, pour tenir le rang à la cour, la seule possibilité pour ces féodaux, est d’obliger leurs tenanciers à extraire le plus possible de valeur des terres. Parce qu’ils n’ont aucun autre moyen d’augmenter [leur revenu]. Il n’y a pas de bénéfice à la française, il n’y a pas de bénéfice au sens religieux, tout ça a été déjà distribué. Et donc la seule possibilité c’est de maximiser le rendement de leurs terres. D’où, à partir du XVIIe — XVIIIe siècle, une obsession des propriétaires terriens anglais à maximiser la productivité de la terre. Et là, encore une fois, des intermédiaires vont assurer le meilleur rendement possible. (...)  Là, c’était des tenanciers qui faisaient travailler les autres. Et donc est née cette notion (...) d’acteurs intermédiaires chargés de maximiser le profit.

Ce que j’aime bien lorsque nous raconte l’histoire, finalement, c’est que l’on croit ex post que l’entrepreneur serait né comme ça, comme une sorte de héros. En fait, cet intermédiaire est plus ou moins habile, plus ou moins riche, plus ou moins capable de gérer ces contrats et va finir par s’imposer du fait même que l’État en France, que les grands propriétaires en Angleterre ont besoin des intermédiaires. Et il va finir par s’imposer à partir du XVIIIe siècle, comme la figure même de l’individu émancipé. Le basculement idéologique c’est le XVIIIe siècle, lorsque le Siècle des Lumières considère que l’individu émancipé c’est l’entrepreneur. C’est celui qui est suffisamment habile pour pouvoir rémunérer les différentes parties prenantes, les ouvriers pour faire simple et aussi rémunérer le capital. (...) Donc une naissance qui est loin d’être héroïque, qui est très pratique, pragmatique, dans l’ordre des choses. Cette histoire n’est évidemment pas planifiée, elle se fait par des ajustements, par des logiques internes. À un moment donné - XVIIIe siècle : l’entrepreneur héroïque, XIXe siècle : l’entrepreneur politique - ce sont les entrepreneurs qui vont s’emparer du pouvoir politique et qui vont être maires de communes, députés. Donc cette catégorie sociale marginale, entre-deux, qui n’est pas la noblesse de l’aristocratie ouvrière des corporations va devenir centrale à partir du XIXe siècle. »


Régulation et expansion du capitalisme - Pierre-Yves Gomez [entretien, 8'], Xerfi, 30 août 2022

« À l’intérieur même du capitalisme, il y a une structure qui produit de l’expansion. D’abord parce que le capitalisme est fondé sur le profit et la rivalité pour obtenir le profit. Or, pour obtenir toujours plus de profits lorsqu’on est en rivalité, la seule solution c’est d’aller en chercher toujours ailleurs. Parce que dans un endroit confiné, c’est la guerre de tous contre tous qui conduit à la mort de certains. Donc pour éviter cette guerre civile on va chercher des colonies, des terres à exploiter pour qu’il y ait plus de profits. Ensuite, il y a dans le capitalisme lui-même, un besoin de tout transformer en logique profitable, la nature d’abord. La nature devient une ressource à partir du XVIIe siècle. Elle est vue comme une ressource et donc quelque chose à exploiter, pas un milieu dans lequel on s’inscrit (...) On a un système qui dans sa logique même produit une nécessité d’expansion. (...) »


Après le capitalisme : transformation, diversité, disparition - Pierre-Yves Gomez [entretien, 8'], Xerfi, 11 juil. 2022

- Empires industriels centralisés du post-capitalisme autoritaire : En Chine, Russie, récupération de la gestion des ressources par l'appareil public.
- Les très grandes entreprises multinationales qui dépassent les États-nations et qui pour certaines battent monnaies (prérogative de l'État), constituent de nouvelles féodalités c'est-à-dire des formes de pouvoirs politico-économiques confondues avec de nouvelles formes de gouvernement des personnes à l'intérieur de ces très grandes structures (ex : les GAFAM).
- Migrations : les mouvement des populations transportent de nouvelles manières de faire société, de faire de l'économie (ex : économies dites parallèles des banlieues)


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